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Les Poésies nouvelles


Poésie / Poémes d'Alfred de Musset





« Un soir, nous étions seuls... »



Le récit en vers Rolla est né d'un fait divers : le suicide d'un joueur, habitué du Café de Paris, homme connu de Musset. Son frère Paul témoigne de « ce lugubre épisode qui ne fut pas étranger à la conception de Rolla » en ces termes : « Un soir, on apprit qu'un des habitués de la réunion ne viendrait plus. Le bruit courut qu'il avait pris avec lui-même l'engagement de se brûler la cervelle le jour où il aurait perdu ou dépensé son dernier louis, et que, ce moment venu, il s'était tenu parole. » Le frère du poète rappelle aussi dans sa Biographie comment Rolla fut accueilli : « Après la publication des Caprices de Marianne, Alfred se trouvait un matin chez Mme Tattet, la mère. MM. Sainte-Beuve, Antony Deschamps, Ulric Guttinguer et plusieurs autres littérateurs assistaient à ce déjeuner [...]. Quand le dessert fut servi on lui demanda des vers et il récita la première partie d'un poème inédit. C'est Rolla dont il n'avait encore parlé qu'à son frère. L'auditoire accueillit cette poésie avec des transports de joie. »



Ce poème étrange, qui ouvre les Poésies nouvelles, offre des passages souvent cités. Dès le début, il surprend par son ampleur :



Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre

Marchait et respirait dans un peuple de dieux;

Où Vénus Astarté, fille de l'onde amère,

Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère,

Et fécondait le monde en tordant ses cheveux?

Regrettez-vous le temps où les Nymphes lascives

Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux.

Et d'un éclat de rire agaçaient sur les rives

Les Faunes indolents couchés dans les roseaux?

Où les sources tremblaient des baisers de Narcisse?



Nous sommes là entre La Fontaine et Valéry. Par la suite, on trouve un ton nouveau, inquiet, désemparé qui fait oublier quelque emphase. C'est encore le thème de l'homme blasé, impur, en proie à ses mauvais démons, avec une interrogation soudaine : celle de l'être en danger qui, dans un sursaut désespéré, tente de se sauver, de recourir à la foi perdue, de se rattacher à l'amour purificateur de la femme ou au salut par le souvenir d'une enfance préservée. Et le poète, attaquant Voltaire, s'en prend au scepticisme contagieux :



Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire

Voltige-t-il encor sur tes os décharnés?

Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire;

Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.

Il est tombé sur nous, cet édifice immense

Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.



Après un dialogue avec Marie, Rolla prend le flacon du suicide, le vide, embrasse celle qu'il aime :



Dans ce chaste baiser son âme était partie,

Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.



L'univers du double jeu : celui du tapis vert et celui de la vie, se retrouve dans Une bonne fortune, poème né d'un séjour à Bade où



Là, du soir au matin, roule le grand peut-être,

Le hasard, noir flambeau de ces siècles d'ennui,

Le seul qui dans le ciel flotte encore aujourd'hui.



Dans l'élégie Lucie, des vers comme



Fille de la douleur, harmonie! harmonie!

Langue que pour l'amour inventa le génie!

Qui nous vint d'Italie, et qui lui vint des deux! sont précédés et suivis de ce sixain célèbre avec sa douceur de romance :



Mes chers amis, quand je mourrai.

Plantez un saule au cimetière.

J'aime son feuillage éploré;

La pâleur m'en est douce et chère,

Et son ombre sera légère A la terre où je dormirai.



