Alfred de Musset |
Je n'ai jamais aimé, pour ma part, ces bégueules Qui ne sauraient aller au Prado toutes seules, Qu'une duègne toujours de quartier en quartier Talonne, comme fait sa mule au muletier; Qui s'usent, à prier, les genoux et la lèvre, Se courbant sur le grès, plus pâles dans leur fièvre Qu'un homme qui, pieds nus, marche sur un serpent, Ou qu'un faux monnayeur, au moment qu'on le pend. Certes, ces femmes-là, pour mener cette vie, Portent un cour châtré de toute noble envie; Elles n'ont pas de sang et pas d'entrailles. - Mais, Sur ma tête et mes os, frère, je vous promets Qu'elles valent encor quatre fois mieux que celles Dont le temps se dépense en intrigues nouvelles. Celles-là vont au bal, courent les rendez-vous, Savent dans un manchon cacher un billet doux, Serrer un ruban noir sur un beau flanc qui ploie, Jeter d'un balcon d'or une échelle de soie, Suivre l'imbroglio de ces amours mignons, Poussés en une nuit comme des champignons. Si charmantes, d'ailleurs ! aimant en enragées Les moustaches, les chiens, la valse et les dragées. Mais, oh! la triste chose et l'étrange malheur, Lorsque dans leurs filets tombe un homme de cour! Frère, mieux lui vaudrait, comme ce statuaire Qui pressait dans ses bras son amante de pierre 2, Réchauffer de baisers un marbre, mieux vaudrait Une louve affamée en quelque âpre forêt. Ce que je dis ici, je le prouve en exemple. J'entre donc en matière, et, sans discours plus ample, Écoutez une histoire : Un mardi, cet été, Vers deux heures de nuit, si vous aviez été Place San-Bernardo, contre la jalousie D'une fenêtre en brique, à frange cramoisie, Et que, le cerveau mû de quelque esprit follet, Vous eussiez regardé par le trou du volet, Vous auriez vu, d'abord, une chambre tigrée 3, De candélabres d'or ardemment éclairée; Des marbres, des tapis montant jusqu'aux lambris; Çà et là, les flacons d'un souper en débris; Des vins, mille parfums; à terre, une mandore Qu'on venait de quitter, et frémissant encore, De même que le sein d'une femme frémit Après qu'elle a dansé. - Tout était endormi; La lune se levait; sa lueur souple et molle, Glissant aux trèfles gris de l'ogive espagnole, Sur les pâles velours et le marbre changeant Mêlait aux flammes d'or ses longs rayons d'argent. Si bien que, dans le coin le plus noir de la chambre, Sur un lit incrusté de bois de rose et d'ambre, En y regardant bien, frère, vous auriez pu, Dans l'ombre transparente, entrevoir un pied nu. - Certes, l'Espagne est grande, et les femmes d'Espagne Sont belles; mais il n'est château, ville ou campagne, Qui, contre ce pied-là, n'eût en vain essayé (Comme dans Cendrillori) de mesurer un pied. Il était si petit, qu'un enfant l'eût pu prendre Dans sa main. - N'allez pas, frère, vous en surprendre; La dame dont ici j'ai dessein de parler Était de ces beautés qu'on ne peut égaler : Sourcils noirs, blanches mains, et pour la petitesse De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse. Cependant, les rideaux, autour d'elle tremblant, La laissaient voir pâmée aux bras de son galant; Oil humide, bras morts, tout respirait en elle Les langueurs de l'amour, et la rendait plus belle. Sa tête avec ses seins roulait dans ses cheveux, Pendant que sur son corps mille traces de feux, Que sa joue empourprée, et ses lèvres avides, Qui se pressaient encor, comme en des baisers vides, Et son cour gros d'amour, plus fatigué qu'éteint, Tout d'une folle nuit vous eût rendu certain. Près d'elle, son amant, d'un oil plein de caresse, Cherchant l'oil de faucon de sa jeune maîtresse, Se penchait sur sa bouche, ardent à l'apaiser, Et pour chaque sanglot lui rendait un baiser. Ainsi passait le temps. - Sur la place moins sombre, Déjà le blanc matin