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OPÉRA ITALIEN ET GOÛT FRANÇAIS


Poésie / Poémes d'Denis Diderot





Diderot était un homme extrêmement sociable. 11 aimait à obliger. Il adorait parler. Il passait tant de temps à épancher ses idées devant ses amis et connaissances que c'est merveille qu'il ait trouvé l'occasion de renouveler son fonds. Pour Diderot, la communication était presque une obligation. S'il était loin de sa maîtresse, il lui écrivait de longues lettres. Laissé à lui-même, ses ouvrages montrent que son style de pensée constituait une dialectique subtile de dialogue intérieur. Etait-il avec ses amis, même avec des relations occasionnelles, il répandait ses idées sur eux avec une telle profusion que Grimm, Allemand ordonné et sagace « entrepreneur », regrettait souvent le gaspillage nonchalant de dons aussi éblouissants - comme un propriétaire de puits peut déplorer la perte du pétrole jaillissant comme un geiser.





De plus, Diderot adorait se considérer comme le type même et le modèle de la bonhomie '. Aussi se souciait-il fort peu de dépenser son temps et son énergie en faveur de ceux qui n'avaient pas vraiment de raison de faire appel à lui. Il n'était pas réellement contrarié que l'on abusât, jusqu'à un certain point, de son amabilité : cela convenait au portrait qu'il s'était fait de lui-même, celui d'un homme affable, ouvert et généreux. C'est ce qu'illustre une anecdote qui advint, raconte-t-il, à cette époque de sa vie.

« J'avais retiré de la misère un jeune littérateur qui n'était pas sans talent ; je l'avais nourri, logé, chauffé, vêtu pendant plusieurs années. Le premier essai de ce talent que j'avais cultivé, ce fut une satire contre les miens et moi. Le libraire (...) me proposa de supprimer l'ouvrage. Je n'eus garde d'accepter cette offre. La satire parut. L'auteur eut l'impudence de m'en apporter lui-même le premier exemplaire. Je me contentai de lui dire : " Vous êtes un ingrat. Un autre que moi vous ferait jeter par les fenêtres, mais je vous sais gré de m'avoir bien connu. Reprenez votre ouvrage et portez-le à mes ennemis, à ce vieux duc d'Orléans qui demeure de l'autre côté de ma rue. " J'habitais alors l'Estrapade. La fin de tout ceci, c'est que je lui adressai, moi-même contre moi, un placet au duc d'Orléans, que le vieux fanatique lui donna cinquante louis, que la chose se sut, et que le protecteur resta bien ridicule, et le protégé bien vil ».



Le caractère extraverti de Diderot l'exposait constamment au risque de dissiper son énergie et de se laisser détourner d'une ouvre plus profonde. On peut se demander pourtant si la richesse de sa personnalité et de ses idées se perdait autant que Grimm le redoutait. Diderot était le premier parmi les philosophes. Dans le vocabulaire de ses amis, il était plus qu'un philosophe il était le philosophe. Il était le chef d'un parti, ou comme disaient ses ennemis, d'une secte. Et c'était par le moyen de la conversation autant que par ses écrits qu'il étendait son influence et affirmait son autorité. Peut-être encore davantage, car une bonne partie de ce qu'il pensait était trop dangereux pour être publié et devait attendre dans un tiroir les honneurs hasardeux d'une publication posthume. Mais ses idées, exprimées par la parole, rayonnaient hors du cercle social qu'il fréquentait, et se répandaient dans cette société hautement centralisée où tout convergeait sur Versailles et Paris. Ajoutez à cela que Diderot était exceptionnellement doué pour l'art de la persuasion orale (plusieurs de ses amis pensaient que si les conditions politiques avaient été autres en France, il aurait été un orateur de tout premier ranG) et l'on peut aisément se persuader que le temps qu'il passait en compagnie n'était pas entièrement gaspillé.

Le milieu idéal pour satisfaire sa sociabilité était fourni à Diderot par le baron d'Holbach, avec qui il se lia vers cette époque et qui, comme Grimm, devait rester son ami pour la vie. La maison de d'Holbach (avec sa belle bibliothèque et ses extraordinaires collections d'estampes et d'histoire naturellE) et ses dîners attiraient quelques-uns des plus brillants esprits du siècle. David Hume y amena Horace Walpole en 1765, et ce dernier, rapportant cette visite dans son journal, parle de d'Holbach, comme d'un « Allemand d'un bon naturel, établi en France, qui tient table pour les étrangers, les beaux esprits du pays, etc. 3 ». Les jugements que portait Horace Walpole sont volontiers quelque peu simplificateurs, aussi ce témoignage de Morellet a-t-il plus de valeur en nous révélant tout ce que trouvaient chez d'Holbach les gens du « parti » philosophique :

Le baron d'Holbach avait régulièrement deux dîners par semaine le dimanche et le jeudi : là se rassemblaient (...) dix, douze et jusqu'à quinze et vingt hommes de lettres, et gens du monde ou étrangers (..,), une société vraiment attachante, ce qu'on pouvait reconnaître à ce seul symptôme, qu'arrivés à deux heures, c'était l'usage de ce temps-là, nous y étions souvent encore presque tous à sept et huit heures du soir.

