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DIDEROT EN PRISON


Poésie / Poémes d'Denis Diderot





A sept heures et demie, le matin du jeudi 24 juillet 1749, deux officiers de police gravirent l'escalier de la maison de la rue de l'Estrapade. L'un d'eux était d'Hémery, celui qui avait déjà fouillé l'appartement de Diderot à la recherche du manuscrit de La Promenade du sceptique. Lui et son compagnon, un certain Rochebrune, furent introduits par Diderot dans son appartement et commencèrent à chercher tous manuscrits « contraires à la religion, à l'Etat et aux bonnes mours ». Il est possible, certains le pensent, que Diderot ait pu s'attendre à semblable visite, car la police ne trouva rien d'autre que les vingt et un cartons contenant des manuscrits qui, selon les perquisiteurs, concernaient la Cyclopaedia de Chambers. Sur une grande table servant de bureau, il y avait d'autres manuscrits concernant le même ouvrage et deux brochures intitulées : Lettre sur les aveuglés à l'usage de ceux qui voient. En présence dudit sieur Diderot, rapporta la police, « avons continué ladite perquisition dans les autres chambres, et ouverture faite des armoires et des commodes, il ne s'y est trouvé aucuns papiers ' ». Ce témoignage du commissaire Rochebrune nous laisse incidemment entrevoir dans quelles conditions Diderot faisait son travail quotidien. Il devait écrire beaucoup chez lui, « sur une grande table servant de bureau ». Cette habitude allait être brusquement et complètement anéantie, car d'Hémery déclara à Diderot qu'il était en état d'arrestation.





C'est en vertu d'une de ces trop fameuses assignations connues sous le nom de « lettres de cachet » que Diderot fut arrêté et emprisonné. Les lettres de cachet sont devenues l'un des symboles les plus odieux de l'Ancien Régime, ce que sait tout lecteur de A Taie of Two Cities *. Quoique nombreuses - le grand historien moderne du jansénisme assure qu'il en fut délivré quarante mille pendant les dix-sept années que dura le ministère du cardinal Fleury 2 - les lettres de cachet ne représentaient peut-être pas tout l'abus qu'on leur attache à présent. Les thuriféraires des beaux jours d'antan font observer qu'elles servaient pour la plupart à régler les litiges familiaux (le père de Diderot en avait sollicité une en 1742 pour refroidir sa tête brûlée de filS), ou à renforcer par des peines d'outrage à magistrat ce que l'on pourrait appeler des injonctions dans le domaine de la morale privée. Les mêmes apologistes font encore remarquer qu'il n'y a point de preuve que ces ordres d'arrestation aient été jamais délivrés en blanc, sinon dans des conditions soigneusement vérifiées, de sorte que ces arrêts n'ont jamais été, comme on le soupçonne souvent obscurément, les instruments légaux d'une injuste vengeance. Il n'y a pas d'exemple qu'une personne détenue par lettre de cachet ait subi de mauvais traitements - ni torture ni privation de nourriture. C'est d'oubli surtout qu'on avait à se plaindre. Il est vrai qu'on donnait des ordres pour que les gens fussent nourris et traités â peu près selon leur rang social. Diderot, par exemple, devait recevoir l'équivalent de quatre livres par jour en « nourriture et attentions » >. Une lettre de cachet devait enfin porter le contreseing d'un des principaux ministres du roi et, sous ce rapport, elle satisfaisait aux formes autant qu'on peut le demander à un ordre d'arrestation, en quelque pays et à quelque époque que ce soit *.

Mais ce qui faisait la principale faiblesse des lettres de cachet, c'est qu'elles n'étaient point tenues de fournir la cause de l'arrestation. De plus, les personnes ainsi arrêtées ne pouvaient communiquer avec quiconque et il était légal de maintenir leur détention à l'infini, perspective évidemment effrayante et décourageante. Aussi l'opinion s'étendit largement en France, alors que Sartine était lieutenant général de police (1759-1774), que la pratique des lettres de cachet prenait trop d'envergure !. A l'époque de la Révolution, elles soulevèrent un grand sentiment d'injustice. Peut-être n'en seraient-elles pas venues à sembler un abus aussi grave si elles n'avaient été le moyen favori du gouvernement pour mettre au pas les gens de lettres *. Cette politique eut d'abord pour effet de renforcer un certain conformisme ; mais par un prévisible retour des choses, elle finit par dresser contre la monarchie la mauvaise volonté persistante des éléments les plus déterminés de la société française.