faisant grisonner l'ombre, L'horloge d'un couvent s'ébranla lentement; Sur quoi le jouvenceau courut, en un moment, D'abord à son habit, ensuite à son épée; Puis, voyant sa beauté de pleurs toute trempée : « Allons, mon adorée, un baiser, et bonsoir! - Déjà partir, méchant! - Bah! je viendrai vous voir Demain, midi sonnant; adieu, mon amoureuse! - Don Paez; don Paez! Certe, elle est bien heureuse, La galante pour qui vous me laissez si tôt. - Mauvaise! vous savez qu'on m'attend au château. Ma galante, ce soir, mort-Dieu, c'est ma guérite. - Eh! pourquoi donc alors l'aller trouver si vite? Par quel serment d'enfer êtes-vous donc hé? - Il le faut. Laisse-moi baiser ton petit pied! - Mais regardez un peu, qu'un ht de bois de rose, Des fleurs, une maîtresse, une alcôve bien close, Tout cela ne vaut pas, pour un fin cavalier, Une vieille guérite au coin d'un vieux pilier! - La belle épaule blanche, ô ma petite fée! Voyons, un beau baiser. - Comme je suis coiffée! Vous êtes un vilain! - La paix! Adieu, mon cour; Là, là, ne faites pas ce petit air boudeur. Demain, c'est jour de fête, un jour de promenade, Veux-tu? - Non, ma jument anglaise est trop malade. - Adieu donc; que le diable emporte ta jument! - Don Paez! mon amour, reste encore un moment. - Ma charmante, allez-vous me faire une querelle? Ah! je m'en vais si bien vous décoiffer, ma belle, Qu'à vous peigner, demain, vous passerez un jour! - Allez-vous-cn, vilain! - Adieu, mon seul amour! » Il jeta son manteau sur sa moustache blonde, Et sortit; l'air était doux, et la nuit profonde; D détourna la rue à grands pas, et le bruit De ses éperons d'or se perdit dans la nuit. Oh! dans cette saison de verdeur et de force, Où la chaude jeunesse, arbre à la rude écorce, Couvre tout de son ombre, horizon et chemin, Heureux, heureux celui qui frappe de la main Le col d'un étalon rétif, ou qui caresse Les seins étincelants d'une folle maîtresse. II Don Paez, l'arme au bras, est sur les arsenaux; Seul, en silence, il passe au revers des créneaux; On le voit comme un point; il fume son cigare En route, et d'heure en heure, au bruit de la fanfare, 11 mêle sa réponse au qui-vive effrayant Que des lansquenets gris s'en vont partout criant. Près de lui, çà et là, ses compagnons de guerre, Les uns dans leurs manteaux s'endormant sur la terre, D'autres jouant aux dés. - Propos, récits d'amours, Et le vin (comme on pense), et les mauvais discours N'y manquent pas. - Pendant que l'un fait, après boire, Sur quelque brave fille une méchante histoire, L'autre chante à demi, sur la table accoudé. Celui-ci, de travers examinant son dé, À chaque coup douteux grince dans sa moustache. Celui-là, relevant le coin de son panache, Fait le beau parleur, jure; un autre, retroussant Sa barbe à moitié rouge, aiguisée en croissant, Se verse d'un poignet chancelant, et se grise À la santé du roi, comme un chantre d'éghse. Pourtant un maigre suif, allumé dans un coin, Chancelle sur la nappe à chaque coup de poing. Voici donc qu'au milieu des rixes, des injures, Des bravos, des éclats qu'allument les gageures, L'un d'eux : « Messieurs, dit-il, vous êtes gens du roi, Braves gens, cavaliers volontaires. - Bon. - Moi, Je vous déclare ici trois fois gredin et traître, Celui qui ne va pas proclamer, reconnaître, Que les plus belles mains qu'en ce chien de pays On puisse voir encor de Burgos à Cadix, Sont celles de dofia Cazales de Séville, Laquelle est mi maîtresse, au dire de la ville! » Ces mots, à peine dits, causèrent un haro Qui du prochain couvent ébranla le carreau. Il n'en fut pas un seul qui de bonne fortune Ne se dît passé maître, et n'en vantât quelqu'une : Celle-ci pour ses pieds, celle-là pour ses yeux; L'autre c'était