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Alfred de Musset



octave - fragment - Poéme


Poéme / Poémes d'Alfred de Musset





Ni ce moine rêveur, ni ce vieux charlatan,
N'ont deviné pourquoi
Mariette est mourante.
Elle est frappée au cour, la belle indifférente;
Voilà son mal, - elle aime. -
Il est cruel pourtant
De voir entre les mains d'un cafard et d'un âne.
Mourir cette superbe et jeune courtisane.
Mais chacun a son jour, et le sien est venu;
Pour moi, je ne crois guère à ce mal inconnu.
Tenez, - la voyez-vous, seule, au pied de ces arbres,
Chercher l'ombre profonde et la fraîcheur des marbres,
Et plonger dans le bain ses membres en sueur?
Je gagerais mes os qu'elle est frappée au cour.
Regardez : - c'est ici, sous ces longues charmilles,
Qu'hier encor, dans ses bras, loin des rayons du jour,
Ont pâli les enfants des plus nobles familles.
Là s'exerçait dans l'ombre un redoutable amour;
Là, cette
Messaline ouvrait ses bras rapaces
Pour changer en vieillards ses frêles favoris,
Et, répandant la mort sous des baisers vivaces,
Buvait avec fureur ses éléments chéris,
L'or et le sang. -



Hélas! c'en est fait,
Mariette,
Maintenant te voilà solitaire et muette.
Tu te mires dans l'eau; sur ce corps si vante
Tes yeux cherchent en vain ta fatale beauté.
Va courir maintenant sur les places publiques.
Tire par les manteaux tes amants magnifiques.
Ceux qui, l'hiver dernier, t'ont bâti ton palais,.
T'enverront demander ton nom par leurs valets.
Le médecin s'éloigne en haussant les épaules;
Il soupire, il se dit que l'art est impuissant.
Quant au moine stupide, il ne sait que deux rôles,
L'un pour le criminel, l'autre pour l'innocent;
Et, voyant une femme en silence s'éteindre,
Ne sachant s'il devait ou condamner ou plaindre,
D'une bouche tremblante il les a dits tous deux.
Mariai
Maria! superbe créature,
Tu seras ce chasseur imprudent que les dieux
Aux chiens qu'il nourrissait jetèrent en pâture.



Sous le tranquille abri des citronniers en fleurs,
L'infortunée endort le poison qui la mine;
Et, comme
Madeleine, on voit sur sa poitrine
Ruisseler les cheveux ensemble avec les pleurs .

Était-ce un connaisseur en matière de femme,

Cet écrivain qui dit que, lorsqu'elle sourit,

Elle vous trompe; elle a pleuré toute la nuit?

Ah! s'il est vrai qu'un oil plein de joie et de flamme,

Une bouche riante, et de légers propos

Cachent des pleurs amers et des nuits de sanglots;

S'il est vrai que l'acteur ait l'âme déchirée

Quand le masque est fardé de joyeuses couleurs,

Qu'est-ce donc quand la joue est ardente et plombée,

Quand le masque lui-même est inondé de pleurs ?

Je ne sais si jamais l'éternelle justice

A du plaisir des dieux fait un plaisir permis;



Mais, s'il m'était donné de dire à quel supplice
Je voudrais condamner mon plus fier ennemi,
C'est toi, pâle souci d'une amour dédaignée,
Désespoir misérable et qui meurs ignoré,
Oui, c'est toi, ce serait ta lame empoisonnée
Que je voudrais briser dans un cour abhorré!
Savez-vous ce que c'est que ce mal solitaire?
Ce qu'il faut en souffrir seulement pour s'en taire ?
Pour que toute une mer d'angoisses et de maux
Demeure au fond du crâne, entre deux faibles os?...

Et comment voudrait-il, l'insensé, qu'on le plaigne ?
Sois méprisé d'un seul, c'est à qui t'oubliera.
D'ailleurs, l'inexorable orgueil n'cst-il pas là ?
L'orgueil, qui craint les yeux, et, sur son flanc qui saigne,
Retient, comme
César, jusque sous le couteau,
De ses débiles mains les plis de son manteau.

Sur les flots engourdis de ces mers indolentes,

Le nonchalant
Octave, insolemment paré,

Ferme et soulève, au bruit des valses turbulentes,

Ses yeux, ses beaux yeux bleux, qui n'ont jamais pleuré.

C'est un chétif enfant; - il commence à paraître,

Personne jusqu'ici ne l'avait aperçu.

On raconte qu'un jour, au pied de sa fenêtre,

La belle
Mariette en gondole l'a vu.

Une vieille ce soir l'arrête à son passage :

«
Hélas! a-t-elle dit d'une tremblante voix,

Elle voudrait vous voir une dernière fois. »
Mais
Octave, à ces mots, découvrant son visage,
A laissé voir un front où la joie éclatait : «
Mariette se meurt! est-on sûr qu'elle meure?
Dit-il. -
Le médecin lui donne encore une heure. -
Alors, réplique-t-il, porte-lui ce billet. »
II écrivit ces mots du bout de son stylet : «
Je suis femme,
Maria; tu m'avais offensée.



«
Je puis te pardonner, puisque tu meurs par moi. «
Tu m'as vengée! adieu. -
Je suis la fiancée «
De
Petruccio
Balbi qui s'est noyé pour toi. »

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Alfred de Musset
(1810 - 1857)
 
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