Les Quatre Nuits. ,

Et vient dans le recueil la surprise de la Nuit de Mai : « Poète, prends ton luth et me donne un baiser. » Ces quatre Nuits représentent dans notre poésie un phénomène unique. Elles donnent la meilleure idée de ce que peut être un poète inspiré qui rencontre vraiment sa muse, sans qu'il y ait rien là de laborieux, de forcé, d'attendu. Il y a en fait dedoublement du poète celui qui s'affirme dans la Nuit de DAcembre-ex ce sont des dialogues entre Musset et Musset, ce qui leur donne vérité, couleur et surtout cette coulée naturelle qui charme le lecteur. On a parfois voulu trouver dans les Nuits les étapes d'un itinéraire spirituel et on a tenté par des exégèses de leur trouver une suite et une progression. Elles viennent du cour, de l'inspiration du moment, elles naissent de l'émotion, elles ne sont nullement forcées, elles sortent des sentiers battus de toute logique. Projection de la dualité du poète, elles forment une musique de voix opposées, avec chacune sa mesure, ses timbres, ses sonorités du grave à l'aigu, ses couleurs du bleu de ciel au noir infernal, ses épisodes de la blessure à l'espérance, de la souffrance à la création. C'est la face d'ombre et la face de lumière dialoguant. Comme dans ses pièces où les personnages parlent presque toujours deux à deux, le même dialogue se retrouve ici. Il est heureux que ces Nuits ne se ressemblent pas, que Musset, comme l'aurait fait un contemporain de Saint-Lambert ou de Delille, n'ait pas cherché à couvrir les douze mois de l'année. Quelques mots sur la naissance de la première de ces ouvres, la Nuit de Mai : c'est le moment où Musset dit avoir cloué dans la bière sa première jeunesse, sa paresse et sa vanité. Il dit : « Je crois sentir enfin que ma pensée, comme une plante qui a été longtemps arrosée, a puisé dans la terre des sucs pour croître au soleil. Il me semble que je vais bientôt parler et que j'ai quelque chose dans l'âme qui demande à sortir. » Ce qui demandait à sortir, nous apprend Paul de Musset, c'était la Nuit de Mai qui ajoute : « Il avait, comme Fantasio, le mois de mai sur les joues. » Ces Nuits seront préparées avec apparat : à la lueur des flambeaux, avec deux couverts pour que la place de la muse soit marquée. Cela fait sourire peut-être, mais quelle adolescence dans cette préparation à l'écriture! Écoutons le début de cette Nuit printanière :



La Muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser;

La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,

Le printemps naît ce soir; les vents vont s'embraser;

Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,

Aux premiers buissons verts commence à se poser.

Poète, prends ton luth et me donne un baiser.



Le Poète

Comme il fait noir dans la vallée!

J'ai cru qu'une forme voilée



Flottait là-bas sur la forêt.

Elle sortait de la prairie;

Son pied rasait l'herbe fleurie;

C'est une étrange rêverie;

Elle s'efface et disparaît.



La Muse

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,

Balance le zéphyre dans son voile odorant.

La rose, vierge encor, se referme jalouse

Sur le frelon nacre qu'elle enivre en mourant.

Écoute! tout se tait; songe à ta bien-aimée.

Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée

Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.

Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature

Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,

Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.



Le Poète

Pourquoi mon cour bat-il si vite?

Qu'ai-je donc en moi qui s'agite

Dont je me sens épouvanté?

Ne frappe-t-on pas à ma porte?

Pourquoi ma lampe à demi morte

M'éblouit-elle de clarté?

Dieu puissant! tout mon corps frissonne.

Qui vient? qui m'appelle? - Personne.

Je suis seul; c'est l'heure qui sonne;

Ô solitude! ô pauvreté!



On trouve dans la Nuit de Mai une souffrance prostrée qui cherche un secours dans l'art purificateur tandis que la musique en est fraîche, animée et limpide. D'aucuns souriront au passage de la fable du pélican peu conforme aux sciences naturelles, les mêmes qui sourient de La Fontaine, comme ils se gausseront avec plus de vérité du Rhin allemand. Par-delà le détail, la Nuit de Mai parle encore au poète du temps présent.

La Nuit de Décembre, celle de la solitude, de l'angoisse, a quelque chose de funèbre : c'est le spectre de la jeunesse qui apparaît dans cette odyssée où surgit toujours, effrayant, l'inconnu, l'autre. Le jeune homme qui lira :



Du temps que j'étais écolier,

Je restais un soir à veiller

Dans notre salle solitaire.