la taille, et l'autre les cheveux. Don Paez, cependant, debout et sans parole, Souriait; car, le sein plein d'une ivresse folle, Il ne pouvait fermer ses paupières sans voir Sa maîtresse passer, blanche avec un oil noir! « Messieurs, cria d'abord notre moustache rousse, La petite Inésille est la peau la plus douce Où j'aie encor frotté ma barbe jusqu'ici. - Monsieur, dit un voisin rabaissant son sourcil, Vous ne connaissez pas l'Arabelle; elle est brune Comme un jais. - Quant à moi, je n'en puis citer une, Dit quelqu'un, j'en ai trois. - Frères, cria de loin Un dragon jaune et bleu qui dormait dans du foin, Vous m'avez éveillé; je rêvais à ma belle. - Vrai, mon petit ribaudl dirent-ils, quelle est-elle? » Lui, bâillant à moitié : « Par Dieu! c'est POrvado, Dit-il, la Juana, place San-Bernardo. » Dieu fit que don Paez l'entendit; et la fièvre Le prenant aux cheveux, il se mordit la lèvre : « Tu viens là de lâcher quatre mots imprudents, Mon cavalier, dit-il, car tu mens par tes dents! La comtesse Juana d'Orvado n'a qu'un maître, Tu peux le regarder, si tu veux le connaître. - Vrai? reprit le dragon; lequel de nous ici Se trompe ? Elle est à moi, cette comtesse aussi. - Toi? s'écria Paez; mousqueton d'écurie, Prendras-tu ton épée, ou s'il faut qu'on t'en prie? Elle est à toi, dis-tu? Don Êtur! sais-tu bien Que j'ai suivi quatre ans son ombre comme un chien? Ce que j'ai fait ainsi, penses-tu que le fasse Ce peu de hardiesse empreinte sur ta face, Lorsque j'en saigne encor, et qu'à cette douleur J'ai pris ce que mon front a gardé de pâleur? - Non, mais je sais qu'en tout, bouquets et sérénades, Elle m'a bien coûté deux ou trois cents cruzades 4. - Frère, ta langue est jeune et facile à mentir. - Ma main est jeune aussi, frère, et rude à sentir - Que je la sente donc, et garde que ta bouche Ne se rouvre une fois, sinon je te la bouche Avec ce poignard, traître, afin d'y renfoncer Les faussetés d'enfer qui voudraient y passer. - Oui-da! celui qui parle avec tant d'arrogance, À défaut de son droit, prouve sa confiance; Et quand avons-nous vu la belle? Justement Cette rtuit? - Ce matin. - Ta lèvre sûrement N'a pas de ses baisers si tôt perdu la trace? - Je vais te les cracher, si tu veux, à la face. - Et ceci, dit Étur, ne t'est pas inconnu? » Comme, à cette parole, il montrait son sein nu, Don Paez, sur son cour, vit une mèche noire Que gardait sous du verre un médaillon d'ivoire; Mais dès que son regard, plus terrible et plus prompt Qu'une flèche, eut atteint le redoutable don, Il recula soudain de douleur et de haine, Comme un taureau qu'un fer a piqué dans l'arène : « Jeune homme, cria-t-il, as-tu dans quelque lieu Une mère, une femme? ou crois-tu pas en Dieu? Jure-moi par ton Dieu, par ta mère et ta femme, Par tout ce que tu crains, par tout ce que ton âme Peut avoir de candeur, de franchise et de foi, Jure que ces cheveux sont à toi, rien qu'à toil Que tu ne les as pas volés à ma maîtresse, Ni trouvés, - ni coupés par derrière à la messe! - J'en jure, dit l'enfant, ma pipe et mon poignard. - Bien! reprit'don Paez, le traînant à l'écart, Viens ici, je te crois quelque vigueur à l'âme. En as-tu ce qu'il faut pour tuer une femme? .