Charles Péguy |
Etoile de la mer voici la lourde nappe Et la profonde houle et l'océan des blés Et la mouvante écume et nos greniers comblés, Voici votre regard sur cette immense chape Et voici votre voix sur cette lourde plaine Et nos amis absents et nos cours dépeuplés, Voici le long de nous nos poings désassemblés Et notre lassitude et notre force pleine. Étoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et voici l'océan de notre immense peine. Un sanglot rôde et court par-delà l'horizon. A peine quelques toits font comme un archipel. Du vieux clocher retombe une sorte d'appel. L'épaisse église semble une basse maison. Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale. De loin en loin surnage un chapelet de meules, Rondes comme des tours, opulentes et seules Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. Mille ans de votre grâce ont fait de ces tçavaux Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire^ Vous nous voyez marcher sur cette route droite, Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. Sur ce large éventail ouvert à tous les vents La route nationale est notre porte étroite. Nous allons devant nous, les mains le long des poches, Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours, Des champs les plus présents vers les champs les plus [proches. Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois. Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois, Et toute leur séquelle et toute leur volaille Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille Ont appris ce que c'est que d'être familiers, Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, Vers un dernier carré, le soir d'une bataille. Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau, Dans le recourbement de notre blonde Loire, Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire N'est là que pour baiser votre auguste manteau. Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse, Et la Loire coulante et souvent limoneuse N'est là que pour laver les pieds de ce coteau. Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans Le portail de la ferme et les durs paysans Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse. Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate Et nous> avons connu dès nos premiers regrets Ce que peut receler de désespoirs secrets Un soleil qui descend dans un ciel écarlate Et qui se couche au ras d'un sol inévitable Dur comme une justice, égal comme une barre, Juste comme une loi, fermé comme une mare, Ouvert comme un beau socle et plan comme une table. Un homme de chez nous, de la glèbe féconde A fait jaillir ici d'un seul enlèvement, Et d'une seule source et d'un seul portement, Vers votre assomption la flèche unique au monde. Tour de David voici votre tour beauceronne. C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté Vers un ciel de clémence et de sérénité, Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. Un homme de chez nous a fait ici jaillir, Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix, Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.... |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Charles Péguy (1873 - 1914) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Charles Péguy | |||||||||
BibliographieOuvres poétiques complètes, introduction de François Porché et notes de Marcel Péguy, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1941. Éditions enrichies de nouveaux textes en 1948, 1954, 1962, 1975. Ce volume contient : Jeanne d'Arc (À Domrémy / Les Batailles / Rouen) / La Chanson du roi Dagobert / Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc / Le Porche du mystère de la deuxièm |
|||||||||