Dominique Pagnier |
I Un ancien serment d'automne rassemble les familles dans l'enclos des métamorphoses et fait perdre à la pierre son parfum de soleil. Une brume est à peine comme une âme à tout ce lieu, distendue sur l'azur entre les derniers ifs et qu'un parler bas dissipe. Qui découvre son nom sous un drapé de marbre comme celui d'un disparu dans les friches de l'est, un souci minéral le saisit; cette vengeance qui soude armes et casques en un bouquet de ferrailles. II Que les guerres se portent au loin, des rêves les traversent qui les rendent impitoyables. Revient toujours le sentiment de cette première guerre du monde dont le clairon sonne comme un soleil bas et blanc au travers des aulnes défunts. Aux vigiles matinaux des Enfers, l'assoupi présente des armes invisibles et sa poitrine est médaillée de feuilles mortes. III Il y a une loi qui tient aux Défunts; elle fait que si nous apparaît la figure d'un parent dans les vides des frondaisons, c'est qu'il n'existe plus. Ainsi préservons-nous Eve, en remplissant notre pensée de tout ce qui n'est pas elle, du trésor végétal d'une autre saison. Elle parvient à demeurer, et comme elle coud derrière les carreaux d'un corps de ferme nu sous le réseau de l'ampélopsis desséché, le reflet d'un arbre solaire lui pose une braise sur la joue gauche; de temps en temps, elle va regarder le néflier tourmenté qui, sur un talus de l'autre côté de la route, lui offre ses fruits rudes, luisants d'un bas brouillard. IV Un peu d'existence est donnée aux morts des monuments lorsque la musique s'infléchit pour une minute de songe et de silence; c'est cette même inflexion qui fait baisser la tête des enfants dans le triste ralentissement de l'homo factus est, mais personne ne revient si ce n'est l'Innocent qui marche sur les bords gelés de la noue et finit par s'asseoir sur de vieux semoirs rouilles comme sur les barques de Tibériade. Parce que le monde est aussi simple que lui, les prêtres l'invitent à leurs cérémonies et le livrent comme une âme d'avant le bronze à la curiosité des enfants. V Même si ce fut un très beau signe qu'au passage de la vallée de larmes, la croix touffue se prît à ruisseler de toutes ses roses le long des angles vifs du cercueil qu'on allait emmener, il n'est resté de cette scène entre les ifs qu'un amer savoir sur l'ouvre réelle d'une création symbolique, sur le vacarme de ses formes et de ses couleurs. Un lointain semble parler dans la bonté des jeunes femmes auxquelles revient le soin d'un mort, mais c'est une perdition dans le vieux fonds allemand des gestes funéraires, quand penchées sur la tombe, elles arrangent des fleurs dans des cuivres d'obus martelés. VI Les plus belles petites filles n'ont plus mémoire des malheurs de garçons qui leur furent cependant nécessaires pour avoir tant d'éclat lors des cérémonies, et leur blondeur toilettée de noir, les présente dans un clair-obscur de chambre mystique. De l'ordre des tombes, elles font une ville du sud sans aucune fenêtre, dans les rues de laquelle elles courent avec leurs naissantes poitrines corsetées de vent comme des mains de l'Absent. VII S'il n'est plus rien de tragique en ces soirées de Toussaint, lorsqu'une enfant est enfermée dans sa chambre pour avoir fait le devoir de son frère endormi, alors le monde est parfaitement lisse sur son vide intérieur, et le méthane qui clignote parmi les chrysanthèmes, dérangeant l'ordre nocturne, n'est pas l'âme du frère qui réclame le vase et le sou. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Dominique Pagnier (1951 - ?) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Dominique Pagnier | |||||||||