Devant ma table vint s'asseoir

Un pauvre enfant vêtu de noir.

Qui me ressemblait comme un frère.



Son visage était triste et beau :

A la lueur de mon flambeau,

Dans mon livre ouvert il vint lire.

Il pencha son front sur sa main,

Et resta jusqu'au lendemain.

Pensif, avec un doux sourire. ne restera pas insensible à ce tableau que chacun a pu surprendre dans sa vie. La narration poétique est coulante, simple et en même temps efficace. Villon se racontant prenait ce ton. Le lecteur se posera peut-être à son tour cette question :



Qui donc es-tu? -

Tu n'es pas mon bon ange,

Jamais tu ne viens m'avertir.

Tu vois mes maux (c'est une chose étrange!)



Et tu me regardes souffrir.

Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,



Et je ne saurais t'appeler.

Qui donc es-tu, si c'est

Dieu qui t'envoie?

Tu me souris sans partager ma joie.

Tu me plains sans me consoler! et la Vision lui dira son nom dans ce final digne du début :



- Ami, notre père est le tien.

Je ne suis ni I ange gardien,

Ni le mauvais destin des hommes.

Ceux que j'aime, je ne sais pas

De quel côté s'en vont leurs pas

Sur ce peu de fange où nous sommes.



Je ne suis ni dieu ni démon,

Et tu m'as nommé par mon nom

Quand tu m'as appelé ton Irère;

Où tu vas, j'y serais toujours,

Jusques au dernier de tes jours,

Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.



Le ciel m'a confié ton cour.

Quand tu seras dans la douleur.

Viens à moi sans inquiétude.

Je te suivrai sur le chemin;

Mais je ne puis toucher ta main,

Ami, je suis la Solitude.



Cette Nuit de Décembre fut écrite après la rupture avec la dame des stances A Ninon. On sait que Musset commença une Nuit de Juin qui fut interrompue. La Nuit d'Août fut écrite selon le même cérémonial romantique que les autres dans un état d'exaltation. Le poète veut vivre, aimer, et il y a plus d'animation, de la joie même. C'est le chant de l'amour douloureux, mais triomphant :



Ô Muse! que m'importe ou la mort ou la vie?

J'aime, et je veux pâlir; j'aime et je veux souffrir;

J'aime, et pour un baiser je donne mon génie;

J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie

Ruisseler une source impossible à tarir.



J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse,

Ma folle expérience et mes soucis d'un jour,

Et je veux raconter et répéter sans cesse

Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse.

J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour.



Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore,

Cour gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé.

Aime, et tu renaîtras; fais-toi fleur pour éclore.

Après avoir souffert, il faut souffrir encore;

Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.



« Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté? » demande la muse et l'on pense à Verlaine : « Dis, qu'as-tu fait toi que voilà? » Malgré l'intervalle de deux années qui sépare la composition de la Nuit d'Octobre de la Nuit d'Août, elle semble la suivre. Malgré les rancours de l'amant trompé le poème va vers la résignation et le pardon :



Le Poète

Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve.

Je n'en puis comparer le lointain souvenir

Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève,

Et qu'avec la rosée on voit s évanouir.



La Muse

Qu'aviez-vous donc, ô mon poète!

Et quelle est la peine secrète

Qui de moi vous a séparé?

Hélas! je m'en ressens encore.

Quel est donc ce fnal que j'ignore

Et dont j'ai si longtemps pleuré?



Le Poète

C'est un mal vulgaire et bien connu des hommes;

Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le cour.

Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,

Que personne avant nous n'a senti la douleur.



La Muse

Il n'est de vulgaire chagrin Que celui d'une âme vulgaire.

Ami, que ce triste mystère S'échappe aujourd'hui de ton sein...



Il est significatif" que cette Nuit d'Octobre se termine comme a commencé celle de Mai; sur une renaissance :



- Et maintenant, blonde rêveuse,

Maintenant, Muse, à nos amours!

