Charles Bordes |
Jadis vivait dans les murs de Florence Un beau galant, d'une haute naissance, Nommé Rodric. Hélas ! trop généreux ; Car de la blonde allant droit à la brune. En beaux festins, cadeaux, plaisirs et jeux, Il eut bientôt dissipé sa fortune. Que devenir en cette extrémité ? Sage il devint, grâce à l'adversité. Fuyant la honte, et bravant la misère, L'infortuné, désormais se cachant À tous les yeux, achète une chaumière. Et tout auprès un petit bout de champ. Là, tout pensif, sans valet ni servantes, II fend la terre, ayant parmi ses soins Un peu d'humeur : on en aurait à moins. L'aurore ouvrait ses portes éclatantes, Quand d'un air leste un beau jeune garçon Vint l'aborder, et lui dit sans façon : «Holà, l'ami, sachons ce que tu plantes?» Rodric, peu fait à ces tons élevés. Lui répondit : « C'est ce que vous savez. » Sexe enchanteur, ce ne sont pas ses termes. Il se servit de mots un peu plus fermes, Disant tout haut les choses par leur nom, Que je tairai, si vous le trouvez bon. Vous connaissez cette plante si belle ; De vos beaux yeux un doux regard suffit ; Un seul regard, c'est le soleil pour elle. Mais reprenons le fil de mon récit. Lorsque Rodric, ayant martel en tête, Eut proféré ce discours malhonnête, Le beau garçon froidement répliqua : «Vous en plantez, eh bien il en viendra.» Soudain il fuit comme une ombre légère, Et de son pied touche à peine la terre. Rodric alors resta pétrifié, Lui qui parlait en tout temps comme un livre : Avoir ainsi manqué de savoir-vivre, Brutalement avoir congédié, ô ciel! Et qui?... C'est un ange... sans doute, C'est Gabriel, de la céleste voûte Exprès pour lui descendu par pitié. Un tel soupçon n'a rien de fort étrange. Durant le cours de ses goûts libertins, Toujours Rodric honora ce cher ange, Beau messager du maître des destins. Car à Florence on brûle plus de cierges Aux chérubins qu'aux onze mille vierges ; Informez-vous, chacun vous le dira. Mais qu'il gémit et se désespéra ! Si de l'effet la menace est suivie. Plus de ressource, et comment se nourrir ? Pauvre Rodric tu n'as plus qu'à mourir ! L'astre du jour, durant cette élégie. De ses rayons prodiguant les bienfaits, Lançait partout le bonheur et la vie. Dans les vergers, à l'ombre des bosquets, On voit les fleurs et les nymphes sourire; Amour voltige, émule de zéphire ; Dans tous les cours circule un feu divin : La jeune Églé sent palpiter son sein ; Églé rougit, et regarde Tityre. Et cependant Rodric est aux aguets, Seul malheureux, l'oil penché vers la terre. Quand tout à coup sur ses tristes guérets, S'élève et croit la moisson de Cythère. Fille qui trouve un aspic à ses pieds. En folâtrant sous la verte fouillée. De plus d'effroi n'a point l'âme troublée. Las! tous pécheurs sont enfin châtiés. Rodric puni se signe, s'agenouille, De pleurs amers son visage se mouille : Ecoutez bien, mortels, instruisez-vous. Le Gabriel est né plaisant, mais doux ; Il pardonne. Les ailes étendues. Je l'aperçois qui, d'un air triomphant. Paré de pourpre et porté sur les nues, Dit à Rodric : «Calme-toi, mon enfant; Lorsque le ciel fit naître ce prodige, Il t'éprouvait : prends la plus belle tige, Va, cours la vendre, et ta main recevra Vingt mille écus ; c'est le prix, et pour cause ; Car aussitôt que l'on verra la chose, Femme ni fille alors ne manquera De s'étonner, et de s'écrier : Ah ! Or, dans l'instant la divine merveille Chez celle-là qui poussera ce cri. S'introduira, mais non pas par l'oreille ; Et là sans cesse à son cour attendri, Inspirera la volupté suprême ; Charme immortel, si l'amante elle-même Ne dit enfin ce mot, Parapilla. Adieu, je pars, retiens tout cela. » L'ange s'envole, et Rodric s'humilie. Il s'en va cueillir le fruit de vie, Dans l'humble osier lui dresse un lit de fleurs Bien assorti des plus riches couleurs, Le tout couvert de belle mousseline ; Le pain bénit n'a pas meilleur mine. Quant au surplus des fruits de ce jardin, Flore en gémit : tout disparut soudain. Le bon Rodric cependant s'achemine Vers ces beaux lieux où près du trône assis, Le goût s'élève, enfant des Médicis ; Tout s'embellit sous leurs mains souveraines; Nobles tyrans, et modèles des rois. Les muses même avaient dicté leurs lois. Et leurs palais sont l'asile d'Athènes. Avec ardeur Rodric hâte ses pas ; Et le voilà s'écriant : « Fille ou veuve, Qui veut le voir? on le donne à l'épreuve. » Nommant l'objet, et vantant ses appas. Sans quoi les gens ne devineraient pas. Car, si j'en crois nos savants coryphées, Grands espions de la terre et du ciel. Interrogez nymphes, sibylles, fées, On ne vit onc un phénomène tel. Contes en l'air, me diront cent critiques; Tant pis pour eux; c'est un homme de bien Qui nous transmit tous ces faits authentiques : Si l'on en doute, on ne croira plus rien. Gens indévots, docteurs en épigrammes, Exercez-vous, j'en prends peu de souci. Moi, je suis simple, et c'est aux bonnes âmes Que je veux plaire en écrivant ceci. |
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Charles Bordes (1863 - 1909) |
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