Alfred de Vigny |
(fragment) Ils passèrent deux jours d'amour et d'harmonie De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie De regards confondus, de soupirs bienheureux, Qui furent deux moments et deux siècles pour eux. La nuit, on entendait leurs chants ; dans la journée Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée Aux caprices divins du désir ! leurs repas Étaient rares, distraits ; ils ne les voyaient pas. Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures, Passant des champs aux bois, et des bois aux demeures, Se regardant toujours, laissant les airs chantés Mourir, et tout à coup restaient comme enchantés. L'extase avait fini par éblouir leur âme, Comme seraient nos yeux éblouis par la flamme. Troublés, ils chancelaient, et le troisième soir, Ils étaient enivrés jusques à ne rien voir Que les feux mutuels de leurs yeux. La nature Étalait vainement sa confuse peinture Autour du front aimé, derrière les cheveux Que leurs yeux noirs voyaient tracés dans leurs yeux bleus. Ils tombèrent assis sous les arbres peut-être... Ils ne le savaient pas. Le soleil allait naître Ou s'éteindre... Ils voyaient seulement que le jour Était pâle, et l'air doux, et le monde en amour... Un bourdonnement faible emplissait leur oreille D'une musique vague, au bruit des mers pareille, Et formant des propos tendres, légers, confus Que tous deux entendaient, et qu'on n'entendra plus. Le vent léger disait de la voix la plus douce : « Quand l'amour m'a troublé, je gémis sous la mousse. » Les mélèzes touffus s'agitaient en disant : « Secouons dans les airs le parfum séduisant Du soir, car le parfum est le secret langage Que l'amour enflammé fait sortir du feuillage. » Le soleil incliné sur les monts dit encor : « Par mes flots de lumière et par mes gerbes d'or, Je réponds en élans aux élans de votre âme ; Pour exprimer l'amour mon langage est la flamme. » Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs, Autant que les rayons de suaves ardeurs ; Et l'on eût dit des voix timides et flûtées Qui sortaient à la fois des feuilles veloutées, Et, comme un seul accord d'accent harmonieux, Tout semblait s'élever en chour jusques aux cieux ; Et ces voix s'éloignaient, en rasant les campagnes, Dans les enfoncements magiques des montagnes ; Et la terre sous eux palpitait mollement, Comme le flot des mers ou le cour d'un amant ; Et tout ce qui vivait, par un hymne suprême, Accompagnait leurs voix qui se disaient : « je t'aime ! » |
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Alfred de Vigny (1797 - 1863) |
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Portrait de Alfred de Vigny | |||||||||
Biographie / OuvresIl naît dans une famille issue de la noblesse. Victor de Vigny, le grand-oncle d'Alfred, est admis chevalier de l'ordre de Malte en 17171. Son grand-père maternel, Didier de Baraudin, est écuyer et chef d'escadre dans la marine royale2. Son manoir du Maine-Giraud, situé près d'Angoulème, et où l'écrivain finira ses jours, n'est pas un fief mais un domaine acheté en 1768. Son père e |
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