Deux jours avant l'arrestation de Diderot, le comte d'Argenson, agissant au titre de directeur de la librairie, écrivit au lieutenant général de police de « donner ordre pour faire mettre à Vincennes le Sr Didrot, auteur du livre de l'Aveugle ». Berryer recommanda à ses hommes de rechercher chez Diderot tout ce qu'ils pourraient trouver concernant la Lettre sur les aveugles, les Pensées philosophiques. Les Bijoux indiscrets, L'Allée des idées (il s'agit probablement de La Promenade du sceptiquE), et L'Oiseau blanc, conte bleu *. Le 23 juillet, la lettre de cachet, contresignée par d'Argenson, était préparée à Compiègne '. Et le 24 juillet, Diderot et d'Hémery faisaient en voiture, aux frais du roi, le voyage de Vincennes, ancienne résidence royale, imposante forteresse médiévale située à quelque dix kilomètres à l'est du cour de Paris.

Ayant été remis au gouverneur de la place, François-Bernard du Châtelet, parent de la maîtresse de Voltaire et personnage dont la correspondance donne l'impression qu'il était bien intentionné mais rempli de sa propre importance, Diderot fut aussitôt placé dans le donjon central '. Cette tour élevée était l'un des plus visibles symboles de l'aspect sinistre de l'Ancien Régime. « Son aspect seul cause de l'effroi », écrit l'auteur d'un guide du xvnr siècle 10. La peinture la plus célèbre et la plus gracieuse de cet édifice est l'une des admirables miniatures exécutées par les frères Limbourg pour le livre d'heures du duc de Berry. Ce bâtiment demeure aujourd'hui dans le même état qu'au xve siècle, à l'époque de Fouquet. Le lieu de détention de Diderot se trouvait, selon la tradition, dans la tourelle nord-ouest du troisième étage, exactement au-dessus de la salle où l'on dit que mourut le prince Henri en 1422. La chambre de Diderot était de forme octogonale, d'environ treize pieds carrés pour une hauteur de vingt-huit pieds, élégamment voûtée, la fenêtre regardant l'entrée du château, pourvue d'un dallage de briques et d'une énorme cheminée dont le manteau faisait saillie à quelque six pieds du sol. La pièce (telle au moins qu'elle était en 1939 car elle a depuis été fermée au publiC) est claire et aérée et ne devait pas être trop désagréable en été (c'est la saison qu'y a passée DideroT). C'était en bref, un lieu convenable pour la méditation - compte tenu du risque très réel qu'on vous y laisse méditer infiniment plus longtemps que vous ne pouviez le désirer. Chaque jour, nous dit Mme de Vandeul, le geôlier apportait à Diderot deux chandelles. Mais lui, qui se levait et se couchait en même temps que le soleil, ne savait qu'en faire et après qu'il les eut accumulées pendant une quinzaine, il tenta de les rendre : « Gardez, gardez, monsieur, vous en avez trop cet été, mais elle vous sera fort utile en hiver " ».

Dans son désarroi, Mme Diderot chercha à voir Berryer qui lui répondit avec rudesse et dureté : « Eh bien, madame, lui dit ce ministre, nous tenons votre mari, il faudra bien qu'il jase. Vous pourriez lui épargner bien des peines et accélérer sa liberté, si vous vouliez nous indiquer où sont ces ouvrages... » Mais Mme Diderot nia savoir quoi que ce soit sur les ouvres de son mari et assura qu'elle n'en avait jamais lu aucune 12. Quant aux libraires, ils étaient fort occupés dans cette situation critique à s'affairer, en fiacre, comme le montrent leurs livres de comptes ". Le jour même de l'arrestation, ils adressèrent une supplique à d'Argenson dans laquelle ils affirmaient que l'Encyclopédie était sur le point d'être annoncée au public et que la détention de M. Diderot « le seul capable d'une aussi vaste entreprise et qui possède seul la clé de toute l'opération peut entraîner notre ruine " ».



Pendant tout le temps que dura l'emprisonnement de Diderot, les libraires ne cessèrent de se démener pour obtenir sa libération. Quatre jours après l'arrestation, ils exposèrent leur cas au chancelier et parvinrent à la conclusion que rien ne serait fait aussi longtemps que le lieutenant général de police n'aurait interrogé Diderot et présenté son rapport. Ils pressèrent donc Berryer d'interroger le prisonnier : « Il est le centre où doivent aboutir toutes les parties de l'Encyclopédie. Sa détention en suspend toutes les opérations et entraînera nécessairement notre ruine pour peu qu'elle soit longue " ».

