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Dominique Pagnier



Les métallurgistes embrasés - Poéme


Poéme / Poémes d'Dominique Pagnier





I

Son livre refermé sous la lampe très basse, Eve attend les premiers craquements de l'Apocalypse, tandis qu'au fond dans la remise, l'aïeul parle si tard à ses machines. Et l'établi pourrit gorgé d'huile qui est la douceur aux métaux, et les nuisibles crucifiés ne sauvent pas la trempe quand la lune rôde mauvaise. Éployées sur les briques, les nymphes mensuelles tourmentent de loin l'apprenti, celui qui forge en rêve un enfant bleu comme l'acier destiné à racheter le monde.



II

Toute la richesse nocturne s'entasse derrière la peupleraie et, dans l'enclos aux tournesols, la parole est revenue plus charpentée aux exilés qui assistent à la naissance du mauve. Ils réconcilient leurs maisons de bois avec le sens de la terre, Ukrainiens dont la juiverie tous les soirs récite un verset de l'exode dans un parfum de chair rance. Par la claire-voie, nous regardons cet enchantement de nos sols les plus vagues avec la froide cruauté de ceux qui nés ici veulent savoir la vérité.



III

Les ouvriers exposent leurs soucis aux étoiles. Celles dont ils ne connaîtront jamais le nom, vont un train silencieux et réglé par leur cruauté, tandis que les usines dont ils sortent pourrissent dans l'iniquité du couchant. Quand les métallurgistes sèchent leurs sueurs aux courants d'air, sous une tonnelle et la vigne stérile, deux poètes se parlent de leurs fenêtres au-dessus du tumulte et nomment parmi les constellations automnales, une étoile qui annonce révolution ou sacrifice.



IV

Des avenues portent des noms de visionnaires qui les font se perdre à l'est dans un infini de guerres violettes, et des nuées où s'exaspère la palpitation théogonique, se posent sur les sorties d'usines comme une grande Bête de l'an mille. De part et d'autre des avenues sont des demeures dont les images frêles ferment des perspectives de tilleuls et de grèves. Mystère des rideaux qui remuent le soir, comme un théâtre d'âmes humides venues inquiéter de leur lent devenir l'aire abstraite de la muraille. Alors le soir est à peine troublé de lointains aboiements monodiques et de chants d'arrosoirs qui se remplissent. Les choses naturelles ont un charme au passage de Pan dont la lassitude embaume.



V

Après les derniers pas dans la grève et, derrière les persiennes, des coups de fenêtres contre leurs dormants, les ouvriers ne disposent plus d'aucun bruit pour faire tenir le jour. Le vide que font sur le ciel les feuilles noires du prunus, donne sur un monde encore plus profond. La nudité de l'aîné éclaircit un peu la chambre où flottent des pensées impures. Une enfant de sept ans est offerte aussi comme victime à un livre dont les inscriptions tirent leur sens d'un maître menaçant. Les martinets fusent au-dessus de la cour, autres lettres acérées et rapides portées sur le bleu perdu. Quelle musique lointaine révèle le secret de l'âme? Faible lumière dont la mécanique passe en sifflant dans la rue tiède.



VI

Dans des quartiers d'anciens ouvriers où ne sont plus lus que des livres sur les rythmes de l'acier et l'imposture des écrits, une chambre demeure sous de blancs oiseaux spirituels. Un soir vient jusqu'au fond l'habiter qui est rentré par la fenêtre et avec lui, dans les rideaux s'écartent les replis d'une belle imaginaire. Du haut de la maison est ainsi délaissée la consolation qu'attend le monde; Mélancolie, Horreur des femmes, Haine de la matière sont peintes en allégories dans des cadres qui font toute la beauté de la chambre. La pensée pour le maître adoré la traverse pour conserver ce plus pur exemple de solitude ; et juste avant dormir, le regard se consacre à la vierge idéale uniquement conçue des visages de toutes les passantes croisées, brièvement aimées, et disparues dans l'infini des boulevards.



VII

Dans la volière, les pigeons réclament la vie, gros du sang qui aveuglera l'aïeul. Eve endormie, la joue collée sur son livre ouvert, est traversée de la première image de la Genèse; un astre est mort depuis longtemps dont la lumière nous parvient encore.



VIII

Ou bien c'était la protection d'une morte encore proche qui lui avait présenté la longue transpiration venue aux jardins après les heures de travail, comme ce qu'il fallait recueillir dans un linge en pensant que c'était l'âme du monde. Age où la plus simple parole qu'un ancien centurion profère le soir sur un balcon pour louer la beauté de ses fleurs, est interprétée à cause de toutes les nuances des roses, comme la formule d'un métal parfait.



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Dominique Pagnier
(1951 - ?)
 
  Dominique Pagnier - Portrait  
 
Portrait de Dominique Pagnier
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