Dis-moi quelque chanson joyeuse,

Comme au premier temps des beaux jours

Déjà la pelouse embaumée

Sent les approches du matin;

Viens éveiller ma bien-aimée,

Et cueillir les fleurs du jardin.

Viens voir la nature immortelle

Sortir des voiles du sommeil ;

Nous allons renaître avec elle

Au premier rayon du soleil!



L'Espoir.

Musset cherche toujours une voix qui lui réponde et sans doute est-ce pour cela que lorsque qu'il n'écrit pas des dialogues, il cherche à en entreprendre avec d'autres. Après une lecture des Méditations, il ne résiste pas au désir d'écrire en alexandrins la Lettre à M. de Lamartine dans laquelle il jette l'admiration de toute une génération :



Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,

Ne sait par cour ce chant, des amants adorés.

Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré?



Après cela, Lamartine invita Musset et leurs relations durèrent quelques mois. Le poète du Lac commença une réponse qu'il ne termina pas. Et puis, Lamartine, vieilli, considérait cela d'assez loin. En 1850, Musset écrivait qu'il le traitait encore « en enfant ».

L'Espoir en Dieu est moins anecdotique, mais plus important. Après la Nuit de Mai, ce poème traduit un nouvel effort vers un idéal chrétien qui se refuse. Le chemin est long de l'épicurisme au jansénisme et le poète n'a pas assez de forces pour le parcourir.



Mais cet homme qui se prend à douter garde l'espoir de la seule certitude qui pourrait le sauver. On pense au pari de Pascal :



Si le ciel est désert, nous n'offensons personne;

Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié!



Très belles et fluides sont les Stances à la Malibran, cette éloquente élégie dédiée à une comédienne inspirée plus que soumise aux règles du métier et qui commit, comme lui, les mêmes imprudences romantiques :



Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente,

Que ces cris insensés qui te sortaient du cour

De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur?

Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente,

Ta main de jour en jour se posait plus tremblante

Et que c'est tenter Dieu que d'aimer la douleur?



Dans le poème Souvenir où George Sand apparaît en filigrane, le ton est proche du Lac ou de la Tristesse d'Olympio. La nature berce le lyrisme, le rythme est apaisé. Dans ce désir d'immortaliser un amour, l'influence des aînés est forte :



J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir

En osant te revoir; place à jamais sacrée,

Ô la plus chère tombe et la plus ignorée

Où dorme un souvenir.



Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,

Et ces pas argentins sur le sable muet,

Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,

Où son bras m'enlaçait.



Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,

Cette gorge profonde aux nonchalants détours,

Ces sauvages amis, dont l'antique murmure

A bercé mes beaux jours.



Tableaux classiques.



Dans ces Poésies nouvelles, le premier Musset n'a pas disparu : celui de la fantaisie, de la verve, de la satire, des contes et des romances, le Musset à l'esprit français.

Nous sommes éloignés du haut lyrisme nocturne quand il fait dialoguer deux pauvres bohèmes Durand et Dupont avec réalisme. Durand, poète ossianique en mal d'éditeur, se flatte de ne jamais avoir écrit un livre en bon français, ce qui est pour Musset une occasion de se moquer des romantiques germanolâtres. Son interlocuteur, Dupont, est plus touchant en ce qu'il nourrit le grand rêve humanitaire du siècle, ce dont Musset se sert pour brosser un tableau des utopies sociales : Lamennais, Fourier, Enfantin. Plus que cela qui n'est guère plaisant, on retient le côté xvne siècle de Musset mettant en scène des poètes crottés comme au temps de Scarron et de Saint-Amant.

Un autre poème se relie aussi à ce temps lointain : Sur la paresse, écrit à partir de quatre vers de Mathurin Régnier dont Musset se fait le disciple. Ici, il grince quelque peu, laisse sans doute passer quelque irritation devant son siècle. Ce Régnier qui se redressait « comme un serpent dans l'herbe » pour une balourdise de Malherbe, qui rossait Berthelot de sa main,



Oui, mon cher, ce même homme, et par la raison même

Que son cour débordant poussait tout à l'extrême,

Et qu'au moindre sujet qui venait l'animer

Sachant si bien haïr, il savait tant aimer.

