Auguste Barbier |
Les vieux égyptiens vénéraient fort les morts; Ils avaient même l' art de soustraire les corps Au travail dévorant de la faux de Saturne. Ils ne les mettaient point en cendres, dans une urne, Comme le pratiquaient les austères romains; Mais, les débarrassant des organes humains Corruptibles, de baume et de fins aromates Ils les bourraient et, par ces choses délicates, Dans le rose granit d' un monument sculpté Leur conservaient longtemps air de vitalité. Ce secret ne s' est point tout à fait en nos âges Perdu. Non; de nos jours d' habiles personnages Ont acquis du renom dans cet art sépulcral, Et l' on peut, entre tous, citer Monsieur Gannal. Mais on fait mieux encor: sur l' âme l' on opère, Sur l' âme rayonnante en son étroite sphère; En un mot, on agit sur l' être en plein ressort: Le vif est embaumé tout autant que le mort. Vous vous moquez! -moi? Non. -vraiment? -je vous le jure; J' observe, et dans le coeur de l' humaine nature Je signale un esprit de ruse et de détour Fort commun et déjà très-ancien, car du jour Où la société s' aiguise et se raffine Dans ses nombreux rapports, l' humanité décline Les actes violents et voile de son mieux Ses défaillances ou ses plans malicieux. Voyez un peu l' ami dont l' affection baisse Et qui veut déguiser son défaut de tendresse: Il se montre, à l' endroit du coeur qu' il va quitter, D' une sollicitude à l' impatienter. Shakspeare l' avait dit, ce grand devin des âmes: Lorsque de l' amitié les admirables flammes Commencent à pâlir, elle redouble d' art Et vous comble de soins, d' honnêteté, d' égard. La simple bonne foi n' a jamais tant de zèle; On n' est point si poli tant que l' âme est fidèle; Trop de pas, trop de mots sont le signe certain D' une amitié qui meurt et d' un coeur qui s' éteint. De même pour l' amant à légère cervelle Qu' un nouveau goût entraîne après quelque autre belle: S' il n' est pas un brutal, un horrible goujat, Il ne brisera point ses noeuds avec éclat; Mais, glissant plus de miel en sa fausse parole, Jusqu' au dernier instant il soutiendra son rôle D' amant passionné; ce ne seront alors Que chauds empressements, que sensibles transports, Promesses de plaisirs, baisers, cajolerie, Et même de cadeaux une abondante pluie; Bref, le jour du départ sera le plus aimant: Embaumement complet du divin sentiment. Maintenant arrivons aux hommes de l' idée, À ces graves penseurs dont l' âme est possédée Du seul amour du vrai, soi-disant; nous verrons Qu' ils usent du même art suivant leurs passions. Un critique veut-il couper court à la gloire D' un rimeur trop ardent à remplir la mémoire De ses concitoyens du doux bruit de ses vers? Il cueille pour son front les lauriers les plus verts, Chante le beau printemps de sa verve à tue-tête, L' exalte outre mesure, et puis après le traite D' homme usé, de poëte en faillite et glacé; Il l' embaume en un mot dans son brillant passé. Et ce délicieux écrivain philosophe Qui n' aime point l' éclat trop tranché d' une étoffe, Et, de purs demi-tons, de nuances épris, Soutient que le vrai n' est ni blanc, ni noir, mais gris; Quand tout doucettement il attaque et ruine Un grand culte basé sur l' essence divine De cet être adorable, étonnant, merveilleux, Qui les faibles aima seul et parla pour eux, Tout en le dépouillant de son nimbe céleste, Il lui garde respect, et, saintement funeste, Il embaume le dieu dans l' éloge exalté Des sublimes vertus de son humanité. Enfin ces orateurs qui, montés au pinacle Et fiers de gouverner l' empire sans obstacle, Jettent force louange à leurs rivaux à bas, Les croyant à jamais dévolus au trépas; Encor des embaumeurs, des gens dont la tactique Fait pendant, sur le haut du tremplin politique, Aux manieurs de plume... ô fils des pharaons! Le temps vous a traités de terribles façons: Il a fauché vos dieux, vos cités et vos temples, Mais il nous est resté de vous de bons exemples; Et longtemps, bien longtemps, l' art de vos embaumeurs Trouvera parmi nous de fervents sectateurs. Publié en . |
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Auguste Barbier (1805 - 1882) |
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