Abdellatif Laâbi |
Entre nous cette brûlure quand nos mains sont enchaînées Entre nous cette soif quand l'eau multiplie la soif Entre nous le désir qui sépare Voici mon cou frappe et tranche il n'y aura pas de sang mes yeux resteront ouverts et doux l'étrange sourire du pendu étincellera sur mes lèvres ma tête ne prendra pas beaucoup de place dans ton lit tu ne douteras plus de moi Ne m'en veux pas d'être l'ombre dont se repaît la lumière Ce mur que tu ne traverses est un miroir vermoulu il suffit d'une pression de tes mamelons dressés pour qu'il s'écroule La folie raison de plus Le fleuve te ressemble il a l'ondoiement de tes courbes la malice de tes poissons les berges grasses de ta vulve les saules pleureurs de tes cils humides les mouettes convulsives de tes reins il a ton cri étouffé et tes larmes quand je te somme de te retenir afin de ne pas déranger les voisins Me sont blessure le parfum scandaleux de ces lis cette chevelure qui n'en finit pas d'ameuter les morsures La pluie nous surprendra nous nous déshabillerons nous étalerons nos branches nous sortirons nos feuilles nos bourgeons nous déploierons nos racines nous préparerons nos fruits les arbres nous reconnaîtront pour leurs Le désert nous surprendra tu seras ma chamelle ou mon guide je sortirai ma flûte nous laisserons pousser nos cheveux une oasis naîtra de cette bonté L'amour nous surprendra à deux pas de l'enfer Le plus bel enfer des êtres marqués à la gorge éblouie éblouissante aux narines de faucon pris au piège aux pupilles égarées dans la montée intrépide du désir ce voyou Ma tête a blanchi, mon amie tout d'un coup Cela s'est passé comme toutes les choses de chez nous Là-bas il n'y a ni printemps ni automne il n'y a que l'impitoyable été et le rude hiver Je me suis toujours soumis à tes larmes Qui aime en moi Qui m e tue ? S'il n'y avait que ton désir dans le miroir j'aurais les traits de ton visage d'adolescente tu serais de nouveau violée sous les yeux crevés d'Odipe ton ventre redeviendrait de marbre Sans toi je ne pourrai pas remplir ma tombe lorsqu'il faudra bien se résigner au silence Ne m'aime pas mort mais ne jette pas mes poèmes La bougie se consume et me consume quelqu'un viendra la moucher dans mes yeux Derrière la brume une femme languide allongée au soleil sa toison s'écarte je bois à la source brûlante Un oiseau éclate dans ma bouche je ne comprends pas Nous recueillerons le nom du printemps nous soignerons ses blessures nous éloignerons de lui les convoitises de l'hiver mais au premier souhait qu'il formulera nous lui rendrons sa liberté Nous y voilà nulle part Cette terre est belle disait mon grand frère turc mais qui la suit du regard dévore l'ascension de ses jambes la chute vertigineuse de ses reins la fraise énigmatique de son sourire ses ongles rongés jusqu'au sang Qui en croit encore ses yeux ? La terre me fait tourner la tête Ah si elle pouvait être immobile et plate Je ne suis pas de n'importe quelle terre la mienne est terriblement possessive elle ne chasse que ses amants orgueilleux et stériles Ma terre est suceuse et dévoreuse elle n'hésite pas à faire couler le sang et saigner à son tour Ma terre est volage sans être oublieuse elle adore les outrances de langage et les délices de sodomie C'est une barbare qui se rit des civilités Elle ne baise pas avec la tête et ne prend pas la pilule ma terre ma putain sacrée la dernière femme fidèle Elle me ressemble et ne me : C'est une terre comme on n'en fait plus Je ne me prosterne pas non plus devant le cul de ma terre Ce pacte qui nous lie est celui des enfants que nous volons à la porte des abattoirs Quand je me noie ma terre ne me croit pas Je t'attends en ordre dispersé je veux ne rien te dire je veux que tu comprennes tout Dos à dos la foudre nous coulera dans un moule définitif Tout à toi ma déraison quand ta braise craque entre les lèvres le creux de l'oreille et m'exile Tu passes caravane après caravane comme si tu montais au ciel pendant que je tremble de t'avoir déjà perdue Dans le noir tu es plus excitante car j'ai envie d'éclairer J'ai appris à offrir des fleurs à en nommer chaque espèce à les disposer artistiquement dans un vase mais je refuse d'apprendre le langage des fleurs Sans te regarder je sais que tu me veux nous parlons déjà pour ne rien dire nous avons perdu l'appétit nous éteignons la dernière cigarette la pièce se met à tournoyer le vaisseau décolle soulevant un nuage de perdrix enceintes C'est encore moi qui tendrai ma main vers ton embouchure tu dresseras la table pour nos bruyantes ripailles Nous ne parlons pas le même langage heureusement sinon comment pourrions-nous dialoguer ? Je veux aimer à ma manière loin des yeux ou près du cour mes promises dans mon épouse plusieurs en un l'enfant, l'ami le camarade perdu en cours de route ce qu'aucune femme ne peut donner le coup de foudre et l'habitude les transes du désuet la présence rassurante ce qui ressemble à la résurrection quand il ne reste plus rien à brûler Je veux aimer au-delà de l'amour Ne me caresse pas quand j'écris dans ma tête Amort Amourir Amourant Je t'ameurs Toutes les guerres finissent sauf celle d'amour |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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