Il eût trouvé ce siècle indigne de satire,

Trop vain pour en pleurer, trop triste pour en rire,

Et, quel qu'en fût son rêve, il l'eût voulu garder,

Il n'est que trop facile, à qui sait regarder,

De comprendre pourquoi tout est malade en France;

Le mal des gens d'esprit, c'est leur indifférence,

Celui des gens de cour, leur inutilité.



Molière est dans ce poème. Il est plus encore dans Une soirée perdue :



J'étais seul, l'autre soir, au Théâtre-Français,

Ou presque seul; l'auteur n'avait pas grand succès.

Ce n'était que Molière...



Et voici qu'une apparition féminine rappelle au spectateur deux vers d'André Chénier. Il n'en faut pas plus pour que se rallume le cour éteint du poète aux yeux blasés. Un autre poème s'en rapproche, Après une lecture (celle de LeopardI) avec son exposé d'une poétique que nous connaissons déjà et qui ne change guère au cours des années. Le plus classique des romantiques a des formules originales et durables parce qu'accordées à son temps :



Vive le vieux roman, vive la page heureuse

Que tourne sur la mousse une belle amoureuse!

Vive d'un doigt coquet le livre déchiré,

Qu'arrose dans le bain le robinet doré!

Et, que tous les pédants frappent leur tète creuse.

Vive le mélodrame où Margot a pleuré.



Il jouera de l'Idylle comme les bergers anciens dans un dialogue entre Rodolphe et Albert. Silvia, comme Simone, est un délassement à la manière de Boccace. Deux imitations d'Horace s'adressent à Lydie. On ne saurait oublier des poèmes de circonstance comme celui Sur la Naissance du comte de Paris ou les stances du Treize Juillet, des poèmes à Sainte-Beuve ou Charles Nodier, des rondeaux à la manière de jadis, et surtout des sonnets qui figurent parmi les plus beaux de la poésie française.



Chansons et sonnets.



Les ouvres légères ont, dans leur genre mineur, autant de qualité qu'ont les grandes ouvres graves comme les Nuits ou l'Espoir en Dieu. Nous verrons que le xix' siècle fut riche en chansonniers et en chansons. Celles de Musset sont parmi les plus belles. Il reste la douceur de l'ancien temps dans cette Chanson de Fortunio :



Si vous croyez que je vais dire

Qui j'ose aimer, Je ne saurais pour un empire

Vous la nommer.

Nous allons chanter à la ronde.

Si vous voulez, Que je l'adore et qu'elle est blonde

Comme les blés.



Mais j'aime trop pour que je die

Qui j'ose aimer,

Et je veux mourir pour ma mie

Sans la nommer.



Les sonorités chères à l'époque sont dans cette Chanson :



A Saint-Biaise, à la Zuecca,

Vous étiez, vous étiez bien aise

A Saint-Biaise.

A Saint-Biaise, à la Zuecca,

Nous étions bien là.



Dans la Chanson de Barberine, un autre écho du temps, avec ce rien moyenâgeux :



Beau chevalier qui partez pour la guerre.

Qu'allez-vous laire

Si loin d'ici? Voyez-vous pas que la nuit est profonde.

Et que le monde

N'est que souci?



Cette légèreté se retrouve dans de courts poèmes comme A une fleur ou Adieu!, mais si le poète répond par un Impromptu à cette question : « Qu'est-ce que la poésie? » cela ne va pas sans quelques banalités :



Chasser tout souvenir et fixer la pensée,

Sur un bel axe d'or la tenir balancée.

Incertaine, inquiète, immobile, pourtant;

Éterniser peut-être un rêve d'un instant;

Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie;

Écouter dans son cour l'écho de son génie;

Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard;

D'un sourire, d'un mot, d'un soupir, d'un regard

Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,



Faire une perle d une larme :

Du poète ici-bas voilà la passion,

Voilà son bien, sa vie et son ambition.



