Blaise Cendrars |
I Terrain infernal Haute futaie sur marais avec un enchevêtrement de lianes et un sous-étage de palmiers bas d'un énorme diamètre de feuillage Piquants droits Vers midi et demi nous entendons une bande des grands animaux que nous cherchons On perd l'équilibre à chaque instant L'approche est lente A peine ai-je aperçu les éléphants qu'ils prennent la fuite II La nuit Il y a des éléphants dans les plantations Au bruit strident des branches cassées arrachées succède le bruit plus sourd des gros bananiers renversés d'une poussée lente Nous allons directement sur eux En montant sur un petit tertre je vois l'avant de la bête la plus rapprochée La lune perpendiculaire réclaire favorablement c'est un bel éléphant La trompe en l'air l'extrémité tournée vers moi Il m'a senti il ne faut pas perdre une demi-seconde Le coup part A l'instant une nouvelle balle passe dans le canon de la Winchester Puis je fume ma pipe L'énorme bête semble dormir dans la clairière bleue III Nous arrivons sur un terrain d'argile Après avoir pris leur bain de boue les bêtes ont traversé des fourrés particulièrement épais A quinze mètres on ne distingue encore que des masses informes sans qu'il soit possible de se tendre compte ni de la taille ni des défenses J'ai rarement aussi bien entendu les bruits intestinaux des éléphants leurs ronflements le bruit des branches cassées Tout cela succédant à de longs silences pendant lesquels on a peine à croire leur présence si rapprochée IV Du campement nous entendons des éléphants dans la forêt Je garde un homme avec moi pour porter le grand kodak A douze mètres je distingue mal une grande bête A côté d'elle il me semble voir un petit Ils sont dans l'eau marécageuse Littéralement je les entends se gargariser Le soleil éclaire en plein la tête et le poitrail de lajrande femelle maintenant irritée Quelle photo intéressante a pu prendre l'homme de sang-ftoid qui se tenait à côté de moi v Le terrain est impossible Praticable seulement en suivant les sentiers tracés par les éléphants eux-mêmes Sentiers encombrés d'obstacles de troncs renversés De lianes que ces puissants animaux enjambent ou bien écartent avec leur trompe Sans jamais les briser ou les supprimer pour ne plus les rencontrer sur leur chemin En cela ils sont comme les indigènes qui n'enlèvent pas non plus les obstacles même dans leurs sentiers les plus battus VI Nous recoupons la piste d'un grand mâle La bête nous mène droit vers l'ouest tout au travers de la grande plaine Parcourt cinq cents mètres en forêt Circule quelque temps dam un espace découvert encore inconnu de nous Pais rentre en forêt Maintenant la bête est parfaitement immobile on ronflement trahit seulement sa présence de temps en temps A dix mètres j'aperçois vaguement quelque chose Est-ce bien la bête? Oui voilà bien une énorme dent très blanche A ce moment une pluie torrentielle se met à tomber et une obscurité noire Le film est raté VII Quelquefois les sentiers d'éléphants serpentent se croisent Enserrés entre des murailles d'arbustes de ronces Cette végétation est impénétrable même pour les yeux Elle atteint de trois à six mètres d'élévation Dans les sentiers les lianes descendent jusqu'à un deux trois pieds du sol Puis remontent affectant les formes les plus bizarres Les arbres sont tous énormes le collet de leurs racines aériennes est à quatre ou cinq mètres au-dessus du terrain VIII Nous entendons un troupeau Il est dans une clairière Les herbes et les broussailles y atteignent cinq à six mètres de haut Il s'y trouve aussi des espaces restreints dénudés Je fais rester mes trois hommes sur place chacun braquant son Bell-Howel Et je m'avance seul avec mon petit kodak sur un terrain où je puis marcher sans bruit Il n'y a rien d'aussi drôle que de voir s'élever s'abaisser se relever encore Se contourner en tous sens Les trompes des éléphants Dont la têts et tout le corps immense demeurent cachés IX J'approche en demi-cercle Soulevant son énorme tête ornée de grosses défenses Brassant l'air de ses larges oreilles La trompe tournée vers moi Il prend le vent Une photo et le coup part L'éléphant reçoit le choc sans broncher Je répète à toute vitesse Piquant de la tête ii roule à terre avec un râle formidable Je lui tire ensuite une balle vers le cour puis deux coups dans la tête Le râle est toujours puissant enfin la vie l'abandonne J'ai noté la position du cour et ses dimensions qui sont de 55 centimètres de diamètre sur 40 x Je n'aperçois le bel animal qu'un instant Maintenant je l'entends patauger pesamment régulièrement Il froisse les branches sur son passage C'est une musique grandiose Il est contre moi et je ne vois rien absolument rien Tout à coup son énorme tête se dégage des brousssailles Plein de fiée A six mètres Me dominant L'éléphant exécute une marche à reculons arec rapidité A ce moment la pluie se met à tomber arec un fracas qui étouffe le bruit des pas Xi Dans une grande plaine au nord A la lisière de la forêt une grande femelle un petit mâle et trois jeunes éléphants de taille différente La hauteur des herbes m'empêche de les photographier Du haut d'une termitière je les observe longtemps avec ma jumelle Zeiss Les éléphants semblent prendre leur dessert avec une délicatesse du toucher amusante Quand les bêtes nous sentent elles détalent La brousse s'entrouvre pour leur livrer passage et se referme comme un rideau sur leurs grosses masses |
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Blaise Cendrars (1887 - 1961) |
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Portrait de Blaise Cendrars | |||||||||
BiographieÀ 16 ans il fit une fugue, et comme d'autres vont à Vierzon ou à Bormes-les-Mimosas, prit le premier train rencontré qui le conduisit tout simplement à Moscou. De Moscou il partit allégrement, par le Transsibérien, en Chine, au diable l'avarice (quand on voyage clandestinement sans billet!). Blaise Cendrars, on le voit est allé à la bonne « école buissonnière».Pour une part, il effectua ses fabule Chronologie1887 Naissance à La Chaux-de-Fonds, 27, rue de la Paix, de Frédéric-Louis Sauser, le futur Blaise Cendrars. OuvresLes oeuvres complètes de Blaise Cendrars sont rééditées aux Éditions Denoël. |
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