L'interrogatoire eut lieu dans la tour, le 31 juillet 1749, exactement une semaine après l'arrestation. Selon les apparences, Diderot espérait toujours pouvoir jouer d'effronterie. Il avait déjà persuadé l'un des officiers de la prison - toujours la bouche d'or - de présenter directement à Berryer une supplique afin qu'on l'autorisât à faire usage de la grande pièce centrale de l'étage où il était confiné ; cette demande ne pouvait que contrarier le marquis du Châtelet qui ne se souciait guère de voir son autorité ainsi court-circuitée ". Au cours de son interrogatoire par Berryer, Diderot nia tout. Qui plus est, il déclara sous serment qu'il n'avait pas écrit la Lettre sur les aveugles, qu'il ne l'avait pas fait imprimer, qu'il n'en avait vendu ou donné le manuscrit à personne ; il soutint qu'il ne savait pas l'identité de l'auteur, qu'il n'avait pas eu le manuscrit en sa possession ni avant qu'il eût été imprimé ni après, et qu'il n'avait envoyé ni donné d'exemplaire du livre à personne. Quant aux Bijoux indiscrets et aux Pensées philosophiques, il jura qu'il ne les avait pas écrits et déclara spécifiquement qu'il ne savait pas qui était l'auteur des Pensées. Il déclara en outre n'avoir ni écrit ni corrigé L'Oiseau blanc, mais reconnut avoir écrit La Promenade du sceptique, ajoutant que le manuscrit avait été brûlé ". Comme Berryer apprit le lendemain même du libraire Durand que Diderot était l'auteur des Pensées, des Bijoux et de la Lettre sur les aveugles, ce magistrat adopta la politique d'attendre que Diderot trouvât bon de fournir volontairement des informations plus circonstanciées '".

Diderot commençait à beaucoup souffrir de son emprisonnement. La chose était bien naturelle : l'extrême sociabilité de sa nature, son goût pour la conversation le rendaient moins propre que la plupart des gens aux rigueurs d'un confinement solitaire. Bien que Diderot jouît de beaucoup plus de liberté à l'époque, Rousseau fut autorisé à le voir ; le visiteur trouva Diderot « très affecté de sa prison. Le donjon lui avait fait une impression terrible ; et quoiqu'il fût fort agréablement au château, et maître de ses promenades dans un parc qui n'est pas même fermé de murs, il avait besoin de la société de ses amis pour ne pas se livrer à son humeur noire " ». On rapporte que Condorcet, qui était beaucoup plus jeune que Diderot, a dit de lui que, confiné dans la solitude, il était devenu presque fou 2U. Ce qui est tout à fait possible, étant donné la vivacité exceptionnelle de son imagination et de sa sensibilité. Ses réactions émotives à des situations diverses, à la musique, à une action généreuse, aux pièces de théâtre, aux tableaux, à un acte injuste, à tout geste esthétiquement ou éthiquement beau ou repoussant, étaient toujours extrêmes. Il se peut donc fort bien qu'il n'y eût qu'un peu d'exagération dans la longue lettre qu'il écrivit à Berryer et dans laquelle il insinue sombrement qu'il se sentirait volontiers disposé à commettre quelque violence contre lui-même.

Cette lettre, du 10 août 1749, dans laquelle Diderot mentionne incidemment « mon père ignore encore mon mariage », est aussi caractéristique de lui que tout autre écrit jamais sorti de sa plume. On y retrouve sa célèbre sensibilité : « Je sens que le désespoir achèvera bientôt ce que mes infirmités corporelles ont fort avancé » ; les fleurs naïves qu'il se jette volontairement à lui-même, le style de remontrance torrentiel et qu'il sait rendre très plausible et convaincant, chaque fois qu'il peut protester de son innocence et de sa vertu ; certaine incapacité délibérée à concevoir ce qu'il aurait bien pu faire de mal. Dans toute cette longue lettre, il ne dit pas seulement un mot des Pensées, ni des Bijoux ni de la Lettre sur les aveugles.



Trois jours passèrent et Diderot récrivit le 13 août à Berryer. Cette fois pour avouer. Après un début recherché, il déclarait : « Je vous avoue donc comme à mon digne protecteur ce que les longueurs d'une prison et de toutes les peines imaginables ne m'auraient jamais fait dire à mon juge : que les Pensées, les Bijoux et la Lettre sur les aveugles sont des intempérances d'esprit qui me sont échappées. Mais je puis à mon tour vous engager mon honneur (et j'en aI) que ce seront les dernières, et que ce sont les seules. » Diderot était évidemment affolé, car il proposa même à Berryer de lui révéler les noms des imprimeurs et des éditeurs de ses ouvrages prohibés. Il est vrai qu'il ne fit cette proposition que lorsque Berryer lui eut donné sa parole d'honneur de ne point faire usage de ces renseignements d'une façon qui pût leur attirer le moindre désavantage, sauf s'ils se rendaient coupables de récidive. Diderot (et ce trait lui est bien personneL) proposa de leur annoncer lui-même ce qu'il avait fait, si Berryer le demandait.



