Alfred de Musset |
Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle, Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour, N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ; Si tu veux être aimé, respecte ton amour. Si l'efTort est trop grand pour la faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, Epargne-toi du moins le tourment de la haine ; A défaut du pardon, laisse venir l'oubli. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints. Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière; Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains. Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un amour trompé? Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé ? Le coup dont tu te plains t'a préservé peut-être, Enfant ; car c'est par là que ton cour s'est ouvert. L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. C'est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême, Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté. Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ; Pour vivre et pour sentir l'homme a besoin des pleurs ; La joie a pour symbole une plante brisée, Humide encor de pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ? N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ? Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie, Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu ? Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère, Avec un vieil ami tu bois en liberté, Dis-moi, d'aussi bon cour lèverais-tu ton verre, Si tu n'avais senti le prix de la gaîté ? Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure, Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux, Michel-Ange et les arts, Shakespeare et la nature, Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots? Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie, Le silence des nuits, le murmure des flots, Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos ? N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse ? Et, lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main, Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ? N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ? Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ? Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune, Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras, Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune, Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ? De quoi te plains-tu donc ? L'immortelle espérance S'est retrempée en toi sous la main du malheur. Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience, Et détester un mal qui t'a rendu meilleur? O mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle, Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ; Plains-la ! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ; Mais le destin voulait qu'elle brisât ton cour. Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ; Une autre a recueilli le fruit de ta douleur. Plains-la! son triste amour a passé comme un songe; Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer. Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge. Quand tout l'aurait été, plains-la ! tu sais aimer. |
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Alfred de Musset (1810 - 1857) |
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