André Breton |
Ce matin la fille de la montagne tient sur ses genoux un accordéon de chauves-souris blanches Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que je garde Alignés en transparence dans un cadre des tubes en verre de toutes les couleurs de philtres de liqueurs Qu'avant de me séduire il ait dû répondre peu importe à quelque nécessité de représentation commerciale Pour moi nulle ouvre d'art ne vaut ce petit carré fait de l'herbe diaprée à perte de vue de la vie Un jour un nouvel amour et je plains ceux pour qui l'amour perd à ne pas changer de visage Comme si de l'étang sans lumière la carpe qui me tend à l'éveil une boucle de tes cheveux N'avait plus de cent ans et ne me taisait tout ce que je dois pour rester moi-même ignorer Un nouveau jour est-ce bien près de toi que j'ai dormi J'ai donc dormi j'ai donc passé les gants de mousse Dans l'angle je commence à voir briller la mauvaise commode qui s'appelle hier Il y a de ces meubles embarrassants dont le véritable office est de cacher des issues De l'autre côté qui sait la barque aimantée nous pourrions partir ensemble A la rencontre de l'arbre sous l'écorce duquel il est dit Ce qu'à nous seuls nous sommes l'un à l'autre dans la grande algèbre Il y a de ces meubles plus lourds que s'ils étaient emplis de sable au fond de la mer Contre eux il faudrait des mots-leviers De ces mots échappés d'anciennes chansons qui vont au superbe paysage de grues Très tard dans les ports parcourus en zigzag de bouquets de fièvre Écoute Je vois le lutin Que d'un ongle tu mets en liberté En ouvrant un paquet de cigarettes Le héraut-mouche qui jette le sel de la mode Si zélé à faire croire que tout ne doit pas être de toujours Celui qui exulte à faire dire Allô je n'entends plus Comme c'est joli qu'est-ce que ça rappelle Si j'étais une ville dis-tu Tu serais Ninive sur le Tigre Si j'étais un instrument de travail Plût au ciel noir tu serais la canne des cueilleurs dans les verreries Si j'étais un symbole Tu serais une fougère dans une nasse Et si j'avais un fardeau à porter Ce serait une boule faite de têtes d'hermines qui crient Si je devais fuir la nuit sur une route Ce serait le sillage du géranium Si je pouvais voir derrière moi sans me retourner Ce serait l'orgueil de la torpille Comme c'est joli En un rien de temps Il faut convenir qu'on a vu s'évanouir dans un rêve Les somptueuses robes en tulle pailleté des .arroseuses municipales Et même plier bagage sous le regard glacial de l'amiral Coligny Le dernier vendeur de papier d'Arménie De nos jours songe qu'une expédition se forme pour la capture de l'oiseau quetzal dont on ne possède plus en vie oui en vie que quatre exemplaires Qu'on a vu tourner à blanc la roulette des marchands de plaisir Qu'est-ce que ça rappelle Dans les hôtels à plantes vertes c'est l'heure où les charnières des portes sans nombre D'un coup d'archet s'apprêtent à séparer comme les oiseaux les chaussures les mieux accordées Sur les paliers mordorés dans le moule à gaufre fracassé où se cristallise le bismuth A la lumière des châteaux vitrifiés du mont Knock-Farril dans le comté de Ross Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que garde mon ami Wolfgang Paalen D'une corde déjà grise tous les modèles de nouds réunis sur une planchette Je ne sais pourquoi il déborde tant le souci didactique qui a présidé à sa construction sans doute pour une école de marins Bien que l'ingéniosité de l'homme donne ici sa fleur que nimbe la nuée des petits singes aux yeux pensifs En vérité aucune page des livres même virant au pain bis n'atteint à cette vertu conjuratoire rien ne m'est si propice Un nouvel amour et que d'autres tant pis se bornent à adorer La bête aux écailles de roses aux flancs creux dont j'ai trompé depuis longtemps la vigilance Je commence à voir autour de moi dans la grotte Le vent lucide m'apporte le parfum perdu de l'existence Quitte enfin de ses limites A cette profondeur je n'entends plus sonner que le patin Dont parfois l'éclair livre toute une perspective d'armoires à glace écroulées avec leur linge Parce que tu tiens Dans mon être la place du diamant serti dans une vitre Qui me détaillerait avec minutie le gréement des astres Deux mains qui se cherchent c'est assez pour le toit de demain Deux mains transparentes la tienne le murex dont les anciens ont tiré mon sang Mais voici que la nappe ailée S'approche encore léchée de la flamme des grands vins Elle comble les arceaux d'air boit d'un trait les lacunes des feuilles