Charles Péguy |
Jésus parle. - O mère ensevelie hors du premier jardin, Vous n'avez plus connu ce climat de la grâce, Et la vasque et la source et la haute terrasse, Et le premier soleil sur le premier matin. Et les bondissements de la biche et du daim Nouant et dénouant leur course fraternelle Et courant et sautant et s'arrêtant soudain Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle, ' Et pour bien mesurer leur force originelle Et pour poser leurs pas sur ces moelleux tapis. Et ces deux beaux coureurs sur soi-même tapis Afin de saluer leur lenteur solennelle. Et les ravissements de la jeune gazelle Laçant et délaçant sa course vagabonde, Galopant et trottant et suspendant sa ronde Afin de saluer sa race intemporelle. Et les dépassements du bouc et du chevreuil Mêlant et démêlant leur course audacieuse Et dressés tout à coup sur quelque immense seuil Afin de saluer la terre spacieuse. Et tous ces filateurs et toutes ces fileuses Mêlant et démêlant l'écheveau de leur course, Et dans le sable d'or des vagues nébuleuses Sept clous articulés découpaient la Grande Ourse... - Heureux ceux qui sont morts pour la terre char-Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre, [nellc, Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de [terre. Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle. Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles, Couchés dessus le sol à la face de Dieu. Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu, Parmi tout l'appareil des grandes funérailles. Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles, Car elles sont le corps de la cité de Dieu. Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur Et les pauvres honneurs des maisons paternelles, [feu, Car elles sont l'image et le commencement Et le corps et l'essai de la maison de Dieu. Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement, Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu. Car cet aveu d'honneur est le commencement Et le premier essai d'un éternel aveu. Heureux ceux qui sont morts dans cet écrasement, Dans l'accomplissement de ce terrestre vou. Car ce vou de la terre est le commencement Et le premier essai d'une fidélité. Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement Et cette obéissance et cette humilité. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première argile et la première terre. Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre. Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés... Mère voici vos fils qui se sont tant battus. Qu'ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange. Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange Qu'ils étaient en principe et sont redevenus. Mère voici vos fils qui se sont tant battus. Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon. Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon Qu'ils étaient en principe et sont redevenus. Mère voici vos fils qui se sont tant battus. Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit. Qu'ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit Qui rentre en se cachant par des chemins perdus. Mère voici vos fils et leur immense armée. Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère. Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée. Mère voici vos fils qui se sont tant perdus. Qu'ils ne soient pas jugés sur une basse intrigue. Qu'ils soient réintégrés comme l'enfant prodigue. Qu'ils viennent s'écrouler entre deux bfas tendus. |
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Charles Péguy (1873 - 1914) |
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Portrait de Charles Péguy | |||||||||
BibliographieOuvres poétiques complètes, introduction de François Porché et notes de Marcel Péguy, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1941. Éditions enrichies de nouveaux textes en 1948, 1954, 1962, 1975. Ce volume contient : Jeanne d'Arc (À Domrémy / Les Batailles / Rouen) / La Chanson du roi Dagobert / Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc / Le Porche du mystère de la deuxièm |
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