Or, c'est là qu'il fallait entendre la conversation la plus libre, la plus animée et la plus instructive qui fût jamais (...), il n'y a point de hardiesse politique et religieuse qui ne fût là mise en avant et discutée pro et contra, presque toujours avec beaucoup de subtilité et de profondeur (...)

*

C'est là que j'ai entendu (...) Diderot traiter une question de philosophie, d'art ou de littérature, et, par son abondance, sa faconde, son air inspiré, captiver longtemps l'attention '.

Paul Thiry, baron d'Holbach, devint plus tard l'auteur anonyme d'une série d'ouvrages qui lui ont donné qualité, aux yeux de la postérité, pour être considéré comme l'un des paladins de l'athéisme. Né en 1723 - il avait dix ans de moins que Diderot -, il fut élevé à Paris et fit ses études à l'Université de Leyde où il se lia avec John Wilkes, ce bouillant Anglais qui, dans les années 1760, fut le héros de la résistance aux « gênerai warrants », sorte de réplique anglaise des lettres de cachet, et s'indigna, à l'instar des Américains, des prétentions de George III au pouvoir personnel. C'est par l'entremise de d'Holbach que Diderot, vingt ans plus tard, fit la connaissance de Wilkes qui était devenu l'un des hommes les plus connus, pour ne pas dire le plus célèbre d'Europe 5.

D'Holbach s'établit à Paris à la fin de la guerre de succession d'Autriche, il fut naturalisé en 1749 et épousa, successivement et dans les règles, deux sours, ses petites cousines «. Ce furent sans doute des mariages d'amour mais qui servirent aussi à garder sous le même toit la fortune de la famille, qui était considérable : de sorte que d'Holbach n'eut jamais à s'inquiéter (ni aucun de ses amis philosopheS) de ce qu'il mangerait le lendemain. Ce toit, qui existe toujours 8, rue des Moulins, recouvre un important édifice de cinq étages (six en comptant l'entresoL) avec sa cour et sa porte cochère '. A cette époque, l'hôtel se trouvait dans un dédale de rues sinueuses et enchevêtrées que la construction" de l'avenue de l'Opéra a beaucoup simplifié. Un autre ami de Diderot, Helvétius, habitait tout près de là. Il est difficile de dire quand Diderot fit la connaissance de d'Holbach, mais ce dut être quelques mois au moins avant l'an 1752, si l'on en juge par les nombreuses contributions apportées par d'Holbach au volume II de l'Encyclopédie ', On sait, par un témoignage direct, qu'ils se connaissaient en octobre de la même année, car un auteur français, revenant de Berlin, dit qu'il a rencontré Diderot chez Mme d'Aine, belle-mère de d'Holbach '.

Diderot et d'Holbach avaient beaucoup en commun, non seulement sur le plan intellectuel mais encore en matière de préférences et de goûts. Ils aimaient par exemple les repas plantureux, marcher dans la campagne, posséder des estampes précieuses, de beaux tableaux et ils aimaient le confort. Sans être vraiment coureurs, ils prisaient tous deux ardemment la compagnie féminine. En matière de philosophie et de religion, leurs points de vue étaient très proches, quoique la doctrine de Diderot soit beaucoup plus insaisissable, ambiguë et donc plus proche de la vie que celle de d'Holbach. La philosophie de Diderot, difficile à cerner, est pleine d'aperçus poétiques et l'on ferait mieux de l'appeler philosophie sans dieu que philosophie athée (pour reprendre une distinction souvent utilisée pour discuter d'un aspect de l'existentialisme de SartrE). En revanche, il a toujours été certain que le d'Holbach que connaît la postérité a été fermement et rigoureusement athée.