- Frère, dit don Étur, j'en ai trois fois assez Pour donner leur paiement à tous serments faussés. - Tu vois, prit don Paez, qu'il faut qu'un de nous meure. Jurons donc que celui qui sera dans une heure Debout, et qui verra le soleil de demain, Tuera la Juana d'Orvado de sa main. - Tope, dit le dragon, et qu'elle meure, comme Il est vrai qu'elle va causer la mort d'un homme. » Et sans vouloir pousser son discours plus avant, Comme il disait ce mot, il mit la dague au vent. Comme on voit dans l'été, sur les herbes fauchées, Deux louves, remuant les feuilles desséchées, S'arrêter face à face, et se montrer la dent; La rage les excite au combat; cependant Elles tournent en rond lentement, et s'attendent; Leurs mufles amaigris l'un vers l'autre se tendent. Tels, et se renvoyant de plus sombres regards, Les deux rivaux, penchés sur le bord des remparts, S'observent; - par instants entre leur main rapide S'allume sous l'acier un éclair homicide, Tandis qu'à la lueur des flambeaux incertains, Tous viennent à voix basse agiter leurs destins. Eux, muets, haletants vers une mort hâtive, Pareils à des pêcheurs courbés sur une rive. Se poussent à l'attaque, et, prompts à riposter, Par l'injure et le fer tâchent de s'exciter. Étur est plus ardent, mais don Paez plus ferme. Ainsi que sous son aile un cormoran s'enferme, Tel il s'est enfermé sous sa dague; - le mur Le soutient; à le voir, on dirait à coup sûr Une pierre de plus dans les pierres gothiques Qu'agitent les falots en spectres fantastiques. Il attend. - Pour Étur, tantôt d'un pied hardi, Comme un jeune jaguar, en criant il bondit; Tantôt calme à loisir, il le touche et le raille, Comme pour l'exciter à quitter la muraille. Le manège fut long. - Pour plus d'un coup perdu, Plus d'un bien adressé fut aussi bien rendu, Et déjà leurs cuissards, où dégouttaient des larmes, Laissaient voir clairement qu'ils saignaient sous leurs [armes. Don Paez le premier, parmi tous ces débats, Voyant qu'à ce métier ils n'en finissaient pas : « À toi, dit-il, mon brave! et que Dieu te pardonne! » Le coup fut mal porté, mais la botte était bonne; Car c'était une botte à lui rompre du coup, S'il l'avait attrapé, la tête avec le cou. Étur l'évita donc, non sans peine, et l'épée Se brisa sur le sol, dans son effort trompée. Alors, chacun saisit au corps son ennemi, Comme après un voyage on embrasse un ami. - Heur et malheur! On vit ces deux hommes s'étreindre Si fort que l'un et l'autre ils faillirent s'éteindre, Et qu'à peine leur cour eut pour un battement Ce qu'il fallait de place en cet embrassement. - Effroyable baiser! - où nul n'avait d'envie Que de vivre assez long pour prendre une autre vie; Où chacun, en mourant, regardait l'autre, et si, En le faisant râler, il râlait bien aussi; Où, pour trouver au cour les routes les plus sûres Les mains avaient du fer, les bouches des morsures. - Effroyable baiser! - Le plus jeune en mourut. II blêmit tout à coup comme un mort, et l'on crut, Quand on voulut après le tirer à la porte, Qu'on ne pourrait jamais, tant l'étreinte était forte, Des bras de l'homicide ôter le trépassé. - C'est ainsi que mourut Étur de Guadassé. Amour, fléau du monde, exécrable folie, Toi qu'un lien si frêle à la volupté lie, Quand par tant d'autres nouds tu tiens à la douleur. Si jamais, par les yeux d'une femme sans cour, Tu peux m'entrer au ventre et m'empoisonner l'âme, Ainsi que d'une plaie on arrache une lame, Plutôt que comme un lâche on me voie en souffrir, Je t'en arracherai, quand j'en devrais mourir. III Connaîtricz-vous point, frère, dans une rue Déserte, une maison sans porte, à moitié nue, Près des barrières, triste ; - on n'y voit jamais rien, Sinon un pauvre enfant fouettant un maigre chien; Des lucarnes sans vitre, et par le vent cognées, Qui pendent, comme font des toiles d'araignées; Des pignons délabrés, où glisse par moment Un lézard au soleil; - d'ailleurs, nul mouvement Ainsi qu'on voit souvent, sur le bord des marnières, S'accroupir vers le soir de vieilles filandières, Qui, d'une main calleuse agitant leur coton, Faibles, sur leur genou laissent choir leur menton; De même l'on dirait que, par l'âge lassée, Cette pauvre maison, honteuse et fracassée, S'est accroupie un soir au bord de