André Breton |
En ce temps-là je ne te connaissais que de vue Je ne sais même plus comment tu es habillé Dans le genre neutre sans doute on ne fait pas mieux Mais on ne saurait trop complimenter les édiles De t'avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs C'est ta place aux heures de fort tangage Quand la ville se soulève Et que de proche en proche la fureur de la mer gagne ces coteaux tout spirituels Dont la dernière treille porte les étoiles Ou plus souvent quand s'organise la grande battue nocturne du désir Dans une forêt dont tous les oiseaux sont de flammes Et aussi chaque fois qu'une pire rafale découvre à la carène Une plaie éblouissante qui est la criée aux sirènes Je ne pensais pas que tu étais à ton poste Et voilà qu'un petit matin de 1937 Tiens il y avait autour de cent ans que tu étais mort En passant j'ai aperçu un très frais bouquet de violettes à tes pieds Il est rare qu'on fleurisse les statues a Paris Je ne parle pas des chienneries destinées à mouvoir le troupeau Et la main qui s'est perdue vers toi d'un long sillage égare aussi ma mémoire Ce dut être une fine main gantée de femme On aimait s'en abriter pour regarder au loin Sans trop y prendre garde aux jours qui suivirent j'observai que le bouquet était renouvelé La rosée et lui ne faisaient qu'un Et toi rien ne t'eut fait détourner les yeux des boues diamantifères de la place Clichy Fourier es-tu toujours là Comme au temps où tu t'entêtais dans tes plis de bronze à faire dévier le train des baraques foraines Depuis qu'elles ont disparu c'est toi qui es incandescent Toi qui ne parlais que de lier vois tout s'est délié Et sens dessus dessous on a redescendu la côte Les lèvres entrouvertes des enfants boudant le sein des mères dénudées Et ces nacres d'épaules et ces fesses gardant leur duvet S'amalgament en un seul bloc compact et mat d'écume de rner Que saute un filet de sang Sur un autre plan Car les images les plus vives sont les plus fugaces La manche du temps hume la muscade Et fait saillir la manchette aveuglante de la vie Sur un autre plan D'aucuns se prennent à choyer dans les éboulis au bord des mares Des espèces qui paraissent en voie de s'encroûter définitivement Mais qui les circonstances aidant ne semblent pas incapables d'une nouvelle reptation Et passent pour nourrir volontiers leur vermine On répugne à trancher leurs oufs sans coque Leur frai immémorial glisse sur la peur Tu les a connues aussi bien que moi Mais tu ne peux savoir comme elles sont sorties lissées et goulues de l'hivernage Tu pensais que sur terre la création d'essai qui avait nécessité des modèles carnassiers d'ample dimension n'avait pas résisté au premier déluge alors que précisais-tu une deuxième création sur l'Ancien Continent et une troisième en Amérique avaient trouvé grâce devant un second déluge de sorte que l'homme qui en était issu pouvait attendre de pied ferme et même qu'il lui appartenait de précipiter à son avantage les créations 4, 5, etc.. Dieu de la progression pardonne-moi c'est toujours le même mobilier On n'est pas mieux pourvu sous le rapport des contre-moules antirat et antipunaise Par ma foi les grands hagards de la faune préhistorique Ne sont pas si loin ils gouvernent la conception de l'univers Et prêtent leur peau halitueuse aux ouvrages des hommes Pour savoir comme aujourd'hui le commun des mortels prend son sort Tâche de surprendre le regard du lamantin Qui se prélasse au zoo dans sa baignoire d'eau tiède Il t'en dira long sur la vigueur des idéaux Et te donnera la mesure de l'effort qui a été fourni Dans la voie de Y industrie attrayante Par la même occasion Tu ne manqueras pas de t'enquérir des charognards Et tu verras s'ils ont perdu de leur superbe Le rideau jumeau soulevé Tu seras admis à contempler dans son sacre Une main de sang empreinte à l'endroit du cour sur son tablier impeccable le boucher-soleil Se donnant le ballet de ses crochets nickelés Pendant que les cynocéphales de l'épicerie Comblés d'égards en ces jours de disette et de marché noir A ton approche feront miroiter leur côté luxueux Parmi les mesures que tu préconisais pour rétablir l'équilibre de population (Nombre de consommateurs proportionné aux forces productives) Il