Assez bizarrement, il y a un témoignage - pas tout à fait convaincant - assurant que ce fut Diderot qui convertit d'Holbach à l'athéisme. Ce témoignage se trouve dans le livre d'un politicien et homme de lettres, Garât, qui, dans ses jeunes années, les avait connus tous les deux et avait été l'intime d'un membre de leur cercle, Suard. Suard, qui connaissait aussi les deux amis est à la source du récit suivant : « Longtemps adorateur du Dieu qu'il voyait dans les lois et dans l'ordre de l'univers, il eut pour ceux qu'il aimait et qui n'avaient pas la même croyance, le zèle d'un missionnaire, il poursuivait l'incrédulité de Diderot, jusque dans ces ateliers où l'éditeur de l'Encyclopédie, environné de machines et d'ouvriers, prenait pour le grand dictionnaire les dessins de tous les arts de la main ; et tirant son texte de ces machines mêmes (...) il lui demandait s'il pouvait douter qu'elles eussent été conçues et dressées par une intelligence. L'application était frappante, et ne frappait pourtant ni la raison ni le cour de Diderot. L'ami de Diderot, fondant en larmes, tombe à ses pieds. On a dit de S. Paul renversé du cheval sur lequel il poursuivait les chrétiens : Tombe persécuteur, et se relève apôtre ; c'est le contraire ici qui arrive. Celui qui était tombé à genoux déiste, se relève athée l0. » Il doit y avoir quelque chose de vrai dans cette histoire car à une date aussi tardive que 1756, le curé de Saint-Germain-FAuxerrois attestait avec enthousiasme que d'Holbach avait fait « profession de la foi catholique, apostolique et romaine, dont il remplit les devoirs avec édification " ».



Quoi qu'il en soit, il est incontestable que Diderot et d'Holbach partageaient d'innombrables sujets d'intérêt. D'Holbach, écrivait Mar-montel, « avait tout lu et n'avait rien oublié d'intéressant a », et Rousseau ajoutait qu'il soutenait très bien sa position parmi les gens de lettres grâce à ses connaissances et à son savoir. Cette passion du savoir, particulièrement dans le domaine de la minéralogie et de la métallurgie où la maîtrise approfondie de la langue allemande était essentielle, fut extrêmement profitable à l'Encyclopédie et fut longuement reconnue dans l'Avertissement du volume II.

Cette conformité de goûts entre les deux amis se révéla particulièrement dans les années 1752-1754, où ils se rangèrent dans le même parti au cours de la querelle véhémente qui opposa les défenseurs de l'opéra français et ceux de l'opéra italien. Le 1" août 1752, une troupe italienne en tournée vint à l'Opéra (alors sur l'emplacement actuel du Palais-RoyaL) et chanta pour ses débuts, l'opéra-bouffe de Pergolèse, La Serva padrona. Cette troupe continua de donner son répertoire à l'Opéra, chantant une fois, deux fois, ou quelquefois trois fois par semaine jusqu'à sa dernière représentation qui eut lieu le 7 mars 1754 °. Leurs treize pièces étaient toutes courtes et donc données soit en lever de rideau soit en baisser, en même temps qu'une autre ouvre. Cette autre ouvre était toujours un opéra du répertoire français, chanté par la troupe régulière, de sorte que les oreilles parisiennes avaient une occasion excellente de faire des comparaisons.

Cette année avait déjà vu l'affaire de Prades et la suspension de l'Encyclopédie : elle avait vu la tension croître entre le roi et le Parlement de Paris à la suite d'une grave querelle au sujet de la décision de donner ou non les derniers sacrements aux jansénistes moribonds s'ils refusaient de souscrire à la bulle Unigenitus - ce contretemps s'acheva sur I'« exil » du Parlement dans une ville de province (1753) et la suspension temporaire de ses fonctions. C'est alors que commença la Querelle des Bouffons où les encyclopédistes se retrouvèrent et firent cause commune. Les partisans du genre nouveau, venu d'Italie, se rassemblaient dans cette partie du parterre de l'Opéra qui avoisinait la loge royale réservée à la reine. On en vint donc à dire le « Coin de la reine » pour désigner les aficionados de l'opéra italien, tandis que le « Coin du roi » était réservé aux défenseurs de l'opéra français.



Dans le cercle de d'Holbach, Jean-Jacques Rousseau avait vanté les beautés de l'opéra italien dont il avait eu la primeur à Venise. Les amis de Rousseau pouvaient à présent juger par eux-mêmes et ce qu'ils entendirent les charma complètement et leur parut infiniment supérieur au formalisme et à l'intellectualisme de l'opéra français créé par Lully (1632-1687). Ils trouvèrent l'opéra italien plus riche et plus varié en inventions musicales, plus mélodieux, mieux à même de rendre les émotions, plus adroit à adapter la musique à la phonétique et à la signification des mots. Par contre, la musique de l'opéra français leur semblait raide et monotone, chargée de récitatifs longs et ennuyeux, insistant trop sur l'harmonie aux dépens de la mélodie. C'était, pensaient-ils, une difficulté inhérente à la langue française, qui obligeait les chanteurs à braire plutôt qu'à chanter. L'opéra français était excellent comme spectacle, mais il laissait à désirer sous le rapport de la musique. Comme disait le grand dramaturge italien Goldoni : « C'est le paradis pour les yeux, c'est l'enfer des oreilles l4 ». Les partisans français d'opéras comiques comme La Serva padrona ou Il Maestro di musica de Pergolèse, partageaient le même sentiment et Rousseau terminait sa Lettre sur la musique française en déclarant, après quelques hyperboles que « les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux '-' ».

