Anna de Noailles |
Je vivais. Mon regard, comme un peuple d'abeilles, Amenait à mon cour le miel de l'univers. Anxieuse, la nuit, quand toute âme sommeille, Je dormais, l'esprit entr'ouvert ! La joie et le tourment, l'effort et l'agonie, De leur même tumulte étourdissaient mes jours. J'abordais sans vertige aux choses infinies, Franchissant la mort par l'amour ! Vivante, et toujours plus vivante au sein des larmes, Faisant de tous mes maux un exaltant emploi, J'étais comme un guerrier transpercé par des armes, Qui s'enivre du sang qu'il voit ! La justice, la paix, les moissons, les batailles, Toute l'activité fougueuse des humains, Contractait avec moi d'augustes fiançailles, Et mettait son feu dans ma main. Comme le prêtre en proie à de sublimes transes, J'apercevais le monde à travers des flambeaux ; Je possédais l'ardente et féconde ignorance, Parfois, je parlais des tombeaux. Je parlais des tombeaux, et ma voix abusée Chantait le sol fécond, l'arbuste renaissant, La nature immortelle, et sa force puisée Au fond des gouffres languissants ! J'ignorais, je niais les robustes attaques Que livrent aux humains le destin et le temps ; Et quand le ciel du soir a la douceur opaque Et triste des étangs, Je cherchais à poursuivre à travers les espaces Ces routes de l'esprit que prennent les regards, Et, dans cet infini, mon âme, jamais lasse, Traçait son sillon comme un char. Tout m'était turbulence ou tristesse attentive ; La mon faisait partie heureuse des vivants, Dans ces sphères du rêve où mon âme inventive S'enivrait d'azur et de vent ! Ainsi, sans rien connaître, ainsi, sans rien comprendre. Maintenant l'univers comme sur un brasier, Je contemplais la flamme et j'ignorais les cendres, O nature ! que vous faisiez. Je vivais, je disais les choses éphémères ; Les siècles renaissaient dans mon verbe assuré, Et, vaillante, en dépit d'un cour désespéré, Je marchais, en dansant, au bord des eaux amères. A présent, sans détour, s'est présentée à moi La vérité certaine, achevée, immobile ; J'ai vu tes yeux fermés et tes lèvres stériles. Ce jour est arrivé, je n'ai rien dit, je vois. Je m'emplis d'une vaste et rude connaissance, Que j'acquiers d'heure en heure, ainsi qu'un noir trésor Qui me dispense une âpre et totale science : Je sais que tu es mort... |
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Anna de Noailles (1876 - 1933) |
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Portrait de Anna de Noailles | |||||||||
BiographieAnna-Elisabeth Bassaraba de Brancovan naît â Paris le 15 novembre 1876. Elle est fille du prince Gregoire Bassaraba de Brancovan et de Ralouka Musurus, issue d'une familie grecque illustre. Elle passe une enfance heureuse, notamment â Amphion, la propriete familiale dont le parc borde le lac Leman, et oii elle decouvre l'ivresse de la narure. Anna a un frere, Constantin, et une sceur, Helen |
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