Auguste Barbier |
Cher lecteur! Suis mes pas, entrons dans un ménage Où, sous la cheminée, on bâcle un mariage; Prenons place au foyer et voyons un instant Ce qu' on pense tout haut sur ce point important. La maison est bourgeoise ou noble, peu importe: Aujourd' hui qu' on n' a plus d' écussons à sa porte, Que la fortune a mis son niveau sur les rangs, Le langage et les moeurs ne sont point différents. -Mon ami, dit la femme au père de famille, Il est temps de songer à pourvoir notre fille. Le Père. Eh bien, soit. Tu connais Acaste, il a du bien, Trois frères sans enfants, un nom qui vaut le mien; Il ne prendra que peu... c' est vraiment notre affaire. La Mère. Mais il est, cher ami, presque sexagénaire. Le Père. Tant mieux, c' est un motif pour qu' il ne soit pas fou Et ne croque son bien jusques au dernier sou. La Mère. Monsieur Georges, ami, me plairait davantage; Il a trente ans au plus, barbe noire au visage; C' est un joli valseur et des plus complaisants À promener au bal les ennuis des mamans. Il pourrait devenir receveur ou notaire. Le Père. Sans doute avec l' argent de son futur beau-père, Car il exigerait une très-grosse dot. Ma femme, ce n' est pas le mari qu' il nous faut. D' ailleurs, réfléchissons; est-il juste à notre âge De faire de nos biens l' aventureux partage, De nous mettre à la gêne, et pour nos chers enfants De borner nos plaisirs? Songeons à nos vieux ans. C' est le premier parti, crois-le bien, qu' il faut prendre, Et c' est Acaste donc qui sera notre gendre. Sa fortune est solide, et le monde le tient, Dans tous les sens du mot, pour un homme de bien. Par lui nous assurons le sort de notre fille... Sur ce, l' on a mandé l' innocente Camille. Comme un mouton craintif, front bas, sein agité, Elle vient. -mon enfant, ton sort est arrêté; Tu vas te marier. -mon père. -oui, ma belle, Dans le monde aujourd' hui tu prends place réelle, Tu comptes désormais; ta bonne mère et moi D' un excellent époux avons fait choix pour toi. Il n' est pas jeune, non, il passe les cinquante; Mais il possède au moins vingt mille écus de rente. Il n' est pas beau non plus, mais honnête est son nom; C' est un homme sensé, de convenance et bon. Heureuse il te rendra bien mieux que cette folle Jeunesse qui n' a rien que fadeurs en parole; Puis il te donnera voiture, mon enfant. Et, pesant à dessein sur ce mot triomphant, Le bonhomme poursuit: tu sens, ma chère fille, Que, lorsqu' un tel honneur est fait à ta famille, Il serait de ta part peu digne et mal séant De le refuser... non, ton coeur obéissant Recevra de nos mains ce mari tutélaire Comme le plus beau don que nous puissions te faire. L' innocente Camille à ce discours nouveau Baisse encor plus le front, rougit comme un pavot, Reste tout immobile et comme sans entendre, Puis, à mots étouffés qu' on a peine à comprendre, Bégayante, elle dit: -chère maman, papa, Je ferai, soyez sûrs, tout ce qui vous plaira... On la rebaise alors, on l' appelle chérie, On rejoue avec elle une scène attendrie, On pousse des soupirs, des plaintes, des hélas! Comme si Lachésis vous l' enlevait des bras. Puis, Dieu béni d' avoir une enfant si charmante, Si douce à ses parents et tant obéissante, On la renvoie enfin en son appartement Réfléchir tout à l' aise à ce grand changement. Maintenant avec elle en cette solitude Pénétrons et voyons quelle est son attitude... D' abord tout étourdie et toute hors de soi, Les deux seins palpitants de surprise et d' émoi, Elle se laisse aller au long d' une couchette, Et là, dans l' oreiller plongeant sa blonde tête, Elle y verse à long flot un déluge de pleurs. Mais bientôt de ses yeux tarissent les humeurs, Et soudain à l' esprit sa nouvelle existence Apparaît, se dessine et prend corps; elle pense À ce monsieur âgé qu' elle ne connaît pas. Et qui sous peu de jours l' étreindra dans ses bras. Elle en frissonne et voit à travers la pénombre Passer et repasser, comme fantôme sombre, Le visage attristé de son jeune cousin, De sa vie et ses jeux compagnon enfantin, Et d' un voile de pleurs se couvre sa prunelle. Mais à quoi bon?... le voeu de l' âme paternelle N' est point là... ce n' est point ce timide garçon Qui sera son mari, mais le grave barbon. Il faut donc aux désirs de sa chère famille Se soumettre, ou sinon à jamais rester fille, Et clouée au logis... ah! Ce serait