Au cours de la Querelle des Bouffons, les tempéraments s'échauffèrent à un point incroyable. Rousseau et Grimm, par exemple, étaient convaincus que le premier avait échappé de peu à l'arrestation par lettre de cachet à cause de sa Lettre sur la musique française ". Pratiquement tous les encyclopédistes participèrent à la guerre des pamphlets - surtout Rousseau, Grimm, d'Holbach, et Diderot - et de façon assez caractéristique tous s'étaient rangés dans le parti italien. Ils n'avaient jamais peur de la nouveauté, bien que leur attitude fût considérée par nombre de leurs ennemis comme une sorte de trahison nationale. D'une façon générale, l'esprit était de leur côté, l'apoplexie était le lot de leurs adversaires. Le pamphlet le plus percutant (sa lecture est toujours très amusantE) est l'ouvrage de Grimm. Il s'agit du Petit Prophète de Boeh-mischbroda, écrit en langage biblique, dans un style sérieux, solennel et délicieusement naïf. Le nom même à consonance exotique était drôle. Le Petit Prophète, musicien affamé vivant dans un grenier à Prague, a été transporté par magie à l'Opéra de Paris, et ce qu'il y voit et y entend, bien que lui du moins l'acceptât pour ce que c'était, ne supporterait pas l'examen ". Ce pamphlet établit à juste titre la réputation d'homme d'esprit de Grimm et dans les années qui suivirent, Diderot se plut à lui donner le nom familier de « prophète ». Diderot lui-même, à qui Romain Rolland reconnaît une connaissance très exacte de la musique, entra en lice '*. Dans ses Mémoires sur différents sujets de mathématiques, il avait déjà témoigné sa connaissance de la théorie musicale du point de vue des mathématiques et de la physique et l'on doit se souvenir qu'il aida probablement Rameau à préparer pour l'édition certains de ses livrets. Au début de 1753, Diderot lança dans la controverse trois pamphlets anonymes, intitulés : Arrêt rendu à l'amphithéâtre de l'Opéra, Au Petit Prophète de Boehmischbroda et Les Trois Chapitres ou la Vision de la nuit du mardi gras au mercredi des cendres ". Ces pamphlets, bien que divertissants, sont ouvres éphémères de circonstances et ne méritent pas de retenir longtemps l'attention d'un lecteur du xxe siècle. Ce qu'ils ont peut-être de plus émérite, c'est leur air de modération et de conciliation : « Si du milieu du parterre d'où j'élève ma voix, j'étais assez heureux pour être entendu des deux coins... » Cette déclaration donne l'impression qu'il cherchait peut-être à éviter de se faire un ennemi mortel de Rameau, qui était après tout un grand compositeur contemporain, et de ses partisans.



Diderot préférait, bien entendu, le « Coin de la reine » (déjà dans L'Oiseau blanc en 1748, il avait parlé brièvement mais élogieusement, de la musique italiennE). A la même époque environ - Grimm le rapporte en août 1753 - il s'était amusé à composer une devise en latin pour le rideau de l'Opéra (qui n'y fut naturellement jamais peintE). Cette devise montre clairement ce qu'il pensait de l'opéra français de son temps, mais elle est si laconique et si lapidaire que la nécessité d'une explication en atténue l'humour : Hic Marsyas Apollinem a. Apollon, dieu de la musique, avait écorché vif un mortel présomptueux, Marsyas, qui l'avait défié au chant. Le piquant de la devise de Diderot tient à ce qu'elle n'a point de verbe et que le nominatif et l'accusatif des noms propres donnent toute sa signification à la phrase qui signifie à peu près : « Ici Marsyas écorche Apollon ».



