Driss Meliani |
Lorsqu'on t'évoque je vois à la station de métro Maïakovski se penchant sur un amoureux qui attend debout tenant à la main un bouquet d'oillets Les trains arrivent et partent l'un après l'autre tantôt à droite, tantôt à gauche et dans la foule des passants l'amoureux attend debout tenant à la main un bouquet flétri enveloppé dans un sachet transparent lui servant dirait-on de sépulture Les passants défilent les amantes enlaçant leurs amants les trains vont et viennent et le cour bat bat tel un oiseau en cage volant dans le ciel de la station Est-ce celle-ci ? Non Est-ce celle-là ? Non Chaque passante lui jette un regard en coin et va son chemin Et lui attend, attend. son bouquet flétri à la main Tout à coup une main s'est posée sur mon épaule Je me suis retourné - Qui es-tu ? - Salut, ai-je dit Il ne m'a pas rendu mon salut - Viens-tu de chez l'Oncle Sam ? - Non, ai-je répondu mais je suis, si tu veux de son proche et noble entourage J'ai lâté ma poche pour en sortir un chewing-gum et une cigarette de luxe - Tu fumes ? ai-je demandé pour briser la glace mais il a fait une grimace irrité à la vue d'un milicien - N'aie crainte, camarade Volodia lui ai-je dit Je ne suis pas un espion plutôt un inconditionnel de Natacha et de tes poèmes rebelles Je lui ai récité un passage du Chant de la gauche un passage du poème sur Lénine un autre du Nuage en pantalon puis un autre, un autre jusqu'à ce que la confiance revienne et qu'il me dise : Khorocho puis il m'a fait asseoir à côté de lui sur le banc en bois Nous n'avons pas fumé car nous étions dans un lieu public mais nous nous sommes plongés dans un poème puis l'autre avant d'évoquer des souvenirs anciens et nouveaux - Qu'en est-il de la poésie ? a-t-il et ai-je dit C'est notre diwan internationaliste ! - Qu'en est-il des poètes ? a-t-il et ai-je dit Tragique est le destin des poètes sous n'importe quel climat ! - Qu'en est-il de la glasnost et de la perestroïka ? Nous avons ri en chour d'un rire semblable au pleur et avons dit : Parole de vérité cachant l'imposture, du vent ! Nous en sommes arrivés au bûcher des passions comment Essenine a aimé et en est mort comment Lermontov a aimé et en est mort comment Pouchkine a aimé et en est mort comment lui... et Lili Brik et comment il s'est suicidé Irrité, il a dit : Mensonge éculé, j'ai plutôt été tué Ce n'est pas ma main qui a tiré la balle mais celle du secrétaire qui n'était qu'un sous-homme Peut-être ne l'as-tu pas... ? - Si, ai-je répondu, c'est dans le Passeport J'ai lu ce qui y est dit du douanier du gendarme du policier du libraire des « fous de réunions », les sous-hommes « qui s'y complaisent », et ils sont légion dans mon pays ! - Et toi. ne t'es-tu pas suicidé ? - Un vers de poésie m'a sauvé, ai-je dit - De qui ? - D'un fou d'amour qui a écrit : « Ne guérit de l'amour qu'un autre amour qui l'efface » et je lui ai rappelé les siennes : Tatiana Maria, Natalia, et Lili Brik J'en arrivais à mon propre bûcher des passions quand une main s'est posée sur mon épaule Je me suis retourné - Je suis en retard ? a-t-elle dit - Et moi, c'est de toute ma vie que je suis en retard Au pied du mémorial en marbre j'ai déposé le bouquet de fleurs et j'ai dit : Adieu, camarade Volodia Puis j'ai enlacé ma compagne et m'en suis allé |
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Driss Meliani (1945 - ?) |
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