Cette confession eut des résultats. Avant le 21 août, Berryer informa le marquis du Châtelet que Diderot pouvait sortir du donjon et circuler en liberté sur les terres du château : « Sa Majesté voulait bien aussi, en considération du travail de libraire dont il est chargé, permettre qu'il communiquât librement et sous les précautions d'usage, par lettres ou de vive voix, dans le château, avec les personnes du dehors qui y viendraient soit à cet effet ou pour ses affaires domestiques (...) et que vous voudrez bien lui faire donner au château une ou deux chambres commodes pour coucher et travailler, avec un lit et les autres ustensiles que vous avez coutume de fournir aux prisonniers du donjon, et rien au-delà, sauf à lui s'il veut de plus grandes commodités de se les procurer à ses dépens »



Berryer écrivit de sa propre main la déclaration que le prisonnier devait signer pour jouir de ces conditions nouvelles : « Je promets à Monsieur le lieutenant général de police que je ne sortirai point dudit château, ni des cours, ni de l'enceinte du jardin royal, ni au-delà des ponts, pendant tout le temps qu'il plaira à Sa Majesté de m'y faire retenir prisonnier ; me soumettant, en cas de désobéissance de ma part à ce que dessus, à être enfermé toute ma vie dans le donjon d'où il a plu à la clémence du roi de me faire sortir " ».

Il est de tradition que Diderot, pendant son emprisonnement au donjon, fut contraint de préparer lui-même ce qu'il lui fallait pour écrire. Le premier récit en parut dans un périodique obscur et rare appelé La Bigarure, imprimé à La Haye. Dans son numéro du 30 octobre 1749 (Diderot était toujours prisonnieR), le journal raconte comment il se servait d'un cure-dents en guise de plume, d'un mélange de vin et d'ardoise pilée comme encre, et comme papier d'un exemplaire de Platon que le geôlier ignorant lui avait permis de garder, certain que personne ne pourrait jamais tirer aucun sens de pareil jargon 26. Différentes versions de cette petite histoire sont rapportées par Mme de Vandeul, Naigeon et Eusèbe Salverte, dont chacun tient sans doute les « faits » de Diderot lui-même ". Leurs récits concordent assez bien avec un document retrouvé dans les papiers de Diderot et qui s'intitule : « Copie des notes écrites par M. Diderot en marge d'un volume des Ouvres de Milton pendant sa détention au château de Vincennes. Ces notes concernent l'Apologie de Socrate, traduite de mémoire 28 ». Il est bien certain que Diderot a tenu la plume pendant qu'il était dans sa tour (qu'il y fût ou non autorisé), car il écrivit au marquis du Châtelet, à la fin de septembre, pour lui demander si les carnets qu'il avait remplis durant sa détention, principalement des notes sur l'Histoire naturelle de Buffon, pouvaient lui être restituées.



Grâce à son tempérament expansif, qui fixait toujours sur lui les regards en quelque situation qu'il se trouvât, la sortie de Diderot de sa tour devait ressembler beaucoup à cette sorte de scène qu'il admirait si fort dans les tableaux de Greuze, tableaux de genre comme L'Accordée de village ou La Malédiction paternelle qui s'efforçaient de figer sur la toile une scène sentimentale ou violemment émotive. Voici donc la situation telle que la dépeint Mme de Vandeul : « Enfin, au bout de vingt-huit jours, l'on fit dire à ma mère d'aller à Vincennes. Les libraires associés l'accompagnèrent (le livre de comptes desdits libraires fait état de frais de voiture à cette date du 22 août 1749 î0). A son arrivée, on le fit sortir du donjon. » A cette scène l'imagination s'enflamme : Diderot occupe le centre du tableau et gesticule, tant et plus, comme dans la réalité ; sa femme, le dos tourné au spectateur est dans un mauvais jour, comme d'habitude ; le geôlier, ses clés dans la main ; le marquis du Châtelet, peut-être, très élégant dans son habit de cour ; d'un côté les libraires vêtus de couleurs sobres, en bons bourgeois ; et pour donner de la variété à la scène, un chien ou deux qui aboient, venus de Dieu sait où.