Du point de vue de l'Encyclopédie, la Querelle des Bouffons, qui eut l'avantage d'unir les partisans d'une cause commune, offrait un gros désavantage : elle soulevait un problème vis-à-vis de Rameau. D'Alem-bert, tout comme Diderot, avait entretenu naguère des rapports très amicaux avec lui. De plus, le musicien avait été invité à écrire les articles sur la musique dans l'Encyclopédie ; il avait refusé, tout en proposant de réviser et de critiquer les articles qu'un autre aurait préparés **. En conséquence la tâche avait été confiée à Rousseau dont le travail, selon un critique moderne, « offrait un tableau fidèle mais quelque peu fantaisiste et parfois inepte des découvertes de Rameau " ». Rousseau lui-même reconnaissait l'insuffisance de son travail, disant que Diderot lui avait demandé de l'achever en trois mois et qu'il l'avait fait « très à la hâte et très mal " ». On peut bien se demander pourquoi l'éditeur Diderot n'a pas veillé à ce que ces articles fussent améliorés, soit en insistant pour que Rousseau les révisât, soit en les soumettant aux critiques de Rameau. La réponse tient sans doute à la susceptibilité de Rousseau, susceptibilité telle qu'elle rendait l'une et l'autre alternative impraticables, hypothèse que suggère la remarque suivante de Rameau : « Votre Avertissement fait assez sentir la raison qui vous en a détourné : il vaut mieux ménager ses collègues que le public *. » Peut-être aussi Diderot et d'Alembert ne souscrivant pas à toutes les idées de Rameau, ne voulaient-ils pas que l'Encyclopédie leur servît de véhicule.



Quoi qu'il en soit, le parti pris par les encyclopédistes dans la Querelle des Bouffons rendait l'Encyclopédie vulnérable, car leur préférence avouée pour la musique italienne pouvait irriter Rameau au point de l'amener à faire des remarques publiques sur certaines insuffisances des articles sur la musique. Ce n'était évidemment pas l'intention des encyclopédistes de le pousser à bout. La plupart d'entre eux le tenaient en dehors de leurs critiques sur Lully et sur l'école de l'opéra français en général, et Diderot lui-même louait Rameau dans l'Arrêt rendu à l'amphithéâtre de l'Opéra. Il était l'exception qui confirme la règle. Mais comment pouvait-on attaquer la tradition de l'opéra français sans attaquer en même temps son plus grand représentant vivant ? C'est ce que paraît avoir pensé Rameau qui commença bientôt, dans une série d'opuscules, à signaler les lacunes des malheureux articles de Rousseau. Il fit paraître en 1755 les Erreurs sur la musique dans l'Encyclopédie, en 1756 Suite des erreurs sur la musique dans l'Encyclopédie, et en 1757 Réponse de Monsieur Rameau à Messieurs les Editeurs de l'Encyclopédie. Cette sorte de polémique ne servait pas l'Encyclopédie. C'est probablement sans exagérer qu'un journal qui lui était hostile faisait observer que les opuscules de Rameau « firent beaucoup de sensation dans le public 2' ». L'irritation de Diderot est attestée par sa description peu flatteuse de Rameau dans Le Neveu de Rameau, dialogue qui n'était pas destiné à paraître du vivant de Diderot mais qui avait pour objet (d'autant plus peut-êtrE) de servir d'exutoire au trop-plein de ses émotions.

Rousseau, non content de sermonner le public français à l'aide de préceptes, entreprit alors de l'enseigner par son exemple. Le résultat fut son opéra comique, Le Devin du village, dont le succès fut extrême. Il en avait écrit et les paroles et la musique. Cette petite pièce fut représentée devant le roi à Fontainebleau en octobre 1752 ; cette circonstance aboutit indirectement au premier désaccord ouvert entre Diderot et Rousseau. Jean-Jacques avait été invité à l'audience du roi le lendemain de la représentation. Cette rencontre aurait été probablement suivie par l'octroi d'une pension dont le besoin se faisait douloureusement sentir. Au lieu de quoi Rousseau retourna à Paris, décision que Diderot désapprouva si franchement qu'il alla trouver Rousseau pour le lui dire. « Bien que touché par son zèle - écrit Rousseau - je ne pouvais souscrire à ses maximes et nous eûmes une querelle fort animée, la première que j'eusse encore eue avec lui ; et nous n'en avons jamais eu d'autre sinon de cette sorte, lui me disant ce qu'il estimait que je devais faire, et moi résistant parce que je croyais ne pas devoir le faire M ».

