Abdellatif Laâbi |
Bonjour soleil de mon pays qu'il fait bon vivre aujourd'hui que de lumière que de lumière autour de moi Bonjour terrain vague de ma promenade tu m'es devenu familier je t'arpente vivement et tu me vas comme un soulier élégant Bonjour pique-bouf balourd et philosophe perché là-haut sur cette muraille qui me cache le monde te chatouillant les côtes à petits coups distraits Bonjour herbe chétive de l'allée frissonnant en petites rides opalescentes sous la caresse taquine du vent Bonjour grand palmier solitaire planté sur ton échasse grenue et t'ouvrant comme une splendide tulipe à la cime Bonjour soleil de mon pays marée de présence annihilant l'exil Que de lumière que de lumière autour de moi J'ai mille raisons de vivre aincre la mort quotidienne le bonheur de t'aimer marcher au pas de l'espoir Nous avons besoin de toute notre intelligence pour l'échec la désillusion les faits têtus qui corrodent les rêves de naïveté et de cette nouvelle lucidité le chemin s'écourte Apprendre le silence pour que nos paroles pèsent de tout leur poids de souffrance Dire la quintessence de nos actes Sous le bandeau du bourreau savoir déceler le bandeau de notre propre suffisance Aux prises avec le temps la mémoire flux et reflux Le présent n'existe pas à moins d'appeler présent cette conscience aiguë du devenir foudroyant le passé Tant d'années à n'avoir jamais connu la solitude ou l'ennui tant d'étoiles filantes dans ma tête La vasque de tendresse murmure en plein chant l'étrange bonheur du prisonnier La nuit a lâché sa horde de colombes sur les forêts sensuelles du souvenir Tu m'apparais terrifiante de grâces et de promesses puis c'est le rite entrecoupé de détonations de voyeurs hilares puant la cagoule Je ne suis qu'à moitié homme L'eau coule dans ma main Des gouttelettes irisées absorbent goulûment le soleil Rêver n'est que le reflet de ce presque miracle Le sourire éclôt de lui-même Je ne l'arrache pas à ma face oubliée avec tous les miroirs Sourire inextinguible c'est comme ça que je résiste Chaque jour cette page blanche qui me nargue comme pour décréter la victoire du silence Mille poèmes éclatés sous les décombres du quotidien Le temps pervers dévidant les mots pour les dire C'est encore loin le temps des cerises et des mains chargées d'offrandes immédiates le ciel ouvert au matin frais des libertés la joie de dire et la tristesse heureuse C'est encore loin le temps des cerises et des cités émerveillées de silence à l'aurore fragile de nos amours la fringale des rencontres les rêves fous devenus tâches quotidiennes C'est encore loin le temps des cerises mais je le sens déjà qui palpite et lève tout chaud en germe dans ma passion du futur mais c'est un guide sûr un excellent sourcier Croyez-moi il y a lieu d'espoir Maison centrale de Kénitra, 1978 |
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Abdellatif Laâbi (1942 - ?) |
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Portrait de Abdellatif Laâbi | |||||||||