Mme de Vandeul, poursuivant, décrit la vie de Diderot pendant les dix semaines suivantes. « M. le marquis du Châtelet, gouverneur de ce lieu, le combla de bontés, lui donna sa table, et eut le plus grand soin de rendre ce séjour le moins pénible et le plus commode possible à ma mère. Ils y restèrent trois mois, puis on leur permit de retourner chez eux " ». Rousseau ayant écrit, dans Les Confessions, qu'il accompagnait quelquefois Mme Diderot de Paris à Vincennes, pour voir son mari, il se peut que celle-ci ne soit pas restée continuellement à Vincennes, malgré l'affirmation contraire de Mme de Vandeul. Les rapports qu'adressait à Berryer le marquis du Châtelet nous donnent une image des habitudes de Diderot au cours de son séjour à Vincennes. L'un d'eux réclamait une plus grande sévérité. Berryer répondit le lendemain même, évidemment inquiet que le prisonnier ne tienne pas assez strictement sa parole. Aussi le marquis du Châtelet lui écrit-il de nouveau le 3 septembre que Diderot n'a profité qu'une fois de la permission de circuler librement dans les cours du château. « Il est sorti, je crois, trois fois les soirs, dans ledit parc, pendant une heure, avec sa femme. Il se porte bien à présent ; il lui vient bien des gens travailler avec lui, mais je crois qu'il ne peut pas faire grand-chose ici ».



Dans cet éden parut Lilith. Mme de Puisieux fit une visite à Vincennes. Mais Diderot se défiait déjà d'elle ; finalement « il passa par-dessus les murs du parc, fut à Champigny, y vit sa maîtresse avec un nouvel amant, revint, coucha dans le parc. Le lendemain matin, il fut prévenir M. du Châtelet de son équipée ; et cette petite aventure accéléra sa rupture avec Mme de Puisieux».



Il est bien difficile de savoir à quoi s'en tenir sur cette histoire. D'un côté il est vrai qu'un refroidissement des relations entre Mme de Puisieux et son amant se produisit approximativement à cette époque. Bien qu'il puisse paraître étrange que Mme de Puisieux allât voir Diderot à Vincennes alors que sa femme s'y trouvait, il est possible d'imaginer que Diderot ait pu se ménager des rencontres avec sa maîtresse à l'insu de sa femme. Mais ce qui semble incroyable, quand on pense aux représailles auxquelles il s'exposait, c'est qu'il ait pris le risque redoutable de manquer à sa parole. Joseph Delort, écrivant en 1829 (avec une profusion de mots soulignéS), déclarait que Diderot « avait assuré depuis (selon la note que nous avons sous les yeuX) qu'il était sorti plusieurs fois dans la nuit pour aller voir à Paris une femme qu'il aimait " ». M. Delort se porte garant de cette déclaration. Mais qui, aurait pu demander Gibbon, se portera garant de M. Delort ? Funck-Brentano déclare, sans apporter non plus aucun document à l'appui, que le marquis du Châtelet rendit ces escapades possibles en fermant les yeux ". Pourtant, à considérer la nervosité de Berryer devant ce qu'il prenait pour une indication de complaisance du marquis à l'égard de Diderot, il ne semble pas trop vraisemblable que le gouverneur de la prison ait eu très envie de se prêter à semblables agissements. Tels sont les témoignages vagues et incertains dont nous disposons.



L'arrestation de Diderot avait causé quelque agitation dans le public et beaucoup contribué à mieux faire connaître son nom. Dès le 26 juillet, un certain abbé Trublet écrivait à une dame de sa connaissance à propos de cet emprisonnement : « C'est cette dernière goutte d'eau (la Lettre sur les aveugleS) qui a fait répandre le vase ; et cela, dit-on, sur les plaintes portées par M. de Réaumur. Vous savez qu'il n'est pas bien traité dans les premières pages * ». Voltaire, écrivant de Lunéville, à plus de trois cents kilomètres de Paris, avait appris l'emprisonnement de Diderot le 29 juillet, cinq jours seulement après l'arrestation ". Les notes, sans être toutes exactes, du journal du marquis d'Argenson, frère du ministre de la Guerre, montrent qu'on en parlait dans les milieux ministériels et les cercles de la cour ; une note du journal bien connu du bourgeois Barbier montre que le nom de Diderot devenait célèbre parmi les avocats de Paris.



L'infortune de Diderot eut l'effet indirect de permettre à la postérité de connaître les noms des personnes, sans doute des plus influentes, avec lesquelles il était en rapport en 1749. Car dans ses lettres à Berryer et d'Argenson il cite, comme des personnes qui peuvent répondre de lui, un certain M. de Bombarde (dont on ne sait rien aujourd'huI), Voltaire, Mme du Châtelet (qui l'avait remercié pour l'exemplaire qu'il lui avait donné de son livre sur les mathématiqueS), Fontenelle, Mme du Deffand, Buffon, Daubenton, Clairaut, Duclos, l'abbé Sallier, Helvétius et d'Alembert. Plusieurs d'entre eux devaient devenir des grands noms du XVIII siècle, certains l'étaient déjà. C'est vrai de Voltaire, de Mme du

