Dominique Pagnier |
I Après son cri écarlate qui nous inspire le doute, toute la feuille est descendue de son supplice sous un éclairage ras de catastrophe; l'oil comme un lieu saint où fane un rideau déchiré. Pendant une seconde le monde n'a plus d'âme et sa mue le rend vulnérable. II La nuit fondue sur la montagne des toitures avec des apparences d'horizon au-dessus des faîtières, le corps du monde est arrêté en équilibre entre un rêve ou une ouvre matérielle, puis reprend la vibration des choses qui changent et les arbres refont de l'écorce pour oublier leur tendresse qui nous voyait passer parmi eux si charnels. III Les toits nocturnes forment un rivage à cause des hommes dévêtus qu'ils préservent du vide, et dans les houppiers s'usent les rouages dévoilés de l'automne dont la poussière recouvre les nus et les paysages. En présence du maître, les pertes de l'érable qui forment au sol des éclatements dorés, ont été serrées dans les paillasses; elles enivrent les couples de leur parfum symbolique. IV Son rêve de rabaisser les feuillus dans un égal dénuement, fait de l'automne une pensée orientale, et lorsqu'il se porte sur les faubourgs et les jardins ouvriers, on y entend appeler un soir très grand et très pur, un soir d'êtres illuminés par leur propre nudité. Mais les femmes qui voient reverdir puis s'effeuiller à jamais le vieux buis des Rameaux derrière le crucifix, sentent toute la peine faite à une image de l'absolu. Partageant les grands domaines, décimant tous les mâles nés du porphyre, l'écarlate se répand comme une plaie qui précède l'exode. V Par une coupe d'eau chaude, il y a cette tésurrection vespérale de la flore qui laisse un arrière-goût de miracle échoué, faible secours à ceux dont un rayon lunaire vient dessécher le cour au fond des chambrées d'hôtel-dieu. Remplis de leur froide méditation sur l'amour, ils sont comme des saules creux habités par un oiseau nocturne. VI Voici que les arbres deviennent les spectres de l'amour qu'ils abritaient et que les vieillards se déshabillent dans leurs mansardes pour mieux affronter les vérités qu'ils rencontreront dans la nuit. Nus derrière les carreaux, ils contemplent l'infini lazaret d'octobre jonché de la charpie des feuilles; la sanie rougeâtre que font de leurs couleurs noyées l'érable et l'ampélopsis, s'infecte de nuées. VII Depuis que le monde fait de l'histoire, les livres deviennent plus obscurs et les bois se clarifient; ce souci traverse l'art d'un vieil homme quand il donne sa dernière ouvre où l'arbre est représenté sous l'aspect de la Vraie Croix. C'est réellement un érable dont le feuillage retombe en forme de thorax crevé, mais c'est surtout la douleur d'une majesté bleue que percent quelques plaies dorées. Et comme jamais n'est trouvée une image assez nette de la croix, toute l'admiration des simples se tourne vers la force naturelle du tronc, des branches et des feuilles. Le livre s'achève dans les bondieuseries d'un hospice, sous le baiser secret de la sour surveillante qu'enveloppe une tente de lin blanc. VIII La quête d'une méchante vérité sur la personne de Jésus, sur son grand corps ajouré, et sur le nombre sacré de ses plaies, courbe un homme fragile, chaque jour un peu plus sur le bureau de bois fruitier. Toute la pharmacopée de l'Ecriture, le crachat, la boue, l'eau croupie qui perdent leurs vertus dès que la figure finale de Thomas est avancée comme celle d'un messie manqué. Avoir renoncé pour l'amour de celle-ci, aux scènes de nudité avec Anne et Marie dans la roseraie dont elles furent, un matin pascal, l'expression la plus pure et la plus effrayée. IX Durant les derniers mois qui précèdent son agonie, ses rêves nocturnes lui découvrent un livre de paysages; toujours les mêmes animaux qui montrent leurs figures violettes par les jours d'une lisière, et une grande femme qui est l'alliance de la louve et de l'esprit. Dans les propriétés anciennes, ce sont des chutes de pommes derrière des ferronneries rouillées, puis de l'azur tombe la herse blanche des gelées, et c'est la digitale commune qui se couche sous la foulée du cour. La lampe s'allume alors au chevet dans le cercle des élixirs; il sait que telle partie lointaine du corps est remise en offrande à la déesse hydropique venue s'asseoir de profil au pied du lit. X Après la mue seulement, une première harmonie peut être tirée d'un mot pour un autre plus sombre, plus secret. Ainsi révélée par décembre, l'envergure céleste des arbres, on restaure leur empire invisible. Pour chaque feuille qui s'émiette, son image intérieure qui se déplie dans l'âme. |
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Dominique Pagnier (1951 - ?) |
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