Edouard Glissant |
Il y en a qui doivent Parler, parler encore à l'ombre dans les coins Des plaies qui cicatrisent avec beaucoup de mal Dans la nuit la plus claire Et des étangs qui bâillent On dirait contre un mur Qui les tiendrait couchés. Il y en a qui doivent Longer ce mur, le même, Et tâcher de l'ouvrir Avec des mots, des noms qu'il s'agit de trouver Pour tout ce qui n'a pas de forme et pas de nom. Ils sont heureux Ceux pour qui l'eau Est la patrie. Ils voient les lacs et les rivières Et tout s'apaise Dans la bénédiction des eaux. Plus loin, plus bas, au fond de l'eau, Est le secret qui les conduit, Rêvant et soulevés Par le vent de l'aval. Ils s'assoient dans les joncs et voient que tout s'achève Dans l'eau qui se souvient D'avoir fini sa peine. A ceux qui sont hagards Dans les salles d'auberge Et qui devant les murs Se défont en passant Comme autant de nuages On essaierait en vain De leur poser les doigts Sur un pichet d'eau froide. Midi c'est l'étranger Qui se nourrit en vain De l'étendue des prés Et des furies d'insectes Quand la patrie est dans les caves Avec la bave des limaces. Il aura trop tenu Dans le fond de sa paume En face de la mer Du sable que le vent Y prenait grain par grain Celui que tient la peur De devenir nuage. Mais la source Nous avons rêvé De la supporter, D'y plonger les mains Pour le pur plaisir, Sachant qu'elle aussi N'est pas l'ouverture Qui dirait des mots. Souviens-toi, tous les ciels Étaient marqués de haine. Nous n'avions pas l'idée D'aller noua y asseoir Pour nous tenir les mains Et moins encore l'idée De nous mettre à genoux Devant eux et leur dire Ce qu'était notre peine. Toujours ils étaient vagues Avec leurs cumulus Et puis l'écran pour des figures Irrecevables. Ce n'est pas nous qui avons lancé La barque dans le ciel où elle éclatera, Si fort elle pointe et monte. Nous n'avons rien voulu De ce demi-liquide Où tout se perd. Qu'elle aille, qu'elle éclate Et se fasse rayon de lune à l'été proche Pour quelque lac. Ou bien si par hasard elle revient un jour, Nous n'irons pas vers elle Pour quérir sa réponse. A genoux sous le vent Qui fait sa confidence Au gouffre dans le ciel. A genoux pour qu'il passe et nous voyant soumis N'en cherche pas plus long. Qu'il n'aille pas hurler Au fond du bois, à la vallée, Qu'il nous a vus dressés pour livrer la bataille Aux monstres protégés Qui se font dans l'humide Et qui voudront venir Nous fermer les sentiers. Et celui qui criait Dans la sphère d'absence, Qui voulait que ce fût à ses mains d'étrangler, Sur l'azur vertical, Les fleurs géantes et bleues Qui tombaient du soleil. Avec les fontaines au fin fond des terres Nous avons été. Avec les fontaines sous le poids des algues Nous avons été. - C'était contre l'air Et probablement Pour ne plus parler. Ceux qui sont à la pointe Et vont dans l'avenir Comme un carrier va dans la pierre, Sachant que tout ce monde en travail de sommeil N'est pas le corps tenu Dans la main d'un plus fort qui le garde et le veille, Il faut leur pardonner jusqu'à la volonté D'étreindre un jour sur la montagne au crépuscule Un corps qui les repose Et l'autre volonté parfois, Dans la durée, De se fermer les yeux Sur le bord d'un étang. Nous nous assemblerons sur un coin de la lande Et nous verrons la mer encore Mais d'assez loin. Nous aurons à nous dire Et plus encore à boire. Puis nous nous étreindrons pendant que la nuit tombe Et couvre la ro3ée En attendant le feu De la roche et du bois. Nous trouvions que la nuit Est chose naturelle Et que le jour Est difficile. Mais cette nuit pourtant N'avait pas notre accord. Celle que nous voulions Était bien plus épaisse Et répondait aux doigts. C'était la nuit encore plus noire Où laisser nos deux corps A cette eau douce des lavoirs. Que signifiaient les cols des cygnes Et les bergers sur les images? Mais que signifiaient l'eau Et la mousse au printemps Quand vivre devient bon. Nous nous gommes tenus Devant des feux de bois Et sachant que la flamme Nous n'avons rien trouvé Que nous serrer les mains Et détourner les yeux Vers l'ombre fatigante. J'avais épousé la branche du saule Et bien entendu la plus mal venue. Nous n'avons pas fait de ces longs A travers nuages Vers un fond du ciel. Mais je suis resté Pendant des instants ou l'éternité Gomme de l'eau dans l'eau. - Et c'est maintenant qu'il faudrait savoir Qui, sur le bord de la rivière, Toucha son épouse, La branche du saule. Si c'est encore celui qui souffre tellement Dans tellement de paysages. Trop de brouillard Pour trop de ciel et trop de vent. Alors on cherche Comme un métal qui se renfrogne Ou bien l'oiseau qui préféra Tourner en pierre Et qui crierait, Qui frapperait . Si on lui parlait bas Du jour et de la nuit Dehors, dans les espaces. * A l'orée du bois peut-être de pins, Dessus les rochers tout près d'éclater, Qui donc au soleil peut ainsi chanter Pendant plus d'un rêve Et n est pas oiseau Ni tribu d insectes? Qui chante à plein sol comment la lumière A touché les corps? Rien, mais le soleil voyant l'avenir Sur un champ d'avoine et sur un pré. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Edouard Glissant (1928 - 2011) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Edouard Glissant | |||||||||
Biographie / OuvresMort le 3 février 2011 à l'âge de 82 ans, Edouard Glissant était bien plus qu'un grand écrivain, auteur notamment de La Lézarde (Prix Renaudot 1958), Le Sel noir, L'Intention politique, La Case du commandeur, Pays rêvé, pays réel, Tout-monde. Il était surtout l'inventeur et théoricien, à la pensée parfois assez complexe, d'au autre monde qu'il appelait le Tout-monde, nourri des écrits et des lutte |
|||||||||