Châtelet et particulièrement de Fontenelle, auteur de l'Histoire des oracles et de La Pluralité des mondes, alors âgé de quatre-vingt douze ans, mais merveilleusement plein de vie, qu'un journaliste sportif américain aurait inévitablement nommé « le grand vieillard des lettres françaises ». Mme du Deffand (1697-1780), hôtesse célèbre d'un des plus fameux salons du XVIIIe siècle, surtout connue en Angleterre par sa riche et intéressante correspondance avec Horace Walpole, maintenait la primauté de sa position intellectuelle et sociale malgré sa cécité grandissante. Buffon était le célèbre naturaliste, auteur de l'interminable Histoire naturelle dont le premier volume parut l'année même. Son confrère Daubenton (1716-1799), naturaliste comme lui, devait donner, plus tard, de nombreux articles à l'Encyclopédie. L'astronome et géomètre Clairaut (1713-1765) étudiait surtout les mouvements de la lune. Duclos (1704-1772), auteur d'une histoire de Louis XI, avait été récemment élu à l'Académie française. L'abbé Sallier (1685-1761), philologue de renom, était conservateur de la Bibliothèque royale, et Helvétius, alors le moins connu de tous, mais destiné, en tant qu'auteur d'un livre intitulé De l'Esprit, à une notoriété non enviable, était alors fermier général, avec un revenu annuel de trois cent mille livres. Si Diderot ne les connaissait pas mieux qu'on sait qu'il ne connaissait Voltaire, Mme du Châtelet et Fontenelle, ses relations avec eux devaient être superficielles *>. On sait pourtant que Mme du Châtelet écrivit à son parent, le gouverneur de Vincennes, pour lui demander de rendre l'emprisonnement de Diderot aussi doux que possible ; certaines de ces personnes avaient donc peut-être fait ce qu'elles pouvaient en sa faveur 4I.

Diderot, en tout cas, était presque certain d'une chose, si l'on en juge par ce qu'il annonce dans la lettre du 10 août à Berryer : son père se hâterait de partir pour Paris dès qu'il aurait appris l'arrestation de son fils. Quelle déception ce dut être pour lui de découvrir que son père restait à Langres et n'entendait pas en bouger. Il ne répondit même pas à sa première lettre. Il ne répondit qu'à la seconde, le 3 septembre, par une lettre dont l'orthographe était souvent phonétique mais la signification limpide. Diderot découvrit qu'il n'était pas l'enfant prodigue. Diderot père, sa lettre le montre, avait d'autres sources d'information sur ce qui se passait à Paris que les seules lettres de son fils. Il lui écrivit donc sur un ton volontairement détaché, caustique, une lettre plus remplie de bon sens que de réconfort. Il lui rappela que sa mère, « dans les remontrances qu'elle vous a faites d'une vive voix, vous a dit plusieurs fois que vous étiez un aveugle ». Le meilleur conseil que le vieux Diderot pouvait, à son avis, lui donner était de se mettre sans retard à écrire un livre d'édification chrétienne. « Cet ouvrage vous attirera la bénédiction du Ciel et je vous conserverai dans mes bonnes grâces ». Le vieux père demanda alors à son fils s'il était bien vrai qu'il fût marié et qu'il eût deux enfants. « Je compte que vous ne refuserez pas à votre sour le plaisir de les élever, et (à) moi celui de les voir sous mes yeux ».

Quand il est question d'argent, le vieillard bourru devient inévitablement sardonique, ce qui ne l'empêche pas pourtant d'envoyer cent cinquante livres ':. Elles furent probablement bien accueillies dans l'appartement de la rue de l'Estrapade, car le livre de comptes des libraires montre que le paiement du salaire de Diderot fut interrompu pendant la durée de son emprisonnement, et qu'il ne reçut rien du 14 juillet à la fin du mois de novembre.