Et joue à se faire prendre en écharpe par l'aqueduc Qui roule des pensées sauvages Les bulles qui montent à la surface du café Après le sucre le charmant usage populaire qui veut que les prélève la cuiller Ce sont autant de baisers égarés Avant qu'elles ne courent s'anéantir contre les bords 0 tourbillon plus savant que la rose Tourbillon qui emporte l'esprit qui me regagne à l'illusion enfantine Que tout est là pour quelque chose qui me concerne Qu'est-ce qui est écrit Il y a ce qui est écrit sur nous et ce que nous écrivons Où est la grille qui montrerait que si son tracé extérieur Cesse d'être juxtaposable à son tracé intérieur La main passe Plus à portée de l'homme il est d'autres coïncidences Véritables fanaux dans la nuit du sens C'était plus qu'improbable c'est donc exprès Mais les gens sont si bien en train de se noyer Que ne leur demandez pas de saisir la perche Le lit fonce sur ses rails de miel bleu Libérant en transparence les animaux de la sculpture médiévale Il incline prêt à verser au ras des talus de digitales Et s'éclaire par intermittence d'yeux d'oiseaux de proie Chargés de tout ce qui émane du gigantesque casque emplumé d'Otrante Le lit fonce sur ses rails de miel bleu Il lutte de vitesse avec les ciels changeants Qui conviennent toujours ascension des piques de clôture des parcs Et boucanage de plus belle succédant au lever de danseuses sur le comptoir Le lit brûle les signaux il ne fait qu'un de tous les bocaux de poissons rouges Il lutte de vitesse avec les ciels changeants Rien de commun tu sais avec le petit chemin de fer Qui se love à Cordoba du Mexique pour que nous ne nous lassions pas de découvrir Les gardénias qui embaument dans de jeunes pousses de palmier évidées Ou ailleurs pour nous permettre de choisir Du marchepied dans les lots d'opales et de turquoises brutes Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler la soie des lieux et des jours incomparables Il est le métier sur lequel se croisent les cycles et d'où sourd ce qu'on pressent sous le nom de musique des sphères Le lit brûle les signaux il ne fait qu'un de tous les bocaux de poissons rouges Et quand il va pour fouiller en sifflant le tunnel charnel Les murs s'écartent la vieille poudre d'or à n'y plus voir se lève des registres d'état-civil Enfin tout est repris par le mouvement de la mer Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler la soie des lieux et des jours incomparables C'est la pièce sans entractes le rideau levé une fois pour toutes sur la cascade Dis-moi Comment se défendre en voyage de Parrière-pensée pernicieuse Que l'on ne se rend pas où l'on voudrait La petite place qui fuit entourée d'arbres qui diffèrent imperceptiblement de tous les autres Existe pour que nous la traversions sous tel angle dans la vraie vie Le ruisseau en cette boucle même comme en nulle autre de tous les ruisseaux Est maître d'un secret qu'il ne peut faire nôtre à la volée Derrière la fenêtre celle-ci faiblement lumineuse entre bien d'autres plus ou moins lumineuses Ce qui se passe Est de toute importance pour nous peut-être faudrait-il revenir Avoir le courage de sonner Qui dit qu'on ne nous accueillerait pas à bras ouverts Mais rien n'est vérifié tous ont peur nous-mêmes Avons presque aussi peur Et pourtant je suis sûr qu'au fond du bois fermé à clé qui tourne en ce moment contre la vitre S'ouvre la seule clairière Est-ce là l'amour cette promesse qui nous dépasse Ce billet d'aller et retour éternel établi sur le modèle de la phalène chinée Est-ce l'amour ces doigts qui pressent la cosse du brouillard Pour qu'en jaillissent les villes inconnues aux portes hélas éblouissantes L'amour ces fils télégraphiques qui font de la lumière insatiable un brillant sans cesse qui se rouvre De la taille même de notre compartiment de la nuit Tu viens à moi de plus loin que l'ombre je ne dis pas dans l'espace des séquoias millénaires Dans ta voix se font la courte échelle des trilles d'oiseaux perdus Beaux dés pipés Bonheur et malheur Au bonneteau tous ces yeux écarquillés autour d'un parapluie ouvert Quelle revanche le santon-puce de la bohémienne Ma main se referme sur elle Si j'échappais à mon destin Il faut chasser le vieil aveugle des lichens du mur d'église Détruire jusqu'au dernier les horribles petits folios déteints jaunes verts bleus roses Ornés d'une fleur variable et exsangue Qu'il vous invite à détacher de sa poitrine Un à un contre quelques sous Mais toujours force reste Au langage ancien les simples la marmite