wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Auguste Barbier



Lazare, le gin - Poéme


Poéme / Poémes d'Auguste Barbier





Sombre génie, ô dieu de la misère!

Fils du genièvre et frère de la bière,

Bacchus du nord, obscur empoisonneur,

Écoute, ô Gin, un hymne en ton honneur.

Écoute un chant des plus invraisemblables,

Un chant formé de notes lamentables

Qu' en ses ébats un démon de l' enfer

Laissa tomber de son gosier de fer.

C' est un écho du vieil hymne de fête

Qu' au temps jadis à travers la tempête

On entendait au rivage normand,

Lorsque coulait l' hydromel écumant;

Une clameur sombre et plus rude encore

Que le hourra dont le peuple centaure,

Dans les transports de l' ivresse, autrefois

Épouvantait le fond de ses grands bois.

Dieu des cités! à toi la vie humaine

Dans le repos et dans les jours de peine,

À toi les ports, les squares et les ponts,

Les noirs faubourgs et leurs détours profonds,

Le sol entier sous son manteau de brume!

Dans tes palais quand le nectar écume

Et brille aux yeux du peuple contristé,

Le Christ lui-même est un dieu moins fêté

Que tu ne l' es: -car pour toi tout se damne,

L' enfance rose et se sèche et se fane;

Les frais vieillards souillent leurs cheveux blancs,

Les matelots désertent les haubans,

Et par le froid, le brouillard et la bise,

La femme vend jusques à sa chemise.



Du gin, du gin! -à plein verre, garçon!

Dans ses flots d' or, cette rude boisson

Roule le ciel et l' oubli de soi-même;

C' est le soleil, la volupté suprême,

Le paradis emporté d' un seul coup;

C' est le néant pour le malheureux fou.

Fi du porto, du sherry, du madère,

De tous les vins qu' à la vieille Angleterre

L' Europe fait avaler à grands frais,

Ils sont trop chers pour nos obscurs palais;

Et puis le vin près du gin est bien fade;

Le vin n' est bon qu' à chauffer un malade,

Un corps débile, un timide cerveau;

Auprès du gin le vin n' est que de l' eau:

À d' autres donc les bruyantes batailles

Et le tumulte à l' entour des futailles,

Les sauts joyeux, les rires étouffants,

Les cris d' amour et tous les jeux d' enfants!

Nous, pour le gin, ah! Nous avons des âmes

Sans feu d' amour et sans désirs de femmes;

Pour le saisir et lutter avec lui,

Il faut un corps que le mal ait durci.

Vive le gin! Au fond de la taverne,

Sombre hôtelière, à l' oeil hagard et terne,

Démence, viens nous décrocher les pots,

Et toi, la mort, verse-nous à grands flots.

Hélas! La mort est bientôt à l' ouvrage,

Et pour répondre à la clameur sauvage,

Son maigre bras frappe comme un taureau

Le peuple anglais au sortir du caveau.

Jamais typhus, jamais peste sur terre

Plus promptement n' abattit la misère;

Jamais la fièvre, aux bonds durs et changeants,

Ne rongea mieux la chair des pauvres gens:

La peau devient jaune comme la pierre,

L' oeil sans rayons s' enfuit sous la paupière,

Le front prend l' air de la stupidité,

Et les pieds seuls marchent comme en santé.

Pourtant, au coin de la première rue,

Comme un cheval qu' un boulet frappe et tue,

Le corps s' abat, et sans pousser un cri,



Roulant en bloc sur le pavé, meurtri,

Il reste là dans son terrible rêve,

Jusqu' au moment où le trépas l' achève.



Alors on voit passer sur bien des corps

Des chariots, des chevaux aux pieds forts;

Au tronc d' un arbre, au trou d' une crevasse

L' un tristement accroche sa carcasse;

L' autre en passant l' onde du haut d' un pont

Plonge d' un saut dans le gouffre profond.

Partout le gin et chancelle et s' abîme,

Partout la mort emporte une victime;

Les mères mêmes, en rentrant pas à pas,

Laissent tomber les enfants de leurs bras,

Et les enfants, aux yeux des folles mères,

Vont se briser la tête sur les pierres.

Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Auguste Barbier
(1805 - 1882)
 
  Auguste Barbier - Portrait  
 
Portrait de Auguste Barbier
mobile-img