Alfred de Vigny |
Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie, Se traîne et se débat comme un aigle blessé, Portant comme le sien, sur son aile asservie, Tout un monde fatal, écrasant et glacé ; S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle, S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle, Eclairer pour lui seul l'horizon effacé ; Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme, Lasse de son boulet et de son pain amer, Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame, Penche sa tête pâle et pleure sur la mer, Et cherchant dans les flots une route inconnue, Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue La lettre sociale écrite avec le fer ; Si ton corps, frémissant des passions secrètes, S'indigne des regards, timide et palpitant ; S'il cherche à sa beauté de profondes retraites Pour la mieux dérober au profane insultant ; Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges, Si ton beau front rougit de passer dans les songes D'un impur inconnu qui te voit et t'entend : Pars courageusement, laisse toutes les villes ; Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin ; Du haut de nos pensers vois les cités serviles Comme les rocs fatals de l'esclavage humain. Les grands bois et les champs sont de vastes asiles, Libres comme la mer autour des sombres îles. Marche à travers les champs une fleur à la main. La Nature t'attend dans un silence austère ; L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs, Et le soupir d'adieu du soleil à la terre Balance les beaux lys comme des encensoirs. La forêt a voilé ses colonnes profondes, La montagne se cache, et sur les pâles ondes Le saule a suspendu ses chastes reposoirs. Le crépuscule ami s'endort dans la vallée Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon, Sur les timides joncs de la source isolée Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon, Se balance en fuyant dans les grappes sauvages, Jette son manteau gris sur le bord des rivages, Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison. Il est sur ma montagne une épaisse bruyère Où les pas du chasseur ont peine à se plonger, Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière, Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger. Viens y cacher l'amour et ta divine faute ; Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute, J'y roulerai pour toi la Maison du Berger Elle va doucement avec ses quatre roues, Son toit n'est pas plus haut que ton front et tes yeux ; La couleur du corail et celle de tes joues Teignent le char nocturne et ses muets essieux. Le seuil est parfumé, l'alcôve est large et sombre, Et là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l'ombre, Pour nos cheveux unis, un lit silencieux. Je verrai, si tu veux, les pays de la neige, Ceux où l'astre amoureux dévore et resplendit, Ceux que heurtent les vents, ceux que la mer assiège, Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit. Nous suivrons du hasard la course vagabonde. Que m'importe le jour ? que m'importe le monde ? Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit. |
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Alfred de Vigny (1797 - 1863) |
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Portrait de Alfred de Vigny | |||||||||
Biographie / OuvresIl naît dans une famille issue de la noblesse. Victor de Vigny, le grand-oncle d'Alfred, est admis chevalier de l'ordre de Malte en 17171. Son grand-père maternel, Didier de Baraudin, est écuyer et chef d'escadre dans la marine royale2. Son manoir du Maine-Giraud, situé près d'Angoulème, et où l'écrivain finira ses jours, n'est pas un fief mais un domaine acheté en 1768. Son père e |
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