André Malraux |
(Gallimard, 1951, p. 306) L'idée que les arts plastiques sont transcription d'une vision, l'idée qui voit en eux l'expression saisissante d'un instinct, ne sont pas des théories : disparues et reparues à travers les siècles, elles sont des illusions fondamentales, et, à certaines époques, atteignent les artistes. Dans leurs interprétations plus que dans leurs créations ; si Corot proclame la royauté de la nature, Rodin la proclame avec plus de véhémence encore : mais ce qu'il appelle la nature, c'est ce qu'il y prend. Souvent, les maîtres d'oeuvre médiévaux ne sculptaient pas eux-mêmes. On connaît la boutade de Renoir à propos du vitrail de Chartres : « Il y avait là un bonhomme qui se démenait devant une statue avec un ciseau et un marteau ; il tapait, il tapait ! Un autre, dans un coin, le regardait et ne faisait rien : j'ai compris que c'était le sculpteur. » Il faudrait en finir avec l'inconscient par procuration. Les "naïfs copistes de ce qu'ils avaient sous les yeux" étudiaient avec plus de soin toutes les formes nouvelles, de la châsse à l'ivoire et à la miniature, que les animaux des fermes qu'ils voyaient chaque jour : le berger Giotto peint de curieux moutons. Reims est présente à Bamberg, à Naumburg ;.Senlis à Chartres, à Reims, à Mantes, à Laon. Les génies italiens prennent appui les uns sur les autres comme des contreforts de montagnes. Les réalistes les plus fanatiques viennent, selon les temps, de maîtres romantiques ou idéalistes, voire du grand art architectural. Goya passe par Bayeu, les impressionnistes par la peinture traditionnelle ou Manet ; Michel-Ange par Donatello, Rembrandt par Lastmann et Elsheimer, le Greco par l'atelier de Bassano ; être précoce permet de copier plus tôt. Que pas un peintre, populaire ou virtuose, n'ait été un paysagiste avant que le paysage se fut délivré des figures qu'il avait à grand'peine rapetissées, en dit long sur la soumission de l'artiste à la nature, sur la limite des réalismes et de l'abandon au sentiment... Le génie n'a rien à voir avec la nature, sauf ce qu'il prend chez elle pour l'annexer à la sienne. Que l'artiste le sache ou l'ignore, que son tableau soit prémédité ou que l'instinct y joue un grand rôle, ce qui nous révèle une ouvre d'art n'est ni la vision, ni l'émotion, si le style en est absent. Même un Rembrandt, un Piero délia Francesca ou un Michel-Ange, à l'origine de son destin, n'est pas un homme qui regarde avec plus d'intensité que d'autres la profusion des choses créées, c'est un adolescent fasciné par quelques tableaux qu'il emporte derrière ses paupières, et qui suffisent à le distraire du monde. |
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André Malraux (1901 - 1976) |
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