ce chemin. C'est là que don Paez, le lendemain matin, Se rendait. - Il monta les marches inégales, Dont la mousse et le temps avaient rompu les dalles. - Dans une chambre basse, après qu'il fut entré, Il regarda d'abord d'un air mal assuré. Point de ht au dedans. - Une fumée étrange Seule dans ce taudis atteste qu'on y mange. Ici, deux grands bahuts, des tabourets boiteux, Cassant à tout propos quand on s'assoit sur eux; - Des pots; - mille haillons; - et sur la cheminée, Où chantent les grillons la nuit et la journée, Quatre méchants portraits pendus, représentant Des faces qui feraient fuir en enfer Satan. « Femme, dit don Paez, es-tu là? » - Sur la porte Pendait un vieux tapis de laine rousse, en sorte Que le jour en tout point trouait le canevas; Pour l'écarter du mur, Paez leva le bras. « Entre », répond alors une voix craillée. Sur un mauvais grabat, de lambeaux habillée, Une femme, pieds nus, découverte à moitié, Gisait. - C'était horreur delà voir, - et pitié. Peut-être qu'à vingt ans elle avait été belle; Mais un précoce automne avait passé sur elle; Et noire comme elle est, on dirait à son teint. Que sur son front hâlé ses cheveux ont déteint. A dire vrai, c'était une fille de joie. Vous l'eussiez vue un temps en basquine de soie, Et l'on se retournait quand, avec son grelot, La Belisa passait sur sa mule au galop. C'étaient des boléros, des fleurs, des mascarades. La misère aujourd'hui l'a prise. - Les alcades, Connaissant ie taudis pour triste et mal hanté, La laissent sous son toit mourir par charité. Là, depuis quelques ans, elle traîne une vie Que soutient à grand'peine une sale industrie : Elle passe à Madrid pour sorcière, et les gens Du peuple vont la voir à l'insu des sergents. Don Paez, cependant, hésitant à sa vue, Elle lui tend les bras, et sur sa gorge nue, Qui se levait encor pour un embrassement, Elle veut l'attirer. IV Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune, Peignant sur son cou blanc sa chevelure brune 1 Sous la tresse d'ébène on dirait, à la voir, Une jeune guerrière avec un casque noir! Son voile déroulé plie et s'affaisse à terre. Comme elle est belle et noble! et comme, avec mystère, L'attente du plaisir et le moment venu Font sous son collier d'or frissonner son sein nu! Elle écoute. - Déjà, dressant mille fantômes, La nuit comme un serpent se roule autour des dômes; Madrid, de ses mulets écoutant les grelots, Sur son fleuve endormi promène ses falots. - On croirait que, féconde en rumeurs étouffées, La ville s'est changée en un palais de fées, Et que tous ces granits dentelant les clochers Sont aux cimes des toits des follets accrochés s. La senora, pourtant, contre sa jalousie. Collant son front rêveur à sa vitre noircie Tressaille chaque fois que l'écho d'un pilier Répète derrière elle un pas dans l'escalier. - Oh! comme à cet instant bondit un cour de femme! Quand l'unique pensée où s'abîme son âme Fuit et grandit sans cesse, et devant son désir Recule comme une onde, impossible à saisir! Alors, le souvenir excitant l'espérance, L'attente d'être heureux devient une souffrance; Et l'oil ne sonde plus qu'un gouffre éblouissant, Pareil à ceux qu'en songe Alighieri descend. Silence ! - Voye2-vous, le long de cette rampe, Jusqu'au faîte en grimpant tournoyer une lampe ? On s'arrête; - on l'éteint. - Un pas précipité Retentit sur la dalle, et vient de ce côté. - Ouvre la porte, Inès, et vois-tu pas, de grâce, Au bas de la poterne un manteau gris qui passe? Vois-tu sous le portail marcher un homme armé ? C'est lui, c'est don Paez! - Salut, mon bien-aimél |
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Alfred de Musset (1810 - 1857) |
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