Auguste Barbier |
Comme aux jours déclinants de l' empire de Rome, La mode est aujourd' hui de jouer au grand homme, De se donner, vivant, les airs d' un immortel Et d' avoir comme un saint sa niche et son autel. C' était peu d' accabler les journaux de réclames Et, par maints tours adroits, maintes secrètes trames, D' obtenir de la main d' un pauvre rédacteur De génie avéré le brevet imposteur; C' était peu de remplir et les quais et les rues D' ambitieux portraits aux mines incongrues, Et de laisser au fond du crâne d' un badaud L' image d' un tribun et quelquefois d' un sot; Il fallait mieux encore... un moyen plus solide Qu' un dessin fugitif ou qu' une phrase vide, Aussi le dur granit et le marbre et l' airain Sont-ils venus en aide à l' amour-propre humain. Comme des champignons, ces pâles cryptogames Que septembre orageux de ses humides flammes Enfante par centaine aux rebords des chemins, Il est né des milliers d' artistes dont les mains Tripotant et gâchant plus ou moins bien l' argile Ont fait d' un art sublime une chose futile, Et mis de Phidias les outils respectés Au service banal des moindres vanités. De là tous ces messieurs aux poses drôlatiques Dont le bronze encombra si longtemps nos boutiques, Cet amas de chanteurs, de danseurs et d' acteurs Étalant fièrement leurs toupets séducteurs, Tous ces fils de Dantan, vrais monstres de pagode, Dont le regard me fut tant de fois incommode Et dont j' eusse voulu délivrer la cité Si parmi ses suppôts Delessert m' eût compté. Pardieu! N' était-ce pas bien assez de Versailles, Ce grand Capharnaüm de sanglantes batailles, Où l' on trouve avec peine entre tant de tableaux Les portraits réussis de quelques vrais héros! Encor si ce faux goût, cette rage de plâtre, Cet amour effréné du bronze et de l' albâtre, N' affligeait que Paris, ce serait demi-mal; Mais le pays entier est sous le vent fatal. Paris élève un trône à son enfant, Molière, Ailleurs il ne faut pas demeurer en arrière, Et voilà subito tout arrondissement, Ô province! Qui veut avoir son monument. Qui jamais eût pensé que la reconnaissance D' une contrée irait jusqu' à l' extravagance D' ériger, en retour d' un aimable caquet, Une statue en pied au bel esprit Gresset! Certes, Parmentier fut homme utile en sa sphère, Il apprit à manger de la pomme de terre. Le service est très-grand, mais pour ce fait humain Fallait-il comme un dieu le couler en airain? Hélas! Il est si dur de voir son forum vide Et toujours recouvert d' une poussière aride, Lorsqu' au milieu du sien la ville d' à côté Vous dresse un de ses fils en général sculpté, Un brave qui servit quinze ans sous le grand homme Et n' eut peut-être bien d' autre mérite en somme Que celui de sabrer, front vulgaire et coeur chaud Plus encore au butin qu' aux périls de l' assaut! N' importe, on a son homme, et sans désavantage On figure au livret du flâneur qui voyage; Et puis, dans les grands jours, c' est un thème tout fait Pour les bredouillements d' un maire ou d' un préfet. Vraiment, on ne sait pas dans combien de bévues Peut tomber le pays par amour des statues. Aux marmitons bientôt l' on en accordera; Comme la croix d' honneur, tout le monde en aura. Mais, dit-on, le pouvoir est là pour mettre en bride Les excentricités d' une mode stupide. Le pouvoir? Allons donc! Il a dans ce moment Autre chose à penser qu' à faire un règlement Pour garder le pays d' une pente fatale, Tenir en juste accord l' art avec la morale. D' ailleurs ne vit-on pas en pleine liberté? Et pourvu qu' à l' état il ne soit rien quêté, Chacun peut honorer qui lui plaît... ô Voltaire! Si ton esprit encore habitait cette terre, Comme il rirait de voir le bon peuple gaulois, Jaloux de se pourtraire à l' exemple des rois! Ô Welches! Dirais-tu, puisqu' aux races futures Vous voulez sûrement transmettre vos figures, Donnez-vous ce plaisir, allez même à Paros Puiser l' élément pur d' où tant de fiers ciseaux Tirèrent l' idéal de notre forme humaine Et d' où sortit un jour la blanche Anadyomène. Pour vous rien de trop beau, rien de trop précieux: Posez-vous en guerriers, en prophètes, en dieux; Prenez six pieds de taille et des crânes énormes; Couvrez-vous de manteaux ou laissez voir vos formes; Soyez tels qu' il vous plaît d' être vus... mais jamais Ne soyez ressemblants, car vous êtes trop laids. Publié en . |
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Auguste Barbier (1805 - 1882) |
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Portrait de Auguste Barbier | |||||||||