bien dur Quand de la liberté l' on entrevoit l' azur, Le bonheur d' être à soi, de n' avoir plus de père Ni de mère grondant, et d' un regard sévère Veillant en vrais geôliers sur chacun de vos pas. Et puis cet inconnu vers elle ne vient pas Les mains vides; il a bijoux et cachemire, Toilettes à jeter vingt têtes en délire, De beaux appartements et de fringants chevaux À briser en courant le tympan des badauds. Déjà sous sa fenêtre elle entend sa voiture Qui s' arrête, et le bruit des laquais en dorure. Quel plaisir d' aller voir ses rivales de bal Et de les écraser sous l' éclat triomphal De son luxe, surtout à leur jeune insolence D' arracher ces cinq mots: Camille a de la chance! Quel bonheur! Vienne donc le conjungo sacré, Le notaire, le maire et monsieur le curé, Et d' un front sans pâleur, d' un air imperturbable, Elle prononcera le oui tant redoutable. C' est bien; les chers parents sont radieux, contents; Ils ont atteint leur but, laissons filer le temps, Du bruit et des cadeaux s' évaporer l' ivresse. Croit-on que sur un coeur tendre et plein dejeunesse La nature à jamais ait abdiqué son droit? Non; -le coeur, au contrat qui fut mis hors la loi, Saura bien quelque jour reprendre sa revanche. On ne tombe jamais que du point où l' on penche; Et c' est du coeur surtout que viendra le danger... En vain on l' abusa par un art mensonger, En vain on l' étouffa sous l' or et la dentelle; On ne l' a pas éteint, et, battant de plus belle, Il se renvolera comme le jeune oiseau Dès qu' il aura trouvé maille ouverte au panneau, Et ce ne sera long, car jamais homme d' âge Ne peut jouer longtemps son jeune personnage. Bientôt le masque tombe, et l' on voit ce qu' il est, Un être fort maussade et répugnant et laid. Alors que devenir? Un ennui vague, horrible, Des tourmentes du coeur le précurseur terrible, Sur la belle agitant ses deux ailes de plomb, Fera bâiller sa bouche et courbera son front. Puis l' essaim des désirs, les infinis caprices, Épuisant sur ses pas leurs futiles délices Vainement chasseront le fantôme hébété. Hélas, trois fois hélas! -si la maternité Ne vient pas à propos par sa joie et ses peines Faire diversion à des langueurs malsaines, Ou si du rédempteur le saint commandement N' arrête pas le cours d' un fol entraînement, C' en est fait de l' honneur de ce toit domestique; Et quelque beau matin, en ce coin pacifique, Sous les traits affadis du premier éventé, Monseigneur cocuage entre avec majesté. Et ce prince jamais ne vient sans qu' il amène Avec lui les fléaux de la famille humaine: Le scandale, les cris, les fuites, les combats Et le venin mortel des verbeux avocats. Et les tristes parents, à qui beaucoup incombe En ce malheur, souvent descendent à la tombe, Leur fille sur les bras et le coeur au regret Du déplorable sort qu' à leur sang ils ont fait... Ah! Que jadis, au sein des forêts de la Gaule, Nos barbares aïeux comprenaient mieux leur rôle Dans l' établissement de leurs belles enfants! Jamais ils n' exerçaient, despotes étouffants, Sur leur coeur virginal de dure tyrannie, Mais plutôt les laissaient, arbitres de leur vie, D' elles-mêmes régler leur amoureux destin. Quand venait le grand jour, en un vaste festin, Du clan ils assemblaient la virile jeunesse, Puis, au milieu des cris et des chants d' allégresse, Ils faisaient apparaître, une amphore à la main, L' enfant qu' ils destinaient aux douceurs de l' hymen. Celle-ci lentement tournait autour des tables, Et le premier garçon à qui ses doigts aimables Versaient à flot doré l' hydromel écumant Devenait de ses jours le compagnon charmant... Chez nos braves aïeux la coutume était telle, Coutume, comme on voit, humaine et naturelle: Pourquoi de notre temps n' y reviendrait-on pas? Elle ne sauvait point toujours des mauvais pas, Du désordre, c' est vrai, car le coeur est volage, Facile à se tromper; mais quel que fût l' orage Qui détruisait plus tard le lien fortuné Que deux coeurs s' étaient fait, ils se l' étaient donné; Et dans leurs plus beaux jours, leur saison printanière, Grâce au choix spontané, la liberté plénière, De l' amour ils avaient savouré le bonheur En sa plus pure ivresse et sa plus sainte ardeur. Publié en . |
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Auguste Barbier (1805 - 1882) |
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