Abdellatif Laâbi |
Dans chaque cellule (nid d'humidité cagibi de dressage) un prisonnier et son monde se sont évadés pour un temps (ici, l'évasion n'est pas affaire légère) Ceux qui rêvent les yeux ouverts ne sont pas fatalement tristes Ils dessinent des fenêtres turquoise sur l'écran de la nuit lâchent des gazelles dans l'incommensurable sablier du temps Ils entretiennent la mémoire vive Ceux qui bricolent sont les plus heureux Ils réitèrent la genèse du chant et des techniques et la fantaisie s'en mêle pour humaniser allègrement l'oblique paysage Ceux dont la chair se ravive de sève virile sont les plus assiégés iconolâtres de sauvages libertés ils aspirent goulûment l'acre fumée des interdits Les murs-sirènes tournoient l'image stridente flagelle et fuit puis le chant intervient baume suturant les brisures fantasmes terrassés Ceux qui rédigent des lettres sont de vrais artisans de la fraternité Ils ouvrent les veines de leur sensibilité découvrent qu'ils n'ont peut-être jamais parlé, écouté et le dialogue s'illumine bouleversement d'être Ils animent le vaste théâtre de la présence Ceux qui sont malades sont les plus prisonniers Le corps pèse de tout son poids de frustrations s'écorche dans le naufrage des insomnies Le sommeil suffoque parcours-martyre de la cavale impossible Ceux qui écrivent des poèmes sont les plus agités Ils guerroient contre la porte, les murs, la loi du silence font violence à leur corps et à leur pensée pour abolir tout ce qui entrave la parole Ils tanguent sur la corde raide à chaque page s'annihilent pour renaître Dans chaque cellule un prisonnier et son monde noctambules de la résistance ordinaire |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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Portrait de Abdellatif Laâbi | |||||||||