Une chevelure qui vient au feu Et quoi qu'on fasse jamais happé au cour de toute lumière Le drapeau des pirates Un homme grand engagé sur un chemin périlleux Il ne s'est pas contenté de passer sous un bleu d'ouvrier les brassards à pointes acérées d'un criminel célèbre A sa droite le lion dans sa main Voursin Se dirige vers l'est Où déjà le tétras gonfle de vapeur et de bruit sourd les airelles Voilà qu'il tente de franchir le torrent les pierres qui sont des lueurs d'épaules de femmes au théâtre Pivotent en vain très lentement J'avais cessé de le voir il reparaît un peu plus bas sur l'autre berge Il s'assure qu'il est toujours porteur de l'oursin A sa droite le lion ail right Le sol qu'il effleure à peine crépite de débris de faulx En même temps cet homme descend précipitamment un escalier au cour d'une ville il a déposé sa cuirasse Au dehors on se bat contre ce qui ne peut plus durer Cet homme parmi tant d'autres brusquement semblables Qu'est-il donc que se sent-il donc de plus que lui-même Pour que ce qui ne peut plus durer ne dure plus Il est tout prêt à ne plus durer lui-même Un pour tous advienne que pourra Ou la vie serait la goutte de poison Du non-sens introduite dans le chant de l'alouette au-dessus des coquelicots La rafale passe En même temps Cet homme qui relevait des casiers autour du phare Hésite à rentrer il soulève avec précaution des algues et des algues Le vent est tombé ainsi soit-il Et encore des algues qu'il repose Comme s'il lui était interdit de découvrir dans son ensemble le jeune corps de femme le plus secret D'où part une construction ailée Ici le temps se brouille à la fois et s'éclaire Du trapèze tout en cigales Mystérieusement une très petite fille interroge André tu ne sais pas pourquoi je résédise Et aussitôt une pyramide s'élance au loin A la vie à la mort ce qui commence me précède et m'achève Une fine pyramide à jour de pierre dure Reliée à ce beau corps par des lacets vermeils De la brune à la blonde Entre le chaume et la couche de terreau Il y a place pour mille et une cloches de verre Sous lesquelles revivent sans fin les têtes qui m'enchantent Dans la suspension du sacre Têtes de femmes qui se succèdent sur tes épaules quand tu dors Il en est de si lointaines Têtes d'hommes aussi Innombrables à commencer par ces chefs d'empereurs à la barbe glissante Le maraîcher va et vient sous sa housse Il embrasse d'un coup d'oil tous les plateaux montés cette nuit du centre de la terre Un nouveau jour c'est lui et tous ces êtres Aisément reconnaissables dans les vapeurs de la campagne C'est toi c'est moi à tâtons sous l'éternel déguisement Dans les entrelacs de l'histoire momie d'ibis Un pas pour rien comme on cargue la voilure momie d'ibis Ce qui sort du côté cour rentre par le côté jardin momie d'ibis Si le développement de l'enfant permet qu'il se libère du fantasme de démembrement de dislocation du corps momie d'ibis Il ne sera jamais trop tard pour en finir avec le mor-celage de l'âme momie d'ibis Et par toi seule sous toutes ses facettes de momie d'ibis Avec tout ce qui n'est plus ou attend d'être je retrouve l'unité perdue momie d'ibis Momie d'ibis du non-choix à travers ce qui me parvient Momie d'ibis qui veut que tout ce que je puis savoir contribue à moi sans distinction Momie d'ibis qui me fait l'égal tributaire du mal et du bien Momie d'ibis du sort goutte à goutte où l'homéopathie dit son grand mot Momie d'ibis de la quantité se muant dans l'ombre en qualité Momie d'ibis de la combustion qui laisse en toute cendre un point rouge Momie d'ibis de la perfection qui appelle la fusion incessante des créatures imparfaites La gangue des statues ne me dérobe de moi-même que ce qui n'est pas le produit aussi précieux de la semence des gibets momie d'ibis Je suis Nietzsche commençant à comprendre qu'il est à la fois Victor-Emmanuel et deux assassins des journaux Astu momie d'ibis C'est à moi seul que je dois tout ce qui s'est écrit pensé chanté momie d'ibis Et sans partage toutes les femmes de ce monde je les ai aimées momie d'ibis Je les ai aimées pour t'aimer mon unique amour momie d'ibis Dans le vent du calendrier dont les feuilles s'envolent momie d'ibis En vue de ce reposoir dans le bois momie d'ibis sur le parcours du lactaire délicieux Ouf le basilic est passé tout près sans me voir Qu'il revienne je tiens braqué sur lui le miroir Où est faite pour se consommer la jouissance humaine imprescriptible Dans une convulsion que termine un éclaboussement de plumes dorées Il