Abdellatif Laâbi |
À trente-trois ans voilà que je pense moi aussi à la mort Ce n'est pas de la mort en majuscules qu'il s'agit mais tout simplement de la mienne qui peut survenir un jour ou l'autre et avec l'expérience de laquelle il faut que je règle quelques comptes Ce ne sont pas des idées noires ou « l'effroi métaphysique » qui m'empoignent non c'est tout à fait réaliste lorsqu'on a encore des années à tirer en prison et que l'on est jour et nuit à la merci de ses tortionnaires Mort mienne je te veux douce comme ces rêves heureux où malgré tous les obstacles je parviens au bout du dédale à saisir et caresser la main de ma bien-aimée à recomposer la couleur de ses yeux à sentir le pétale d'une larme se former sur le flambeau de sa pupille Douce je te veux une seule image résumant toutes les splendeurs de l'assaut humain toutes les promesses que tiendra la vie Je te veux en un frémissement d'aurore forêt de mains couvrant la planète et des rires chauds et des tambours en furie et des flûtes abolissant les vieilles vieilles solitudes Tu pourras alors me taper sur l'épaule mort mienne et je te suivrai sans réticence Je ne laisserai derrière moi ni trésor caché ni biens immobiliers mais quelques paroles pour l'avènement de l'homme et cette tendresse miraculeuse qui me permet mort mienne de défier ton regard mécanique et de m'endormir paisiblement en sachant que mes rêves ne tomberont pas en poussière comme mon écorce matérielle mais fleuriront sur les sentiers que les hommes empruntent pour échanger des soleils en se donnant l'accolade et pour lutter |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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Portrait de Abdellatif Laâbi | |||||||||