Dominique Pagnier |
I Pourquoi tenons-nous à cette image d'un Sauveur qui explique si mal le monde? Juste lui devons-nous ces bougies tremblantes au carreau quand l'été a ses fureurs vespérales, et cette poésie qui alors nous désole si lente à suivre le déplacement de l'ange parmi les éclairs. Une brève syncope suspend le monde sous une vague de néant comme un écho muet de midi. II En ce temps du solstice, quand les pièces du monde sont pleines de leur ombre, l'aïeul nous retire dans une chambre noire qui renverse les choses, en mélange les couleurs. Leçons à tirer des ténèbres pendant la sieste; ce châtiment de sang sur les arbres dont le rouge vient se brouiller dans la chaux au plafond et le jardinier immatériel qui n'est plus qu'un rayon noir entre les deux persiennes. Décors et personnages bibliques. Mal réveillée pour la cueillette des cerises, la tête jaillit des ramées pourpres pour découvrir au-delà des courbures terrestres, les rouages de l'été vers lesquels repartent les traces du Sauveur. III Dans les cerisiers se balancenr des losanges de ferraille où pour effrayer les oiseaux, sont peints avec art des visages de chats, et la tête rouge des arbres est pleine de démons qui sonnent et scintillent brièvement. Quand par la fenêtre ouverte tous les fruits paraissent menacés, nul ange n'accourt pour les sauver. Seul, accoudé à l'entablement tiède, avec un vieux geste au-dessus du cahier, est Jean qui pose la date d'un jour vers la fin du premier siècle. Puis les visions qui annoncent la disparition des christs sur les plâtres à mesure qu'ils sèchent. Enfin les allusions au mystérieux Antipas dont les frusques crucifiées se montrent par transparence au fond du verger pour racheter tous les merles. IV Comme est ramené un maître douteux dans le milieu de la lecture solitaire, et qu'à la question de la vérité, il ne répond que par le silence de la chambre, tous les érables urbains renferment davantage de noir dans leurs têtes casquées de lumière, et les éteules au loin font de grands miroitements éblouissants. C'est ce passage des Ecritures qui transfigure tout le verger ainsi libéré de l'été, et des liens blessent le pommier tandis que la balançoire monte toujours plus haut d'où l'être ramène de froides bouchées d'azur. V Les bouffées de nuages comme des trompettes d'anges dépassent des troènes. Une voix enfantine porte le nom de la lumière dans la charmille. Musique estivale. Pour que l'enfant soit poète, trop de stupeurs encore, et de songes blancs et de jardins pléthoriques. Après la mue seulement. VI Les premières gouttes qui s'évaporent sur le ciment sentent le vide et le tombeau. Assis demi-nu dans son couloir, un vieillard ramène au jour d'anciennes cosmogonies : Ptolémée, sa terre perdue dans l'infini d'eau sidérale. Personne ne sauve les roses de leur tourment sous l'ondée. Non. Que leurs pétales retombent sur nos têtes ravies comme après une crucifixion! VII Dans un gris mouillé d'été se fondent les petits châteaux de l'aube. Sous leurs toits et de gros remous de feuillages, pourrissent les Éclaircissements de l'Apocalypse; et des parfums d'arbres et ceux de livres gâtés se touchent dans une embrasure où se tient l'ange sans poésie, humide incendié, hésitant entre la raison et l'extase; et voici que son air détaché nous invite à le suivre sans nous retourner jusqu'à l'entre-deux automnal, comme s'il suffisait que sur le seuil d'une école désaffectée, nous cessions de nous faire porter par notre ombre, pour exister une première fois et être avec toute la matière arrêtée de ce paysage, de partout et de tout temps. |
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Dominique Pagnier (1951 - ?) |
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