Les lettres que Diderot écrivit à son père n'ont pas été conservées. Il n'est donc pas possible de savoir quel effet eut sur lui la rudesse de cette lettre. Elle le convainquit probablement qu'il devait faire lui-même la paix avec les autorités et que sa libération ne serait pas le fruit d'arguments sentimentaux ni de l'entremise de parents. Quoi qu'il en soit, pendant le même mois de septembre, Diderot engagea sa conduite à venir par une note non datée : « (iL) promet de ne rien faire à l'avenir qui puisse être contraire en la moindre chose à la religion et aux bonnes mours ». Devant cette promesse, Berryer écrivit : « Si M. le comte d'Argenson juge qu'il (DideroT) ait suffisamment fait pénitence de ses intempérances d'esprit, il est supplié de faire expédier l'ordre du Roi pour sa liberté " ». La note de Berryer laissait entendre que la libération de Diderot dépendait de sa promesse solennelle. S'il en est bien ainsi, cela peut expliquer pourquoi tant de ses écrits postérieurs furent soigneusement mis de côté dans un tiroir, et jamais publiés de son vivant. Aucun des amis de Diderot ne fut plus alarmé ni plus préoccupé que Rousseau : « Rien ne peindra jamais les angoisses que me fit sentir le malheur de mon ami. Ma funeste imagination, qui porte toujours le mal au pis, s'effaroucha. Je le crus là pour le reste de sa vie. La tête faillit à m'en tourner ». La première fois qu'il put voir Diderot, hors de sa tour, Rousseau accueillit son ami avec des embrassements, des sanglots et des larmes. D'Alembert, accompagné d'un étranger, assistait à la scène et Diderot se tournant vers ce dernier lui dit : « Vous voyez, Monsieur, comment m'aiment mes amis " ».



Cet emprisonnement fut à l'origine d'une des scènes les plus dramatiques du siècle des Lumières ; elle se déroula sur la route de Vincennes : « Cette année 1749, l'été fut d'une chaleur excessive. On compte deux lieues de Paris à Vincennes. Peu en état de payer des fiacres, à deux heures après midi j'allais à pied, quand j'étais seul, et j'allais vite pour arriver tôt. (...) et souvent rendu de chaleur et de fatigue, je m'étendais par terre, n'en pouvant plus. Je m'avisai, pour modérer mon pas, de prendre quelque livre. Je pris un jour le Mercure de France, et tout en marchant et le parcourant, je tombai sur cette question proposée par l'académie de Dijon pour le prix de l'année suivante : Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mours. A l'instant de cette lecture, je vis un autre univers, et je devins un autre homme. (...) arrivant à Vincennes, j'étais dans une agitation qui tenait du délire. Diderot l'aperçut ; je lui en dis la cause. (...) Il m'exhorta de donner l'essor à mes idées, et de concourir au prix *6. »

Carlyle, dans son essai sur Diderot, évoque la ferveur évangélique des encyclopédistes quand il parle des Actes des philosophes français (une phrase qui anticipe The Heavenly City of the eighteenth-century philosopher de Cari Becker. Poursuivant les comparaisons avec l'Ecriture, on peut dire que la révélation de Rousseau, par sa soudaineté et son achèvement, est comparable à celle de saint Paul sur la route de Damas-Dans un éclair soudain de clairvoyance mystique, Diderot découvre l'état de nature, la condition première de la vertu et de la pureté. Il voit avec une certitude aveuglante que les arts et les sciences, contrairement à l'opinion courante, nous ont rendus plus mauvais et non meilleurs. Dès lors les livres qu'il écrira commenceront par des phrases du genre : « Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des cnoses, tout dégénère entre les mains de l'homme » (EmilE) ou : « L'homme est né libre et partout il est dans les fers » {Le Contrat sociaL). Rousseau s'abandonna à cette certitude que la société est corrompue, avec toute la passion d'un homme pathologiquement sensible, un homme doué de talents immenses quoique insoupçonnés, qui envie et méprise à la fois la société éminemment raffinée et polie où il n'a pas rencontré le succès qu'il méritait. C'est l'enfant de Genève qui n'arrive pas à faire son chemin à Paris. Augustin, l'Africain de Tagaste, qui ne réussit pas tout à fait ni à Rome ni à Milan. Et Rousseau étant l'un des auteurs les plus éloquents qui eussent jamais existé, ses doctrines prirent une importance politique immense dans le mouvement d'idées du xvnr siècle.

Au fil des années, Rousseau et Diderot se querellèrent de façon spectaculaire et Diderot céda, par la suite, à la tentation d'assurer que c'était lui qui avait inspiré à Rousseau le fameux paradoxe ". Par exemple il dit un jour à Marmontel - qui était à l'époque un auteur de tout premier plan, bien qu'aujourd'hui ses lauriers soient fort flétris - qu'il avait demandé à Rousseau quel parti il se proposait de défendre. « Le parti de l'affirmative, dit Rousseau.

- C'est le pons asinorum, lui dis-je ; tous les talents médiocres prendront ce chemin-là...

- Vous avez raison, me dit-il, après y avoir réfléchi un moment, et je suivrai votre conseil 4S ».

