Edouard Glissant |
J'arriverai le soir dans une chambre chaude - et Tu y seras brûlante et douce. Quand le merle sifflait dans l'herbe et que le vent Rongeait d'éternité les pierres de nos gros murs, C'était pour nous la fête et tout s'accomplissait. Nous connaissions le temps, Pour avoir attendu avec l'eau sous la terre Et nous savions Le façonner autour de nous comme le temple Et qu'il résonne de notre cri. Plus tard le cours des jours et la terrible absence Et te porter encore, Pesant de tout le poids Des lieux vacants de toi. Te porter plaie brûlante ouverte sur la ville Et craindre. Mais maintenant le temps S'incurve autour de nous Et toi présente. Les vagues de la joie, le chant Comme des pierres délivrées, Le sourire Ou plutôt l'obole des visages, Et l'aventure De tant s'aimer. Toute fête a ses cris et nous avions les nôtres. Puisqu'ils pouvaient enfin Avoir passage dans la gorge Et trouver l'air, emplir Un coin de chambre, un pli de drap, Ce n'était pas pour dire ou appeler, C'était nos corps pressés d'aller plus loin encore, D'arriver quelque part où plus rien ne se crie. Mais non! la terre... la terre où tout se joue, La terre chargée de nous. Dehors le merle et sa chanson Sont avec nous. L'effort des céréales et l'eau des frondaisons, L'offre impudique des chemins Et tant de bois. Mais nous ne pourrons pas, comme j'aurais voulu, Être un jour avalés par la carrière ouverte Et descendre dormir à jamais dans la terre Auprès des eaux profondes, sans lumière, Chair contre chair, chaude contre le froid. Dormir en caressant parfois le flanc de l'autre, Quand le jaune se fait présent comme d'un fruit, Devant les yeux fermés, dans le cerne de nuit, Puis se serrer plus fort contre l'autre Et sourire. Ils n'étaient même pas francs comme des couteaux, Ou des gueules levées sur vous pleines de dents, Tous les touchers de la menace. Ils n'avaient de visage que celui Qu'ils te donnaient, fragile, Autre déjà, presque livrée. Il n'y avait bataille qu'en tes yeux Agrandis, mais ne voyant plus Vers le dehors - accaparés - Voulant me voir et me savoir et ne pouvant, Moi comme un fauve fou à la force inutile, Trop pesant pour la lutte étrangère à ma rage, Ailleurs, où tu retournais donc parfois. D'autres étaient précis comme des maladies, Avaient presque visage au dehors de la chambre Et tout le poids de la bêtise. Ils venaient de la force Qui a pouvoir, dictée des lois, qui a les armes Et tant de corps mécanisés. - Et nous, de nous savoir Brasier pur et bonté pour les temps à venir, D'avoir à nous tes yeux où les fauves les plus mornes Ne seraient pas venus sans se réconcilier, Nous n'en étions pas moins cernés Hors la puissance : bons pour subir. - Ils t'auront pris tes jours, tes songes, tes sueurs, Lassé tes yeux, courbé ton corps D'arbuste brave, Comme aux beaux jours, La grisaille démente d'octobre. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Edouard Glissant (1928 - 2011) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Edouard Glissant | |||||||||
Biographie / OuvresMort le 3 février 2011 à l'âge de 82 ans, Edouard Glissant était bien plus qu'un grand écrivain, auteur notamment de La Lézarde (Prix Renaudot 1958), Le Sel noir, L'Intention politique, La Case du commandeur, Pays rêvé, pays réel, Tout-monde. Il était surtout l'inventeur et théoricien, à la pensée parfois assez complexe, d'au autre monde qu'il appelait le Tout-monde, nourri des écrits et des lutte |
|||||||||