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Auguste Barbier



Iambes, terpsichore - Poéme


Poéme / Poémes d'Auguste Barbier





À M A Royer:



Lorsque la foi brûlante a déserté les âmes,

Quand le pur aliment de toutes chastes flammes,

Le nom puissant de Dieu des coeurs s' est effacé,

Et quand le pied du vice a partout repassé,

La vie à tous les dos est chose fatigante;

C' est une draperie, une robe traînante,

Que chacun à son tour revêt avec dégoût,

Et dont le pan bientôt va flotter dans l' égout.

Quand l' on ne croit à rien, que faire de la vie?

Que faire de ce bien que la vieillesse envie,

Si l' on ne peut, hélas! L' envoyer vers le ciel,

Comme un encensoir d' or fumant devant l' autel;

La remplir d' harmonie, et, dans un beau délire,

Des âmes avec Dieu se partager l' empire,

Ou la teindre de sang, comme un fer redouté,

Aux mains de la patrie et de la liberté;

Quand le coeur est sans foi, que faire de la vie?

Alors, alors il faut la barbouiller de lie,

La masquer de haillons, la couvrir d' oripeaux,

Comme un ivrogne mort l' enfouir dans les pots;

Il faut l' user enfin à force de luxure,

Jusqu' au jour où la mort, passant par aventure,

Et la trouvant courbée et vaincue à moitié,

Dans le fossé commun la poussera du pié.





Ainsi, du haut des tours les cloches ébranlées,

Battant l' air sourdement de leurs pleines volées,

Sur la ville frivole et sans dévotion

Ont beau répandre encor de la religion;

Les cierges allumés ont beau luire à l' église,

Et sur l' autel de pierre et sur la dalle grise

Le prêtre a beau frapper de son front pénitent:

Au culte des chrétiens on vit indifférent,

Mais non pas à l' ennui. Toute face tournée

Vers ce triste démon à la main décharnée

Craint toujours de sentir son fade embrassement,

Son baiser glacial; et chacun lestement

De le fuir aussitôt, et de suivre à la trace

La moindre occasion qui traverse et qui passe,

Le tumulte en la rue, et le rire banal

De l' antique Saturne aux jours du carnaval.

Le carnaval! Jadis cette courte folie

Était de la misère avec un peu de lie,

Des malheureux payés, le long des boulevards,

Poussant des hurlements sous des masques blafards;

Mais les gueux aujourd' hui ne sont plus seuls en scène:



Les beaux noms du pays descendent dans l' arène,

Et, le gosier bardé des plus sales propos,

Des porteurs de la halle ils se font les échos.

Puis viennent après eux les hommes de pensée;

Et tous ces curieux de la joie insensée,

Le soir, vont au théâtre, et, sans chaleur, sans rût,

Apprennent là du peuple à danser le chahut.

Quelle danse et quel nom! D' abord c' est une lutte:

Les accents du clairon, les soupirs de la flûte,

Les violons aigus et les tambours ronflants,

Irritent tous les corps, agitent tous les flancs;

Puis, le signal donné, les haleines fumeuses

Versent de tous côtés des paroles vineuses.

Bientôt le masque tombe, ainsi que la pudeur;

La femme ne craint pas de tendre avec ardeur

Au vin de la débauche une lèvre altérée,

Et là nulle ne fait la longue et la sucrée.

L' homme attaque la femme, et la femme répond.

La joue en feux, les yeux luisant à chaque bond,

Et la jambe en avant, elle court sur les planches;



Elle arrive sur l' homme en remuant des hanches;

Et l' homme, l' animant du geste et de la voix,

Par ses beaux tordions la met toute aux abois,

Comme un triton fougueux prend une nymphe impure,

Il la saisit au corps, et, forçant la nature,

Simule à tous les yeux ce que les animaux

N' ont jamais inventé dans leurs plaisirs brutaux.

Horreur! Cette luxure est partout applaudie,

Et l' imitation court comme l' incendie.

Puis la salle chancelle, et d' un élan soudain

Le bal entier se lève, une main dans la main;

Les corps joignent les corps; comme un torrent qui roule

Sur le plancher criant s' éparpille la foule.

Alors une poussière immonde, en longs anneaux,

Enveloppe la salle et ternit les flambeaux;

Le plafond tourne aux yeux ainsi que dans l' ivresse;

La chair a tout vaincu, l' âme n' est plus maîtresse,

Et l' homme n' est plus froid en cet emportement,

Car c' est la mer qui gronde en son lit écumant,

C' est le vent qui tournoie en hurlantes rafales,

C' est un troupeau fumant de bouillantes cavales,

C' est la fosse aux lions. -malheur, hélas! Malheur

Au pied de l' apprenti qui n' a pas de vigueur!



Malheur au faible bras qui délaisse une taille!

Ah! C' en est fait ici comme au champ de bataille

Du maladroit qui tombe! -aux clameurs du plaignant

Tout est sourd, et le père, et la mère, et l' enfant;

Personne n' a d' entraille en ce moment terrible,

Et la ronde aux cent pieds, impitoyable, horrible,

Passera sur le corps, et sous ses bonds vivants

Meurtrira sans effroi des membres palpitants.



Ô pudeur! ô vertu! Douce et belle pensée!

Ô chevelure d' ève à longs flots dispersée!

Pudeur, voile de pourpre, adorable manteau,

Déchire-toi devant cet ignoble tableau!

Et vous, de Terpsichore ô compagnes fidèles!





Ô filles d' Apollon! Danseuses immortelles,

N' abaissez pas vos pieds sur nos planchers mesquins,

Où se ternirait l' or de vos beaux brodequins;

Muses, restez aux cieux, car la plus grande peine

Qui pourrait affliger votre âme surhumaine

Serait de voir encore à ces débordements

Se mêler le flot pur de vos nobles amants;

Oui, ce serait de voir, sans respect pour soi-même,

L' artiste profaner sa dignité suprême,

D' avance dépouiller ses oeuvres de grandeur

En faisant de leur père un grotesque sauteur;

L' artiste devenir le jouet du vulgaire,

Un singe balladant devant le populaire,

Lui, dont la grande voix et les chants rebutés

Percent si rarement l' air pesant des cités,

Pour lequel notre temps est un siècle pénible,

Et pour qui l' avenir semble encor plus horrible!

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Auguste Barbier
(1805 - 1882)
 
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