Le même récit est rapporté par d'autres contemporains : La Harpe, Collé, Meister, l'abbé Morellet qui ajoute que cette version était celle qu'avait adoptée tout le cercle du baron d'Holbach ". Mme de Vandeul déclare tout uniment : « Mon père a donné à Rousseau l'idée de son Discours sur les Arts !0 » Rousseau, lui, assura solennellement à un ami qu'il avait fait son choix sans Diderot, et uniquement de lui-même ". En conséquence, comme on pouvait facilement s'y attendre, la question de savoir s'il faut nier toute originalité à Rousseau est devenue le champ de bataille favori de ses partisans et de ses détracteurs, en même temps que la scène de quelques exercices habiles d'érudition impartiale ".

Dans ses écrits, Diderot a été beaucoup plus prudent dans ce qu'il dit de Rousseau et du concours. Il a fait deux allusions à cet incident : l'une publiée de son vivant, l'autre après sa mort. Dans les deux cas, il ne va pas jusqu'à déclarer qu'il donna à Rousseau l'idée de son choix : mais il se vante de bien connaître son Rousseau :

« Lorsque le programme de l'Académie de Dijon parut, il vint me consulter sur le parti qu'il prendrait.

- Le parti que vous prendrez, lui dis-je, c'est celui que personne ne prendra.

- Vous avez raison, me répliqua-t-il ". »

Bien que Diderot fût maintenant autorisé à travailler sur Y Encyclopédie, sa résidence forcée à Vincennes rendait le travail difficile. Comme du Châtelet l'avait souligné, il ne pouvait pas faire grand-chose. Les libraires associés, pour venir au secours de ce qu'ils appelaient « l'entreprise la plus belle et la plus utile qui ait jamais été faite dans la librairie », présentèrent une requête à d'Argenson :

L'entreprise sur laquelle Votre Grandeur a bien voulu jeter quelques regards favorables ne peut pas s'achever tant que M. Diderot sera à Vincennes. Il est obligé de consulter une quantité considérable d'ouvriers qui ne veulent pas se déplacer ; de conférer avec des gens de lettres qui n'auront pas la commodité de se rendre à Vincennes, de recourir enfin continuellement à la Bibliothèque du roi, dont les livres ne peuvent ni ne doivent être transportés si loin M.

Une autre pétition, datée du 7 septembre, reprend les mêmes thèmes ".

Les libraires ne se seraient peut-être pas montrés si pressants si d'Alem-bert avait remplacé l'éditeur absent. Mais il ne le pouvait ou ne le voulait pas ; les libraires déclarèrent que sans Diderot il était impossible de guider les imprimeurs dans la disposition correcte des parties traitant d'algèbre ou de géométrie *. D'où l'on peut déduire que d'Alembert ne se souciait pas de corriger les épreuves, y compris celles de ses propres articles. Il écrivait, le 19 septembre, à Formey, secrétaire de l'Académie de Berlin : « La détention de M. Diderot est devenue beaucoup plus douce ; cependant elle dure encore, et l'Encyclopédie est suspendue. Je n'ai jamais prétendu me mêler de ce qui regarde la partie de mathématiques et l'astronomie physique ; je ne suis en état de faire que cela, et je ne prétends pas d'ailleurs me condamner pour dix ans à l'ennui de 7 à 8 in-folio ". »

Dans une chemise marquée « Diderot », qui a fait partie des archives de la Bastille, transférées depuis longtemps à la bibliothèque de l'Arsenal, on trouve une petite note adressée au marquis du Châtelet et écrite de la main de Berryer. Datée du 29 octobre 1749, elle déclare que la Lettre de cachet ordonnant la libération de Diderot a été faite le 21 octobre et que du Châtelet devait relâcher Diderot dès réception de cette note. Quelqu'un d'autre (pas BerryeR) a biffé la date du 29 octobre et écrit à la place « 3. 9bre » et c'est bien le 3 novembre que Diderot fut libéré 5*.

Il était libre maintenant de retourner rue de l'Estrapade et à l'énorme travail dont le retard s'était accumulé depuis son arrestation, cent deux jours auparavant. Quelles étaient les idées, les conclusions que cet intermède inopportun faisaient tourbillonner dans sa tête ? Elles étaient nombreuses sans doute et profondes, car cet emprisonnement solitaire semble avoir assombri ses pensées pour plusieurs années. Rousseau parlait, dans Les Confessions, de la mélancolie qu'il avait contractée dans la prison et affirmait qu'on en voyait encore les traces dans Le Fils naturel écrit sept ans après ". Mais on peut être certain au moins d'une de ses pensées. Bien des années plus tard, il proposa à Catherine II de Russie d'éditer, aux frais de l'impératrice, une nouvelle et meilleure encyclopédie dont l'un des avantages serait de « substituer le nom d'une grande et digne souveraine à celui d'un ministre commun qui me priva de la liberté pour m'arracher un hommage auquel il ne pouvait prétendre par son mérite x ».



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Denis Diderot
(1713 - 1784)
 
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