Anne Perrier |
Quelle importance Dit-elle Que je parle Que je me taise pour toujours Le vent souffle vers le désert Y aura-t-il même Un palmier qui m'entende J'appelle à moi le chant Que le siècle blesse à mourir Goutte à goutte je le recueille Mais pour qui Deuil et désir J'erre parmi les noirs étangs Eblouie De si peu même du cri Rauque de la grenouille La jeunesse décomposée La terre couverte de plaies Hélas hélas où conduire mes pas Vole ma vie en éclats Et que la poésie se pare De tout ce que je perds La poésie fruit défendu Belladone mortelle Dans la débordante Mangeoire universelle Ne riez pas Ne condamnez pas si Contre l'avance des concasseurs Seule une tige nue Persiste Nous sommes les derniers Indiens Nous sommes les Papous Les fous les poux D'un monde antédiluvien Un oiseau mort depuis longtemps Chante pour une étoile éteinte Et plein de grands papillons d'août Le jour se pend Sous les beaux térébinthes A tant de nuit à tant de nulle Floraison S'oppose avec douceur La rose Au fond des millénaires C'est ici qu'ils vécurent moururent Les yeux pleins de rêve C'est ici qu'ils jouèrent mais d'une flûte Si triste Que notre cour en fut à jamais Transpercé Vigne heureuse penchée Sur mes réveils si lourds Par tous tes pampres retiens-moi De glisser hors du jour La nuit pourra venir Souffler sur mes paupières Le silence pourra tenir En laisse tous mes airs Mais pas avant Que j'aie jeté aux quatre vents Mon chant de mort Et planté dans le front du temps Mes banderilles d'or Je suis poussière et cendre Disait le vieil homme Oh ! l'immense clameur qui monte de Sodome Je suis poussière et cendre Mais j'implore je crie Pitié pour cette ville innombrable De morts Moi qui savais des mots Pour enchanter la mort Et des secrets pour endormir Les bêtes carnassières J'ai peur De ces ombres qui lynchent ma raison Dans un grand bruit rond D'étoffes qu'on déchire Laissez ah ! laissez-moi Me perdre dans ce lac d'asphodèles Elles regardent dans les yeux Le ciel Que m'emporte ce clair essaim Et la nuit viendra boire Dans ma main C'était peut-être en rêve Une pluie me tombait des yeux Le cour tremblant je descendais Le chant de la rivière Les âges me couvraient de leur feu Et je passais légère En des fonds somptueux Quand je serai sous la mer Compagne d'hippocampes et d'éternelles Danses quand je serai Dans les profonds jardins d'iris Ne m'écrivez pas Quelles questions sous tant de bleu Ne se perdraient Ne me demandez pas Si j'exulte en ce lieu Sur vos rivages ma réponse Serait rejetée Ne serait-ce mon cour Sang d'Arabie vase de Perse Cette fleur Illusion que le vent disperse En mille moucherons moqueurs Que peut contre la poésie tout ce fleuve de lave Si dans le monde où nous sommes Un chant fût-il éteint depuis longtemps A un autre chant d'homme Fût-il né dans mille ans Correspond les oiseaux le savent Et que peut contre les oiseaux Transparents L'hydre du temps Le souffle noir des hyènes Sous le rossignolier Mais les radieux Sont trop hauts Passe le bel ici-bas Passent les jours si longs Blessure immonde Je porte en moi comme le plomb La mortelle contradiction D'être et de n'être pas Au monde Les blessures comme le feu Semblent finir par s'endormir Tromperie Dans leurs ventres laiteux Elles roulent des incendies Chaque matin Livrée au feu et aux bêtes sauvages Aux termites anthropophages Qui me dévorent à grand bruit Et me laissent en vie Dans une mort sans fin Si la seule innocence Etait au fond de l'invisible Dans le regard incorruptible De l'enfant mort à la naissance Où n'entreront jamais Que l'azur et la paix Deux araignées géantes Se promènent dans mon cerveau Depuis le temps qu'elles tentent De l'étouffer dans leur réseau De fils atroces ne voient-elles Qu'en jouant des oiseaux Brisent la toile de leurs ailes Rossignols d'ombre plus fidèles Que le sang sous la peau Toi rossignol de mon triste été Prends possession de cette terre Que je vais quitter Dis à la rose et à l'ombellifère Qu'elles seront les plus fortes Rends grâce pour l'absente A la glorieuse lumière Vis et chante Lorsque je serai morte Bâtissez-moi un grand tombeau Une haute fontaine Je vous dis que rien n'est trop beau Pour ton sommeil ô longue peine De vivre que nulle eau N'est assez pure pour atteindre En moi le ciel profond N'est assez fraîche pour éteindre Ces soifs qui détruisent le corps Ces feux qui brûleront Les portes de la mort J'avais reçu trois anneaux d'or Le premier s'est noyé Dans le cours du temps Le deuxième une pie l'a volé Pour son cou blanc Le troisième coeur d'ellébore Garde un secret Qu'un seul regard en l'effleurant Briserait Suspendue au fil Du lumineux été La libellule En gloire semble attester Que vivre est une royauté Fragile Si j'étais le berger De mes pensées de mes rêves obscurs Je passerais le mur Des nuits J'irais conduire mon léger Troupeau jusqu'à l'inaccessible source Et nous boirions au long été Perdu toute peur endormie à mes pieds Chienne douce Moi l'envolée J'ai perdu dans les airs la trace des oiseaux Moi l'écoulée En dormant j'ai perdu la voix des passeurs d'eau Je suis le chant qui s'en va tout seul Entre terre et ciel Que je dorme statue Pierre sauvage sous ton nom Mycènes que mes veines tes rues Mêlent leurs sangs de plomb Ne serait-elle ta cruauté dorée Plus douce à l'âme que ce temps damné Chut écoutons les grillons heureux Flûter l'amour Et sur un air solaire les troupeaux laineux Gagner la source où ronronne le jour La beauté Foulée aux pieds par ce siècle barbare Avec ma sour la lune Qui peut les délivrer Douleur douleur Le cour n'est plus Qu'un cimetière d'astres éboulés L'arbre en hiver Se roule dans la douceur fourrée Des étoiles Tous ces flocons de neige une absence Infinie de pétales Mais les fleurs de l'été ne serait-ce leur danse Inverse et royale Laissez dormir les heures Le temps n'est plus à prendre La mort s'impatiente d'attendre Sous la pluie que je meure Chaque matin je suis cette ombre Qui se délivre d'elle-même Et danse à la froide fontaine De son double à ses pieds puis retombe L'espace est mon jardin La mer l'habite Tout entière avec ses vents lointains Les planètes lui rendent visite La vie la mort Egales jouent à la marelle Et moi captive libre j'erre au bord De longs jours parallèles Je parle tout le jour Avec les coquillages le corail blanc De la mort et je joue A me perdre dans les étangs Pleins d'iris jaunes de grenouilles Bulbeuses Qui me reconnaîtrait Dans cette vase où grouillent Tous mes rêves défaits |
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Anne Perrier (1922 - ?) |
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