Anna de Noailles |
C'est vrai, je me suis beaucoup plainte De l'amer bonheur de mes jours, De l'été avec les jacinthes Qui me brisaient le cour d'amour. Je me suis plainte, âpre et pâlie, De l'univers étincelant, Et de cette mélancolie Qui tombe, au soir, d'un rosier blanc. Je me suis plainte et désolée De n'avoir aimé qu'en pleurant La chaude torpeur de l'allée Où des groseillers sont en rangs, De ne m'être assise qu'émue Aux chaises de fer des jardins, A l'heure où la feuille remue Son ombre sur les cailloux fins, De n'avoir, quand le verger brille, Contemplé qu'en souffrant de tout La paix des doubles camomilles Dans le massif luisant et doux. Je me suis plainte, ô Juillet tendre, Chaque fois que vous reveniez Vous rafraîchir et vous étendre A l'ombre du faux-ébénier. Mais maintenant bien autre chose Tourmente ce cour éploré, Je ramène sur moi les roses Pour que mes bras soient déchirés, Je courbe au-dessus de ma bouche Tous les vents avec leurs parfums, Afin que mon âme se couche Dans un arôme de miel brun, Et je ne veux pas d'autre force Que ma fatigue et son ardeur : Qu'aucune ombre, qu'aucune écorce Ne protège un si faible cour, Qu'aucune flèche, aucune flamme, Qu'aucune aride pâmoison Ne soit épargnée à cette âme Qui veut défaillir de frissons. Et qu'aucun clocher dans le monde Ne soit si haut, ne soit si fort, Ni si fêlé de lourdes ondes Que ce cour meurtri d'échos d'or... - Ah ! goûter tout ce qui tourmente ! L'été gonflé de Us ouverts, Et la fraîche odeur astringente Qui monte, au matin, des prés verts ! Aimer les trompettes, les flûtes, Etre prêt à s'évanouir Quand le son qui se répercute Bosselle l'âme de plaisir ! - Ma vie, ô vie ample et facile, Me pardonnerez-vous cela : Je ne veux pas être tranquille, Je vous mènerai, mon cour las, Dans toutes les grottes de larmes, Dans des jardins chauds et glacés, Et sur des routes de vacarme Où vos deux pieds seront percés. Je vous mènerai, chère vie, Dans de si torrides étés Que vous crierez, inassouvie, Et les genoux épouvantés. Ma belle vie échevelée Si sensible et fine de peau, Vous serez roulée et foulée, Vous serez en sang, en lambeaux, Mais je vous dirai : « O mon être, Portez mieux ce destin fatal ; Peut-être il nous reste à connaître Quelque amour qui fera plus mal... » |
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Anna de Noailles (1876 - 1933) |
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Portrait de Anna de Noailles | |||||||||
BiographieAnna-Elisabeth Bassaraba de Brancovan naît â Paris le 15 novembre 1876. Elle est fille du prince Gregoire Bassaraba de Brancovan et de Ralouka Musurus, issue d'une familie grecque illustre. Elle passe une enfance heureuse, notamment â Amphion, la propriete familiale dont le parc borde le lac Leman, et oii elle decouvre l'ivresse de la narure. Anna a un frere, Constantin, et une sceur, Helen |
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