Heureusement, les Nuits nous disent plus et mieux. On préfère que Musset garde le ton de la chanson et il sait le garder jusque dans des poèmes en alexandrins, ce qui est habile :



Si je vous le disais pourtant, que je vous aime.

Oui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez?

L amour, vous le savez, cause une peine extrême;

C'est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même;

Peut-être cependant que vous m en puniriez.



Si je vous le disais, que six mois de silence

Cachent de longs tourments et des voux insensés :

Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance

Se plaît, comme une fée, à deviner d'avance;

Vous me répondriez peut-être : Je le sais.



« Si je vous le disais... » : à partir de cet hémistiche, Musset multiplie les variations amoureuses A Ninon. Il sait être charmant, enjôleur, séducteur. Que représente pour lui la femme? Un objet, comme on dit aujourd'hui, oui, mais un objet d'art. Comme dit Jacques Bens : « Musset considérait les femmes comme un art et pas comme un élément du confort domestique. Il aimait les femmes comme on aime la peinture, la musique, la poésie. » On ajoute : comme Musset aimait la souffrance, la souffrance qui accompagne la passion.

Ses sonnets, le Fils du Titien, Béatrix Donato ou Jamais sont des réussites :



Jamais, avez-vous dit, tandis qu'autour de nous

Résonnait de Schubert la plaintive musique;

Jamais, avez-vous dit, tandis que, malgré vous,

Brillait de vos grands yeux l'azur mélancolique.



Jamais, répétiez-vous, pâle et d'un air si doux

Qu'on eût cru voir sourire une médaille antique.



Mais des trésors secrets l'instinct fier et pudique

Vous couvrit de rougeur, comme un voile jaloux.



Quel mot vous prononcez, marquise, et quel dommage!

Hélas! je ne voyais ni ce charmant visage.

Ni ce divin sourire, en vous parlant d'aimer.



Vos yeux bleus sont moins doux que votre âme n'est belle.

Même en les regardant, je ne regrettais qu'elle.

Et de voir dans sa fleur un tel cour se fermer.



Par Musset, le classicisme trouve des prolongements au XIXe siècle et parfois on pense, quelques tournures mises à part, se retrouver au temps de Voltaire; ainsi dans ces Adieux à Suzon :



Adieu, Suzon, ma rose blonde,

Qui m'as aimé pendant huit jours;

Les plus courts plaisirs de ce inonde

Souvent font les meilleures amours.

Sais-je, au moment où je te quitte.

Où m'entraîne mon astre errant?

Je m'en vais bien pourtant, ma petite,

Bien loin, bien vite,

Toujours courant.



Si l'on cite le Sonnet au lecteur qui clôt le livre des Poésies nouvelles, c'est avec quelque regret, car il est indigne des grands moments de l'ouvrage :



Jusqu'à présent, lecteur, suivant l'antique usage,

Je te disais bonjour à la première page.

Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement;

En vérité, ce siècle est un mauvais moment.



Tout s'en va, les plaisirs et les mours d'un autre âge,

Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,

Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,

Lamartine vieilli qui me traite en enfant.



La politique, hélas! voilà notre misère.

Mes meilleurs ennemis me conseillent d'en (aire.

Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non.



Je veux, quand on m'a lu, qu'on puisse me relire.

Si deux noms, par hasard, s'embrouillent sur ma lyre,

Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.



Nostalgie pour nostalgie, nous préférons terminer ce court voyage parmi les Poésies nouvelles par son plus admirable sonnet, Tristesse :



J'ai perdu ma force et ma vie,

Et mes amis et ma gaieté;

J'ai perdu jusqu'à la fierté

Qui faisait croire à mon génie.



Quand j'ai connu la Vérité,

J'ai cru que c'était une amie;

Quand je l'ai comprise et sentie,

J'en étais déjà dégoûté.



