Abdellatif Laâbi |
Las de crier pour dire il murmura sous le manteau du délire : Muraille muraille des mots Nous tous artisans de cette muraille quand voilà je veux dire aux hommes la couleur du chant brisé célébrant le pays à venir quand ma nuit rejoint l'abrupte nuit humaine et que nous nous entreveinons comme siamois inséparables dans les chambres iniques de la mort sans visage Muraille muraille des mots oillères tentacules planète investie d'aérolifhes mutants ogresse marine son oil de braise ricanant flasque de dune en dune tornade d'ammoniaque soufflant livide l'agreste printemps Muraille muraille des mots cercle de craie avide d'épreuves jambes lourdes pour arpenter ce réduit où j'ai fait réserve de livres balles papier rêche pour la présente confession Je dis enfin ce pays qui m'est blessure dieu tolérable troisième oil et poumon sour-amante au dégel des brasiers juvéniles ce pays ossuaire qui lancine cimetière d'étoiles s'ébrouant sous le linceul nuptial des interdits ce faux pays traquant ses prophètes leur arrachant la langue pour meubler ses insomnies À qui veut l'entendre en bien ou en mal je dis enfin ce pays en vrac veuf-orphelin exsangue ce pays mosaïque de la soif ce pays dos-rond ce pays chacal ce pays d'aveugles-rois en sébiles jaculatoires ce pays de cafés-urinoirs-prisons ce pays sismique au carrefour des mitrailles ce pays tacite scorpion vidé de son dard ce pays de tentes en béton pour ruffians tombés de la dernière pluie ce pays à crinière de planche mortuaire ce pays cahin-caha se délectant de rumeurs ce pays talisman illisible pavé dans la mare ce pays de troc silencieux petites filles, sueurs, âmes, muscles de fer ce pays qui n'en peut plus de ses chancres et qui gave ses chancres ce pays faucon borgne inexorable ce pays coulissant au-delà du désastre ce pays rictus de main rituelle faisant la pluie, les sauterelles jamais le beau temps ce pays traquenard millimétré ce pays où le pain tue ce pays contrasté jusqu'à la lie ce pays de tribuns minables vaccinés contre la vie la salutaire erreur la démangeaison du génie ce pays de légendes déflorées minotaure hébété par l'incroyable mais vrai des discours ce pays frivole fidèle à sa honte ce pays qui rit et chante et vivats juste après avoir enterré ses morts ce pays qui chavire tant il s'ignore ce pays mâle désespérément mâle ce pays extrémiste ce pays qui exile et s'encombre ce pays qui parfois se souvient ce pays consensus qu'on voudrait voix de son maître ce pays menacé de famine intellectuelle ce pays roc perfide à double tranchant ce pays soudain amer emportant la bouche ce pays interminable Ah ce pays qui m'est blessure invraisemblable passion je voudrais pour lui ne serait-ce qu'un jour où les ténèbres se feront toutes petites pour que le candélabre incréé de l'utopie brille de mille feux crédibles et nargue impunément les voleurs de soleil Je voudrais pour lui ne serait-ce que ce jour où il se réveillera sans frontières pour préluder la fin de tout pays suspendre à ses dômes le poème-calligraphie multiple de la nouvelle Déclaration Je voudrais pour lui les choses les plus simples comme ma main accompagnant de caresses sa douce convalescence Les choses les plus simples ai-je dit pain paisible olives du savoir libre thé fumant pour baptiser la demeure décente enfance restituée aux enfants Fin de la peur Inaugurale du rêve descendu sur terre Puis tout deviendra possible Le sobriquet jeté à la corbeille pour que ce pays devienne message du pays humain pétri dans toutes les pâtes fédérées creuset répudiant nom et lieu accompagnant les migrations amoureuses levées nomades incrustées d'indomptables gazelles symphonie de galaxies venant s'abreuver au geyser du dégel humain floraison immatérielle irriguant le cour au-dessus du niveau attesté des glaces éternelles tabernacle du sang lavé des haines coulant pour la seule vie Lors nous nous regarderons enfin dans les yeux Nous aurons lavé la terre de toutes ses souillures L'apocalypse pourra venir et elle sera injuste oui parfaitement injuste Ô pays qui m'est blessure invraisemblable passion et don inespéré je voudrais pour toi un jour noir où tu deviendras méconnaissable où nous mettrons en commun nos trop-pleins subversifs pour tordre le cou aux piètres malédictions qui pâlissent Et sismiques coups de boutoir nos têtes noires brisant les haches dansant sur le bûcher dégorgeant l'eau bouillante des nappes croupies de nos estomacs en berne espèce rutilante lancée à l'assaut de la jungle tribale rameutant l'orage du fin fond de l'espiègle azur Sismiques hors saisons de semailles et ripailles âpres vents sarclant le mal à la racine chaussant les étriers de la peste jusqu'au précipice d'une autre mer des ténèbres Sismiques tour érigée de bras flambant neufs d'une mémoire élargie aux siècles des siècles quand le continent tant appelé émergera à l'horizon des chemins de croix beau et fort de ses élus que nous n'avons connus qu'en oraisons et que nous réhabiliterons dans l'allégresse Sismiques sans pleureuses ni bouffons sans meneurs, généraux, prêtres sans ordre de marche ni tambours Non pas ce poison qui dissemblable les enfants de la femme Je voudrais qu'on ne fasse pas un mais nous de richesses singulières sans culte aucun car nous ne sévirons pas comme les vulgaires vampires de l'histoire écrite nous ne convertirons pas comme les reîtres de la trop familière inquisition nous ne serons les fossoyeurs que de la vénéneuse convoitise Ô pays qui m'est blessure je voudrais ne plus me réveiller de mon splendide délire bercer ainsi sans discontinuer la sirène-hétaïre du doute Je voudrais n'ouvrir les yeux qu'une fois sur l'autre rive du fleuve de l'oubli et te voir, te palper pour de vrai pays aguerri, non friable ayant appris à marcher, jouer rire jusqu'aux étoiles pays absous préludant la fin de tout pays genèse nôtre où créer serait besoin mais pas plus que besoin où Terre serait havre de toute diaspora pacifique dans l'univers |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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