Il est possible que Diderot en soit venu à se dire, inconsciemment, que dans la Querelle des Bouffons, Rousseau les avait entraînés trop loin. Mais ce n'est que pure supposition ; ce qui est certain c'est que les tensions commençaient déjà à se développer entre Rousseau et les autres encyclopédistes. Rousseau était enclin à penser qu'ils étaient jaloux du succès du Devin du village, mais c'était un homme soupçonneux, doué d'une imagination extrême et il n'est pas sûr que ses confrères encyclopédistes aient été jaloux de lui. Mme de Staël, parlant de Rousseau dix ans après sa mort, disait : « Quelquefois aussi il vous quittait vous aimant encore ; mais si vous aviez dit une seule parole qui pût lui déplaire, il se la rappelait, l'examinait, l'exagérait, y pensait pendant huit jours, et finissait par se brouiller avec vous " ». Même si les autres encyclopédistes étaient jaloux de lui, les causes émotives et intellectuelles d'une éventuelle rupture étaient beaucoup plus subtiles et profondes. Il est très surprenant que les philosophes n'aient pas compris plus tôt à quel point Rousseau était peu philosophe. Il ne partageait point leur foi dans la marche de la connaissance, dans le progrès et dans la raison. Pendant des années, ils regardèrent ses diatribes contre les arts et les sciences comme un paradoxe plus que comme une conviction, sans comprendre à quel point ce regard sur la vie était fondamental chez lui. Comme eux, Rousseau croyait au progrès, mais c'était un progrès qui consistait à revenir à la simplicité et au primitivisme de l'état de nature. Ce n'était pas le point de vue d'hommes, tels les encyclopédistes, pour qui le progrès était de toujours améliorer le savoir, la technologie, la compréhension et la maîtrise de la nature.



En réalité, les signes de ce désaccord latent étaient clairement lisibles dans la manière désobligeante dont Rousseau parlait de la « philosophie » dans la préface de sa malchanceuse comédie, Narcisse. Cette préface, écrite en décembre 1752 et publiée dans la première moitié de l'année suivante, pouvait difficilement plaire à des hommes qui s'enorgueillissaient d'être appelés philosophes car elle en discréditait le nom même : « Le goût de la philosophie, écrivait Rousseau, relâche tous les liens d'estime et de bienveillance qui attachent les hommes à la société. (...) Bientôt il (le philosophE) réunit en sa personne tout l'intérêt que les hommes vertueux partagent avec leurs semblables : son mépris pour les autres tourne au profit de son orgueil : son amour-propre augmente en même proportion que son indifférence pour le reste de l'univers. La famille, la patrie deviennent pour lui des mots vides de sens : il n'est ni parent, ni citoyen, ni homme ; il est philosophe " ». Ce sont là des propos résolus voire agressifs. Pourtant les philosophes se contentèrent de les ignorer.

Un incident où figurent Diderot et Rousseau, qui se déroula le 3 février 1754, donne la mesure de l'irritation croissante de Rousseau et du malaise qu'il ressentait parmi ses amis encyclopédistes. Vu de l'extérieur, il ne s'agit que d'un désaccord sur le fait de trancher si une situation est drôle ou non. Mais souvent, accord et désaccord se peuvent mesurer par ce qui semble à l'un amusant et à l'autre déplorable. Voici les faits : un jour qu'il se promenait dans le jardin du Luxembourg, pendant l'été 1753, Diderot fut présenté au jeune curé d'une petite paroisse de Normandie, l'abbé Petit. L'abbé déclara qu'il était ravi de faire la connaissance du philosophe et lui demanda son avis sur un madrigal de sept cents vers qu'il avait composé. Diderot pâlit et dit à l'abbé qu'il ferait mieux d'écrire des tragédies plutôt que de perdre son temps à composer des madrigaux. « Permettez-moi donc de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers de votre façon avant que vous ne nous ayez apporté une tragédie ». Quelques mois après, l'abbé arriva avec sa tragédie et Diderot s'arrangea pourqu'il la lût chez d'Holbach .*. Cette tragédie, rappelait plus tard d'Holbach, était précédée d'un discours tellement absurde sur la composition théâtrale qu'aucun des auditeurs ne put le prendre au sérieux : « J'avouerai même que moitié riant, moitié gravement, je persiflai le pauvre curé ; Jean-Jacques n'avait pas dit un mot, n'avait pas souri un instant, n'avait pas remué de son fauteuil ; tout à coup il se lève comme un furieux, et s'élançant vers le curé, il prend son manuscrit, le jette à terre, et dit à l'auteur effrayé : " Votre pièce ne vaut rien, votre discours est une extravagance, tous ces messieurs se moquent de vous. Sortez d'ici, et retournez vicarier dans votre village. " Le curé se lève alors, non moins furieux, vomit toutes les injures possibles contre son sincère avertisseur et des injures il aurait passé aux coups et au meurtre tragique si nous ne les avions séparés. Rousseau sortit dans une rage que je crus momentanée, mais qui n'a pas fini, et qui même n'a fait que croître depuis».