Et pourtant elle est éternelle,

Et ceux qui se sont passés d'elle

Ici-bas ont tout ignoré.



Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.

Le seul bien qui me reste au monde

Est d'avoir quelquefois pleuré.



De Musset, outre les Premières poésies et les Poésies nouvelles, il existe nombre de poèmes réunis sous les titres : Poésies complémentaires, Poésies posthumes, Fragments de poésies, qu'on trouve dans ses recueils. L'ami de la poésie se doit de les lire, s'il veut retrouver une voix chère, mais ils ne contiennent pas de poèmes à la hauteur des plus grands de ses recueils majeurs. Leur contenu est plus historique que poétique. Pourtant le glaneur peut faire quelques trouvailles. Un des poèmes les plus connus s'y trouve. Ce sont les Derniers vers :



L'heure de ma mort, depuis dix-huit mois,

De tous les côtés sonne à mes oreilles,

Depuis dix-huit mois d'ennuis et de veilles,

Partout je la sens, partout je la vois.



Plus je me débats contre ma misère,

Plus s'éveille en moi l'instinct du malheur;

Et, dès que je veux faire un pas sur la terre,

Je sens tout à coup s'arrêter mon cour.



Ma force à lutter s'use et se prodigue.

Jusqu'à mon repos, tout est un combat;

Et, comme un coursier brisé de fatigue,

Mon courage éteint chancelle et s'abat.



Musset aimé et détesté.



Doué de trop de dons, physiques, intellectuels, artistiques, il pouvait susciter des jalousies. Bien qu'il eût écrit dans son discours de réception académique : « Je ne me suis jamais brouillé qu'avec moi-même », son caractère déplut à beaucoup. Héritier d'une tradition classique en temps de rénovation, Français jusqu'à en être Gaulois, ne se voulant dupe de rien, avec sa sensibilité à fleur de peau, son côté enfant qui veut qu'on le plaigne et qu'on l'aime, il n'est pas lait pour plaire à des esprits virils, à des combattants, à des poètes engagés, à ceux qui cherchent dans la poésie une philosophie élevée.

En son temps, Delacroix le trouve incolore. Pour Latouche, il « brise les illusions »; pour Chateaubriand, c'est un alcoolique; pour Victor Hugo, sa réputation n'est qu'un caprice de la mode et il lui donne, lui aussi, le sobriquet de « Miss Byron ». Le plus sévère est Baudelaire, peut-être secrètement envieux d'un dandysme qu'il a lui-même recherché : « Excepté à l'âge de la première communion... je n'ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d'enfant gâté, qui invoque le ciel et l'enfer pour des aventures de table d'hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie. »

Au xixe siècle, il y aura cependant bien des opinions favorables comme celle de Taine : « Y eut-il jamais accent plus vivant et plus vrai? Celui-là au moins n'a jamais menti. Il n'a dit que ce qu'il sentait. Il a pensé tout haut. Il a fait la confession de tout le monde. On ne l'a point admiré, on l'a aimé; c'était plus qu'un poète, c'était un homme. » Écoutons encore quelques voix. Maxime Du Camp : « Il a dû à ces heures d'orage et de douloureuse agonie de laisser échapper en quelques Nuits immortelles des accents qui ont fait vibrer tous les cours, et que rien n'abolira. Tant qu'il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront. » En 1877, Barbey d'Aurevilly fait le point : « La vie d'Alfred de Musset fut élégante et vulgaire... Mais ce qui ne l'est point, ce fut son génie, son génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, le plus nous tous enfin, qui ait jamais existé. » Et Brunetière : « L'amour a trouvé le chemin de ce cour de dandy! C'est vers ce supplice qu'il a « crié » dans ses vers, et c'est la sincérité, c'est l'éloquence du cri qu'il a poussé, c'en est l'accent d'entière vérité qui assurent à jamais la durée de la Lettre à Lamartine, des Nuits, du Souvenir. »