faudrait marquer ici de sanglots non seulement les attitudes du buste Mais encore les effacements et les oppositions de la tête Le problème reste plus ou moins posé en chorégraphie Où non plus je ne sache pas qu'on ait trouvé de mesure pour l'éperdu Quand la coupe ce sont précisément les lèvres Dans cette accélération où défilent Sous réserve de contrôle Au moment où l'on se noie les menus faits de la vie Mais les cabinets d'antiques abondent en pierres d'Abraxas Trois cent soixante-cinq fois plus méchantes que le jour solaire Et l'ouf religieux du coq Continue à être couvé religieusement par le crapaud Du vieux balcon qui ne tient plus que par un fil de lierre Il arrive que le regard errant sur les dormantes eaux du fossé circulaire Surprenne en train de se jouer le progrès hermétique Tout de feinte et dont on ne saurait assez redouter La séduction infinie A l'en croire rien ne manque qui ne soit donné en puissance et c'est vrai ou presque La belle lumière électrique pourvu que cela ne te la fane pas de penser qu'un jour elle paraîtra jaune De haute lutte la souffrance a bien été chassée de quelques-uns de ses fiefs Et les distances peuvent continuer à fondre Certains vont même jusqu'à soutenir qu'il n'est pas impossible que l'homme Cesse de dévorer l'homme bien qu'on n'avance guère de ce côté Cependant cette suite de prestiges je prendrai garde comme une toile d'araignée étincelante Qu'elle ne s'accroche à mon chapeau Tout ce qui vient à souhait est à double face et fallacieux Le meilleur à nouveau s'équilibre de pire Sous le bandeau de fusées Il n'est que de fermer les yeux Pour retrouver la table du permanent Ceci dit la représentation continue Eu égard ou non à l'actualité L'action se passe dans le voile du hennin d'Isabeau de Bavière Toutes dentelles et moires Aussi fluides que l'eau qui fait la roue au soleil sur les glaces des fleuristes d'aujourd'hui Le cerf blanc à reflets d'or sort du bois du Châtelet Premier plan de ses yeux qui expriment le rêve des chants d'oiseaux du soir Dans l'obliquité du dernier rayon le sens d'une révélation mystérieuse Que sais-je encore et qu'on sait capables de pleurer Le cerf ailé frémit il fond sur l'aigle avec l'épée Mais l'aigle est partout sus à lui il y a eu l'avertissement De cet homme dont les chroniqueurs s'obstinent à rapporter dans une intention qui leur échappe Qu'il était vêtu de blanc de cet homme bien entendu qu'on ne retrouvera pas Puis la chute d'une lance contre un casque ici le musicien a fait merveille C'est toute la raison qui s'en va quand l'heure pourrait être frappée sans que tu y sois Dans les ombres du décor le peuple est admis à contempler les grands festins On aime toujours beaucoup voir manger sur la scène De l'intérieur du pâté couronné de faisans Des nains d'un côté noirs de l'autre arc-en-ciel soulèvent le couvercle Pour se répandre dans un harnachement de grelots et de rires Eclat contrasté de traces de coups de feu de la croûte qui tourne Enchaîné sur le bal des Ardents rappel en trouble de l'épisode qui suit de près celui du cerf Un homme peut-être trop habile descend du haut des tours de Notre-Dame En voltigeant sur une corde tendue Son balancier de flambeaux leur lueur insolite au grand jour Le buisson des cinq sauvages dont quatre captifs l'un de l'autre le soleil de plumes Le duc d'Orléans prend la torche la main la mauvaise main Et quelque temps après à huit heures du soir la main On s'est toujours souvenu qu'elle jouait avec le gant La main le gant une fois deux fois trois fois Dans l'angle sur le fond du palais le plus blanc les beaux traits ambigus de Pierre de Lune à cheval Personnifiant le second luminaire Finir sur l'emblème de la reine en pleurs Un souci Plus ne m'est rien rien ne m'est plus Oui sans toi Le soleil Marseille, décembre 1940 |
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André Breton (1896 - 1966) |
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Portrait de André Breton | |||||||||
La vie et l'ouvre d'andré bretonAndré Breton est né le 18 février 1896, à Tinchebray (Orne). En 1913, alors qu'il suit les cours du P.C.B. à Paris, il rencontre Paul Valéry, qui restera pour lui l'auteur de Monsieur Teste. Affecté en 1916 au service de santé à Nantes, il y trouve un étrange patient, Jacques Vaché, dont l'humour et le détachement singuliers le fascinent, comme à la même époque le fascinent la poésie de Rimbaud (e Essais, études et témoignages |
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