Anna de Noailles |
C'est un brûlant accablement, L'espace, par chaude bouffée, Descend sur la plaine étouffée, Sur le taillis lourd et dormant. Il semble que la nue ardente, Que l'azur, que l'argent du jour, Tombent du poids d'un grand amour Sur toute la terre odorante, Sur la terre ivre de couleurs, Où tendre, verte, soleilleuse, La primevère, aimable, heureuse, Luit comme une laitue en fleurs. La lumière semble sortie De son empire immense et haut Pour se poser sur le plateau Que fait la feuille de l'ortie, Pour se poser sur le prunier, Sur le tronc mauve de l'érable. Tout l'univers est désirable, Et se pâme, d'amour baigné... - Je songe aux villes éclatantes, A des soleils mornes et forts Pesant comme une rouge mort Sur les rivières haletantes. O divin étourdissement Dans la douce île de Formose, Lorsque, le soir, le paon des roses Fait son amoureux sifflement ! Langueur des villages de paille, Où, chaude comme l'âpre été, La danseuse aux doigts écartés Est un lis jaune qui tressaille. Moiteur des nuits du Sénégal, Corps noirs brûlants comme une lave, Herbe où le serpent met sa bave, Sanglots du désir animal ! O Rarahu, ô Fatou-gaye, O princesse Ariitéa, Ivres d'un feu puissant et bas Qui vous brûle jusqu'aux entrailles ; Immense stagnance du temps, Torpide, verte, lourde extase, Odeur du sol et de la case, Herbages mous comme un étang. Tristesse, quand la nuit s'avance Avec ses bonds, ses cris déments, De songer à des soirs charmants Dans la Gascogne ou la Provence ; Et soudain, salubre parfum D'un navire aux joyeux cordages Qui glisse vers de frais rivages Avec ses voiles de lin brun ! O beauté de toute la terre, Visage innombrable des jours, Voyez avec quel sombre amour Mon cour en vous se désaltère ! Et pourtant il faudra nous en aller d'ici, Quitter les jours luisants, les jardins où nous sommes, Cesser d'être du sang, des yeux, des mains, des hommes, Descendre dans la nuit avec un front noirci, Descendre par l'étroite, horizontale porte Où l'on passe étendu, voilé, silencieux ; Ne plus jamais vous voir, ô Lumière des deux ; Hélas ! je n'étais pas faite pour être morte... |
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Anna de Noailles (1876 - 1933) |
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Portrait de Anna de Noailles | |||||||||
BiographieAnna-Elisabeth Bassaraba de Brancovan naît â Paris le 15 novembre 1876. Elle est fille du prince Gregoire Bassaraba de Brancovan et de Ralouka Musurus, issue d'une familie grecque illustre. Elle passe une enfance heureuse, notamment â Amphion, la propriete familiale dont le parc borde le lac Leman, et oii elle decouvre l'ivresse de la narure. Anna a un frere, Constantin, et une sceur, Helen |
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