Cette peinture vivante de Diderot et de Rousseau en compagnie de leurs pairs est complétée par un autre souvenir de la même époque, décrit celui-ci par l'abbé Morellet. Nous y voyons Diderot chez lui, en robe de chambre, s'entretenant avec des hommes beaucoup plus jeunes que lui. L'abbé Morellet avait alors vingt-cinq ans ; il étudiait la théologie. Le souvenir qu'il a du philosophe concorde avec celui de presque tous ceux qui l'ont bien connu - d'un accès facile, généreux de son temps, plein d'idées, s'exprimant avec vivacité, sociable peut-être à l'excès, désireux de convaincre autrui de sa manière de penser :

La conversation de Diderot, homme extraordinaire, dont le talent ne peut pas plus être contesté que ses torts, avait une grande puissance et un grand charme ; sa discussion était animée, d'une parfaite bonne foi, subtile sans obscurité, variée dans ses formes, brillante d'imagination, féconde en idées et réveillant celles des autres. On s'y laissait aller des heures entières comme sur une rivière douce et limpide, dont les bords seraient de riches campagnes ornées de belles habitations.

J'ai éprouvé peu de plaisirs de l'esprit au-dessus de celui-là, et je m'en souviendrai toujours.



(...) Il n'y a jamais eu d'homme plus facile à vivre, plus indulgent que Diderot ; il prêtait et donnait même de l'esprit aux autres. 11 avait le sentiment, le désir de faire des prosélytes, non pas précisément à l'athéisme, mais à la philosophie et à la raison. Il est vrai que si la religion et Dieu lui-même se trouvaient en son chemin, il ne savait s'arrêter ni se détourner ; mais je n'ai jamais aperçu qu'il mît aucune chaleur à inspirer ses opinions en ce genre ; il les défendait sans aucune humeur, et sans voir de mauvais oil ceux qui ne les partageaient pas.

(...) Le souvenir de mes conférences des dimanches avec Diderot, me conduit à parler d'un abbé que je rencontrais quelquefois chez lui, l'abbé d'Argenteuil... Celui-là s'était mis dans la tête de convertir Diderot, et animé d'un beau zèle, il venait le prêcher à l'Estrapade.

(...) Je me souviendrai toujours de notre embarras réciproque, la première fois que nous nous rencontrâmes, et de l'excellente scène que nous donnâmes à Diderot, qui nous voyait chez lui comme deux libertins honteux, se trouvant nez à nez dans une maison suspecte. Mais, après les premiers éclats de rire, on vint à en découdre ; et voilà l'abbé d'Argenteuil et moi qui, conduits par la marche de la conversation, entrons dans les questions de la tolérance, et le philosophe qui voyant la querelle engagée, met ses mains dans les manches de sa robe de chambre et se fait juge des coups ".

Nous pouvons ainsi faire d'autres incursions dans la vie privée de Diderot à cette époque. C'est ainsi que nous savons que le revenu de la famille s'était accru. Depuis 1751, les libraires lui donnaient cinq cents livres par trimestre, ce qui était encore loin d'être princier. Il va sans dire que les libraires achetaient les services d'un homme de la valeur de Diderot à un prix très modeste ; en réalité ils l'exploitaient. Enfin, l'argent entrait plus facilement que par le passé dans le foyer, et ce rythme de paiement se poursuivit jusqu'au début de 1755 36. Il est particulièrement intéressant de savoir qu'en 1752, Mme Diderot alla, pour la première fois, voir sa belle-famille à Langres. Si l'on en juge par une lettre, aujourd'hui presque illisible, adressée à Mme Caroillon La Salette, Diderot espérait que cette dame pourrait adoucir quelque peu le caractère de sa femme ". De toute façon, la visite se termina dans la tendresse et l'estime mutuelles. Dans les premières semaines de 1753, Diderot, toujours empressé à obliger un ami, remua ciel et terre en faveur d'un concitoyen de Langres : Nicolas Caroillon, gendre de Pierre La Salette, désirait être nommé successeur de son beau-père au poste lucratif d'entreposeur des tabacs à Langres. Cet épisode est d'un intérêt biographique multiple. Quelques anciens souvenirs sentimentaux ont peut-être inspiré Diderot, car l'épouse de Caroillon, née La Salette, peut bien avoir été l'une de ses amours enfantines ". Ensuite, par l'aide qu'il apporta dans cette circonstance aux Caroillon, Diderot se rendit redevable une famille qui allait être liée à la sienne par les liens du mariage. Enfin, et c'est là le point le plus important, cette circonstance témoigne de l'empressement de Diderot à se montrer serviable. Comme l'a écrit sa fille, « les trois quarts de sa vie ont été employés à secourir tous ceux qui avaient besoin de sa bourse, de ses talents et de ses démarches " ». A ce désir de se montrer serviable se mêle le plaisir de pouvoir faire état de ses hautes et influentes relations.