est clair qu'on ne s'en est pas remis au régime gastrosopkique Dont l'établissement devait aller de pair avec la légalisation des mours phanérogames On a préféré la bonne vieille méthode Qui consiste à pratiquer des coupes sombres dans la multitude fantôme Sous l'anesthésique à toute épreuve des drapeaux Fourier il est par trop sombre de les voir émerger d'un des pires cloaques de l'histoire Epris du dédale qui y ramène Impatients de recommencer pour mieux sauter Sur la brèche Au premier défaut du cyclone Savoir qui reste la lampe au chapeau La main ferme à la rampe du wagonnet suspendu Lancé dans le poussier sublime Comme toi Fourier Toi tout debout parmi les grands visionnaires Qui crus avoir raison de la routine et du malheur Ou encore comme toi dans la pose immortelle Du Tireur d'épine On a beau dire que tu t'es fait de graves illusions Sur les chances de résoudre le litige à l'amiable A toi le roseau d'Orphée D'autres vinrent qui n'étaient plus armés seulement de persuasion Ils menaient le bélier qui allait grandir Jusqu'à pouvoir se retourner de l'orient à l'occident Et si la violence nichait entre ses cornes Tout le printemps s'ouvrait au fond de ses yeux Tour à tour l'existence de cette bête fabuleuse m'exalte et me trouble Quand elle a donné de la tète le monde a tremblé il y a eu d'immenses clairières Qui par places ont été reprises de brousse Maintenant elle saigne et elle paît Je ne vois pas le pâtre omnitone qui devrait en avoir la garde Pourvu qu'elle reste assez vaillante pour aller au bout de son exploit On tremble qu'elle ne se soit contaminée dès longtemps près des marais Sous la superbe Toison si sournoisement allaient s'élaborer des poisons Le drame est qu'on ne peut répondre de ces êtres de très grandes proportions qu'il advient au génie de mettre en marche et qui livrés à leurs propres ressources n'ont que trop tendance à s'orienter vers le néfaste à plus forte raison si le recours à un néfaste partiel et envisagé comme transitoire à l'effet même de réduire dans la suite le néfaste entre dans les intentions dont ils sont pétris Sans prix A mes yeux et toujours exemplaire reste le premier bond accompli dans le sens de l'ajustement de structure Et pourtant quelle erreur d'aiguillage a pu être commise rien n'annonce le règne de Ykarmonie Non seulement Oésus et Lucullus Que tu appelais à rivaliser aux sous-groupes des tentes de la renoncule Ont toujours contre eux Spartacus Mais en regardant d'arrière en avant on a l'impression que les parcours de bonheur sont de plus en plus clairsemés Indigence fourberie oppression carnage ce sont toujours les mêmes maux dont tu as marqué la civilisation au fer rouge Fourier on s'est moqué mais il faudra bien qu'on tâte un jour bon gré mal gré de ton remède Quitte a faire subir à l'ordonnance de ta main telles corrections d'angle A commencer par la réparation d'honneur Due au peuple juif Et laissant hors de débat que sans distinction de confession la libre rapine parée du nom de commerce ne saurait être réhabilitée Roi de passion une erreur d'optique n'est pas pour altérer la netteté ou réduire l'envergure de ton regard Le calendrier à ton mur a pris toutes les couleurs du spectre Je sais comme sans arrière-pensée tu aimerais Tout ce qu'il y a de nouveau Dans l'eau Qui passe sous le pont Mais pour mettre ordre à ces dernières acquisitions et qui sait par impossible se les rendre propices Ton vieux bahut en cour de chêne est toujours bon Tout tient sinon se plaît dans ses douze tiroirs |
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André Breton (1896 - 1966) |
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Portrait de André Breton | |||||||||
La vie et l'ouvre d'andré bretonAndré Breton est né le 18 février 1896, à Tinchebray (Orne). En 1913, alors qu'il suit les cours du P.C.B. à Paris, il rencontre Paul Valéry, qui restera pour lui l'auteur de Monsieur Teste. Affecté en 1916 au service de santé à Nantes, il y trouve un étrange patient, Jacques Vaché, dont l'humour et le détachement singuliers le fascinent, comme à la même époque le fascinent la poésie de Rimbaud (e Essais, études et témoignages |
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