Abdellatif Laâbi |
L'homme qui ne savait s'il fallait rire ou pleurer à la sortie de la citadelle d'exil hésitait devant la porte de sa maison Après deux heures de route il venait de traverser Casablanca Cela lui rappelait un film de science-fiction qu'il avait vu dans le temps où toute l'action se passait dans un vaisseau spatial géant qui renfermait une cité entière avec ses magasins ses quartiers résidentiels ses cafés salles de spectacle ses voitures pour circuler dans les immenses couloirs insonorisés Casablanca lui parut lunaire L'atmosphère était feutrée les lumières doublement artificielles l'air raréfié la circulation comme réglée par un mécanisme occulte 11 n'entendit guère de voix humaines Le monstre semblait marcher derrière lui alourdissait sa nuque de son regard vitreux de cadavre Voici la porte de sa maison C'est bien la sienne Sur la carte de visite les caractères de son nom avaient été repassés au stylo-feutre Il reconnut l'écriture de sa femme Sa femme son fils sont-ils là Quelle sera sa première parole et moi que dois-je dire en pareille circonstance « Je viens d'être libéré » « Je suis libre » « Embrasse-moi, ne parle pas, allons voir notre enfant Il se souvint de films de guerre russes quand les soldats revenaient avec la paix l'émotion des retrouvailles les jeux de la caméra pour exprimer l'intensité des visages... Il ne sut à quel moment il pressa le bouton de la sonnette puis il se mit à battre la porte de ses deux poings et de sa voix enrouée de larmes il criait « Ouvre, ouvre, c'est moi » Gongs d'annonce tambours témoins battez résonnez battez pour le retour de l'homme qui ne savait s'il fallait rire ou pleurer Quel était donc ce monstre qui le tarabustait de son regard vitreux de cadavre ? Dites-le mais racontez racontez l'histoire des sept crucifiés de l'espoir |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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Portrait de Abdellatif Laâbi | |||||||||