Ce qui soumit Musset, comme d'ailleurs ses contemporains de la première moitié du siècle, à la plus vive des critiques, ce fut l'éclosion qui suivit, beaucoup oubliant leurs dettes, oubliant les premiers pionniers de la recherche, oubliant les barrières établies depuis deux siècles qu'il fallait renverser. Bernard Masson a raison de dire : « Il a peut-être manqué à l'auteur des Nuits ce qui fait la force et la nouveauté d'un Baudelaire : « le travail par lequel une rêverie devient un objet d'art », mais n'oublions pas cependant que Musset a toujours su faire la différence entre art et métier, entre poésie et versification.



Paul Eluard, comme pour La Fontaine, ne le reçoit pas dans son anthologie, mais cette phrase de Jean-Pierre Richard les rapproche : « Comme plus tard chez un Eluard la révélation charnelle commande tout le champ de la création poétique, et cela sans doute parce qu'elle met celui qui aime en possession d'une assurance d'ordre proprement métaphysique. » Comme Richard, Claude Roy a étudié la dualité de Musset : « Le dialogue de Musset avec Musset, écrit-il, ce n'est pas seulement le dialogue de l'esprit critique avec l'engluement dans l'affectivité, de l'ironie avec la sentimentalité, et de la désinvolture avec la pesanteur. Quand Musset a recours à son double et demande à son ombre la complicité d'un ombrage secourable, il sait (comme le découvrira plus tard Lorenzo dans la duplicité du politiquE) que l'Autre en nous peut être celui-là qui offre un marché de dupe. Qu'en promettant un répit au captif il le lui fera payer au prix fort du malheur. Il y a ce double clair qui juge, raille, allège, libère le for intérieur, le double souverain. » Roy considère que « le Musset " quatorze fois exécrable " sur lequel crache Rimbaud, n'est exécrable que quand il est un : pleureur englué dans la passion aveugle, qui déclame en vers ou en prose sa clameur bavarde, et tellement " sincère " qu'on ne croit pas en sa rhétorique ».

Il existe heureusement le Musset double et l'on ne résiste pas à citer encore Claude Roy : « Mais le Musset vivant, ce jeune homme inflétri, quel que soit le mal qu'il se donne pour se dessécher et se détruire, le Musset qui nous touche, comme on donne la main, la pose sur l'épaule en souriant, se moquant pour ne pas pleurer, s'amusant pour n'être pas usé, se survolant pour n'être pas piégé, ce Musset que notre non-éternité aurait presque envie de nommer le Musset " éternel ", ce Musset frère est toujours double. »

Il est vrai que le Musset amical sait nous toucher. « Toutes les jeunes filles veulent épouser Alfred de Musset! » disait Fernand Gregh. Encore une réserve, celle de Georges-Emmanuel Clan-cier : « Un poète, certes, mais plus en prose qu'en vers », car ce poète contemporain voit Musset plus poète et plus vrai dans son théâtre. « L'amour de la mort », dit Maurice Toesca. « Page éternel, poète maudit », ajoute Paul Guth. On se rallie à Kléber Haedens : « Alfred de Musset a le dangereux privilège de rester, par-delà les âges, le poète de la jeunesse, même si la jeunesse le renie et le méprise. » Pour nous, parce qu'il y a un zeste d'espérance au cour de son désespoir, parce qu'il nous dit :



Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, parce qu'il n'est pas un homme de lettres, mais un homme ayant gardé son beau contenu d'enfance jusqu'à la fin de ses jours, parce que, s'il a joué, il a joué « pour de vrai », parce qu'il a su dépasser sa sensiblerie native par une haute sensibilité, parce que sentimen-teux il s'est fait sentimental, parce que, libre en face d'une école toute-puissante, il a su rester lui-même, - pour nous, le plus romantique des classiques et le plus classique des romantiques, ne reniant ni la haute poésie ni la chanson douce qui inspirera Verlaine ou Laforgue -, il reste jeune dans le temps.

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Alfred de Musset
(1810 - 1857)
 
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