Alfred de Musset |
ô ciel! je vous revois, madame, - De tous les amours de mon âme Vous le plus tendre et le premier. Vous souvient-il de notre histoire? Moi, j'en ai gardé la mémoire : - C'était, je crois, l'été dernier. Ah! marquise, quand on y pense, Ce temps qu'en folie on dépense, Comme il nous échappe et nous fuit! Sais-tu bien, ma vieille maîtresse, Qu'à l'hiver, sans qu'il y paraisse, J'aurai vingt ans, et toi dix-huit? Eh bien! m'amour, sans flatterie, Si ma rose est un peu pâlie, Elle a conservé sa beauté. Enfant! jamais tête espagnole Ne fut si belle, ni si folle. - Te souviens-tu de cet été? De nos soirs, de notre querelle ? Tu me donnas, je me rappelle, Ton collier d'or pour m'apaiser, - Et pendant trois nuits, que je meure, Je m'éveillai tous les quarts d'heure, Pour le voir et pour le baiser. Et ta duègne, ô duègne damnée! Et la diabolique journée Où tu pensas faire mourir, Ô ma perle d'Andalousie, Ton vieux mari de jalousie, Et ton jeune amant de plaisir! Ah! prenez-y garde, marquise, Cet amour-là, quoi qu'on en dise, Se retrouvera quelque jour. Quand un cour vous a contenue, Juana, la place est devenue Trop vaste pour un autre amour. Mais que dis-je ? ainsi va le monde. Comment lutterais-je avec l'onde Dont les flots ne reculent pas ? Ferme tes yeux, tes bras, ton âme; Adieu, ma vie, - adieu, madame, Ainsi va le monde ici-bas. Le temps emporte sur son aile Et le printemps et l'hirondelle, Et la vie et les jours perdus; Tout s'en va comme la fumée, L'espérance et la renommée, Et moi qui vous ai tant aimée, Et toi qui ne t'en souviens plus ! |
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Alfred de Musset (1810 - 1857) |
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