Anna de Noailles |
La tristesse du soir autour de moi s'amasse, Le monde est un étroit enclos, Mais je quitte le sol, je monte dans l'espace, Et je parle avec les héros ! Tous les fronts, tous les chants, tous les cris magnanimes Font dans l'air un vivant décor, Des sites plus brûlants, des rives plus sublimes Que les nuits de la Corne d'Or !... Que d'autres cherchent l'air des bois, de la montagne Et la brise des Océans, Je m'enfonce dans l'ombre où nul ne m'accompagne, Je respire chez les géants ! Je vois luire leurs yeux, leur frémissant visage, La place ardente de leur cour, L'un a le luth, l'autre a la tempête et l'orage, L'autre le sang et la sueur. Ah ! laissez-moi partir, laissez que je rejoigne Ce cortège chantant, divin, Que je sois la timide et rêveuse compagne Qui porte le sel et le vin. Laissez que j'aille auprès de ceux dont l'existence Répandait des rayons pourprés, Et qui sont dans la mort entrés avec aisance Et comme des danseurs sacrés ! Combien de fois n'ayant plus la force de vivre Ai-je soudain souri, bondi, Pour avoir entendu les trompettes de cuivre Des adolescents de Lodi ! Combien de fois pendant ma dure promenade, Mon cour, quand vous vous fatiguiez, Ai-je évoqué pour vous, dans la claire Troade, Achille sous un haut figuier ! - J'ai pour héros tous ceux que le génie égare, Amants du rêve et du désir ; Et l'enfant de treize ans mourant dans la bagarre Et riant de ce grand plaisir ! Tous ceux qui recherchant d'ineffables conquêtes Hélaient des royaumes sans bords, Et qui joyeux, montant dans votre char, Tempête, Mettaient des ailes à leurs corps ! Tous les plus enivrés, tous les plus fous d'eux-mêmes Avec mes yeux se sont croisés. Je crois les voir, au fond des jours d'été suprêmes, Où l'azur semble pavoisé ! D'un mouvement puissant, naturel, frénétique, Je marche les regards levés, Pour suivre dans les flots de la nue héroïque La trace de leur pieds ailés. Ah ! quel tumulte ardent, quelle immense nouvelle, Quel suave frémissement, Quand soudain l'un de vous à mon cour se révèle Et me parle plus fortement ! Dans la vie où je vais l'âme toujours pâmée, Le cour enivré, sombre et doux, Je n'ai d'autre besogne, intrépide, enflammée, Que d'être amoureuse de vous ! Vous êtes mes vaisseaux, mes rives, mes grands arbres, Mon soleil, mon ardent matin, Qu'ai-je besoin d'amis, j'ai les hommes de marbre Qui se penchent sur mon destin. Hélas, je ne crois pas à notre âme immortelle, Mais j'ai pour profond paradis Les feux que votre vie a laissés derrière elle, Et les mots que vous avez dits ! Chétive, mais brisant ma paix et ma demeure, Cherchant ce qu'on ne peut saisir, Je fus pareille à vous qui précipitiez l'heure Et qui n'aimiez que l'avenir ! J'ai vécu débordant de songes, la musique, Par qui la terre touche aux deux, Parfois semblait courir dans mon sang nostalgique Et semblait jaillir de mes yeux. Tout l'azur, chaque jour tombé dans ma poitrine, S'élançait en gestes sans fin, Comme on voit s'élever deux gerbes d'eau marine Du souffle enivré des dauphins ! Je viens, portant sur moi la douce odeur des mondes Et tenant les fleurs de l'été, Accueillez-moi ce soir dans l'ombre où se confondent L'héroïsme et la volupté ! |
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Anna de Noailles (1876 - 1933) |
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Portrait de Anna de Noailles | |||||||||
BiographieAnna-Elisabeth Bassaraba de Brancovan naît â Paris le 15 novembre 1876. Elle est fille du prince Gregoire Bassaraba de Brancovan et de Ralouka Musurus, issue d'une familie grecque illustre. Elle passe une enfance heureuse, notamment â Amphion, la propriete familiale dont le parc borde le lac Leman, et oii elle decouvre l'ivresse de la narure. Anna a un frere, Constantin, et une sceur, Helen |
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