Il fallut, pour asseoir la position de Caroillon, mener une intrigue compliquée et animée, recourir à certaines méthodes qui disparurent (on se plaît à le croirE) avec l'Ancien Régime. On promit deux cents louis à la maîtresse du contrôleur général, mais il en fallut cinquante autres encore avant que l'affaire fût heureusement conclue ; les secrétaires du contrôleur général étaient amis de Diderot et acceptèrent d'essayer de lui ménager une entrevue avec le ministre ; Buffon « qui m'aime beaucoup » et le contrôleur général lui-même, Machault d'Arnouville, voulurent bien le voir. « Je crois, écrit Diderot, que je dus un peu cette faveur à sa curiosité de voir un homme qui avait fait tant de bruit *. » S'étant efforcé d'exécuter son dessein par l'entremise du contrôleur général, Diderot entreprit de s'assurer l'appui de la maîtresse du roi. A cette fin, il fit agir un ami personnel, un des grands noms du xvnr siècle, le médecin en titre de Madame de Pompadour, François Quesnay (1694-1774), fondateur d'une école de théorie économique, l'école des physio-crates. Dans les années 1750 et au début des années 1760, Diderot fut profondément influencé par les idées de Quesnay et ouvrit les colonnes de l'Encyclopédie aux copieux et substantiels articles qu'il fit sur le « Fermier » et sur le « Grain » *'. Ces articles fournissaient un excellent moyen de diffusion aux idées physiocratiques. Quesnay critiquait vivement l'économie nationale de la France et les lois qui la réglementaient ; il distinguait bien que ces lois donnaient la primauté à la production des biens de luxe et à la croissance des villes au prix de l'appauvrissement et du dépeuplement des campagnes n. On voit aisément quelle influence la pensée de Quesnay a exercée sur Adam Smith : l'un et l'autre cherchaient à comprendre les causes de la richesse des nations et tous deux prêchaient - le plus âgé plus implicitement - les vertus de l'accroissement du produit national brut, non par les lois du mercantilisme, mais par la grâce d'une main invisible. II est donc exact de dire, comme on l'a souvent fait, que l'ami de Diderot fut l'un des pères de la science de l'économie politique.



Selon Marmontel, « Quesnai, logé bien à l'étroit dans l'entresol de Mme de Pompadour, ne s'occupait, du matin au soir que d'économie politique et rurale. (...) Là-bas on délibérait de la paix, de la guerre, du choix des généraux, du renvoi des ministres, et nous, dans l'entresol, nous raisonnions d'agriculture, nous calculions le produit net, ou quelquefois nous dînions gaiement avec Diderot, d'Alembert, Duclos, Hel-vétius, Turgot, Buffon ; et Mme de Pompadour, ne pouvant pas engager cette troupe de philosophes à descendre dans son salon, venait elle-même les voir à table et causer avec eux " ».

Dans le dessein d'obtenir la nomination de son ami Caroillon, Diderot présenta un mémorandum à Madame de Pompadour par l'entremise de Quesnay ; il reçut par la même voie un mot d'elle, puis lui écrivit directement. Le couronnement de l'affaire fut que Caroillon obtint sa nomination et Diderot, qui d'évidence n'était pas aussi convaincu qu'il voulait bien le dire des qualités transcendantes de Caroillon, écrivit à ce dernier une page de bons conseils sur l'exécution scrupuleuse de ses devoirs officiels *".

Il n'est pas sans intérêt d'apprendre que Diderot tint sa femme au courant des vicissitudes de cette requête, prouvant ainsi qu'il ne la laissait pas toujours à l'écart de ses affaires 4!. Cette année-là pourtant, c'est Mme Diderot qui pouvait annoncer une grande nouvelle. Diderot écrivait aux Caroillon en février que sa femme avait de violents malaises, le matin i6. Elle avait quarante-trois ans et pas d'enfant quand elle fut grosse pour la dernière fois, après avoir prié le ciel pendant de longues années qu'il exauçât ses voux. « Ma mère fit voeu d'habiller de blanc et de consacrer le premier qu'elle mettrait au monde à la Sainte Vierge et à saint François : rien ne pourrait lui ôter de la tête que je dois mon existence à ce vou 4". » Marie-Angélique Diderot (Angélique du nom de sa grand-mère paternellE) naquit dans la maison de la rue de l'Estrapade, le 2 septembre 1753, et fut baptisée le lendemain à Saint-Eticnne-du-Mont. Ses parrain et marraine, inconnus de la postérité, se dirent incapables de signer leur propre nom ". Il y avait maintenant, pour la quatrième fois, un petit enfant dans la maison. Celui-ci était destiné à vivre longtemps.






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Denis Diderot
(1713 - 1784)
 
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