André Velter |
C'est dans le trou le manque l'évidement évidemment l'évidement intérieur qui creuse jusqu'au boulet tassé contre la poudre, c'est dans le vide cerclé de bronze là où devrait naître un grand poème un grand tonnerre parodique une grande fureur tragique bien à l'étiage de ce temps-ci où des orgues de neuve barbarie imposent d'ignobles requiems, c'est dans le doute ne pas s'abstenir et dans la bouffonnerie oser porter la voix en altitude la voix au-dessus de soi comme un tourment qui danse, c'est dans l'absence marquer le cri au fer rouge la souffrance avec ses yeux plus grands que le ventre et qui sait qu'il n'est que de tourner le dos pour boire un peu de sang, c'est à bout de silence la blessure presqu'une honte à dire ce qui est dans les mots et le monde dans le moule des morts la morale des marchands, l'âme se trouve à la bouche des canons au passage du feu du souffle du plomb au centre noir d'une atroce lumière pareille à un désir muré à une plainte sous l'aubier à une source dévoyée pareille à l'ombre d'un soleil en songe que nul ne verra plus, qui parle en ton nom se trahit qui semble t'ignorer se renie doublement rien n'est aussi cruel que ta parure ton leurre cet appelant à faire hurler ou rire brûler aimer mordre ou maudire cet appelant sans miroir ni crécelle cet appelant sans appel mais qui jette sous le ciel une brèche violente, tu n'es qu'un principe de néant un évident vertige à la conquête du dedans des résonances sous la peau de ce qui vibre et ment de ce qui vit en aimant de ce qui se lève dans le corps de la nuit tu es ce qui ne peut être tu es ce que l'on dément tu es tout ce que l'on nie, île d'insomnie sur le vieil océan marque de sable contre les dents il est de l'autre côté de la page un murmure à bout de sens un arc-en-ciel en terre en friche une errance de couleurs et de sons une incantation d'espace un diapason, l'éclair là qui dure et signe la chute de reins de l'horizon la courbe nue du violoncelle une passion où se déchaîne si fragile le regard nécessaire la part sensible de l'invisible, on peut chemin sans croix gravir par défi et plaisir les pentes du mont Sabir tout en armant son pas à mille lieues de Ta'izz ne plus parler langue raisonnable ne plus mâcher écorce de syllabes et cracher tout son qat et taire toute voix entendre par-devers soi la houle d'outre-Levant le secret d'avancer sans croire à l'outre-cime et marcher à l'oreille comme d'autres à l'énergie, lutte résonne comme l'accord des deux mains du potier du pêcheur qui brise une tortue marine ou de cette manière de lutin que les ongles caressent et qui n'est que de corde et de bois, lutin des déserts des cours des quatre coins du monde lutin exilé nomade ou troubadour pandura sitar dombra guitare de lune pi'pa biwa guembri vihuela damano métamorphose du même dans toutes ses solitudes c'est deux planches entre les bras qui mettent on ne sait quoi en feu on ne sait quoi en fuite et de l'aube sur les fleurs du temps, c'est sous le pied droit du chevalet moins que rien entre table et fond une écharde de fibre grossière un écart où s'éveille un état d'effraction une âme qui n'a pas de place réservée d'ancrage ni d'attache et qu'un outil d'acier très fin deux fois courbé guide à l'aveuglette n'écoutant que le son l'écho plus que parfait d'un nom de falaise hantée, luth violon alto contrebasse peu de sapin d'érable d'ébène peu de boyau peu de crin et tant de sortilèges d'alcools espérés de visages de tempêtes de fortunes perdues d'ascèses retrouvées d'éclats de chair de nerf de songe de partage insensé et d'accueil prodigue quelque chose qui tient d'une folle majesté quelque chose qui vient plus magicien que nous ouvrir avec un double un accès au sublime, en ré mineur le quatuor dit plus qu'il n'est possible comme si se pouvait vivre une vie négative un amour trop fort qui couvrirait la mort d'alertes et d'alarmes et de baisers sans âge, la jeune fille est passée qui passe dans l'absolu des choses - pas de salut quand elle vient ni d'adieu quand elle part car elle ne vient jamais quand elle vient car elle ne part jamais quand elle part - la jeune fille est passée qui passe dans l'absolu des corps l'absolu périssable l'harmonie et encore à renaître à renaître |
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André Velter (1945 - ?) |
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Portrait de André Velter | |||||||||
BibliographieAndré Velter est un grand poète français. Directeur de la collection Poésie/Gallimard, ses chroniques littéraires dans Le Monde s'attachent surtout à l'Orient. Toute son ouvre poétique est vouée au souffle, à la révolte, à l'amour sauvage, à la jubilation physique et mentale. Résolument attaché à la voix haute , il tente d'inventer une oralité nouvelle, créant régulièrement avec comédiens et musi |
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