Edouard Glissant |
Les murs sont compagnons, Posés toujours qu'ils sont pour le coude et la paume Et dressés vers les yeux, Ayant un peu de terre Où confier leur bonté quand ils en ont excès Et paraissant avoir prouvé leur innocence A se trouver dans l'air tout en vivant de noir. Bien des murs sont tachés De mousse ou de lichen couleur des vagues Qui à peine émergés De l'eau tiède et du sel où vivre prend figure Laissent de pierre à nu Aussi gros que la plaie à ne pas trop montrer, Plutôt chérir quand on est seul. C'est dans les murs Que sont les portes Par où l'on peut entrer Et par l'une Arriver. * Ils ont affaire à l'air Pour quelques distractions. Le vent de mer y passe En poussant dans le ciel et la chair des garçons, Y porte feuille ou moucheron Et la caresse. Ils ont affaire aussi A la pluie, aux lessives. . Mais le soleil Est un pouvoir. Les murs quand ils sont Hauts, Surtout ceux qui n'ont pas fenêtres et rideaux, Qui ont traînées parfois de gris jaune et de noir Dessous les cheminées, Sont bons pour être écrans aux visions des passants Qui n'y trouvent pas forme ni leçon, Mais soupirail : Un géant rouge a fait grand signe Et sur les toits ses pieds vont vite. C'est au ciel qu'il s'en prend, C'est à l'été. Il a du feu entre les bras. Il a laissé tomber un astre ou un enfant. Il dit : Vengeance. Il se rassoit. C'était un pauvre. Il y a du terrible dans le monde Et ce sera Un mur à travers champs, contre un prunier, Auprès de la charrette et ses timons dans l'air, Sous le soleil qui fait durer l'immensité. Un mur qui n'aura pu S'habituer Et ne croit plus Réduire l'espace à travers plaines. * Voir le dedans des murs Ne nous est pas donné. On a beau les casser, Leur façade est montrée. Bien sûr que c'est pareil En nous et dans les murs, Mais voir Apaiserait. Des murs Sont laids. Ils n'y auront pas mis Du leur. Faits pour cacher, Pour empêcher, Amidonnés parfois De tessons de bouteilles. - Ils n'arrêteront pas Les foules du triomphe. Parfois les routes - Nous y allions pour le plaisir ou le devoir - Étaient bordées de murs. Ils nous donnaient la verticale, Du soleil blanc, la route encore Et du loisir, Mais ils nous séparaient De la fraise attardée dans la fraîcheur du bois Où toucher deux genoux Qui ont tant de raisons de trembler sous les feuilles. On ne serait pas tellement plus mal Devenus le mur au bord de la place Où les enfants jouent entre des vieillards, Lui qui de toute la ville ne sait que la colère. - On pourrait devenir aussi Un mur caché par le feuillage, à la campagne, Pour être heureux. * Que peut un mur Pour un blessé? Et pourtant Il en vient toujours dans les batailles S'y adosser, Comme si la mort ainsi Permettait de mourir Avec plus de loisir Et quelque liberté. * Un homme Est devenu jaloux des murs, Et puis, têtu, c'est des racines Qu'il ne peut plus se démêler. II assoit à l'écart Un corps habitué, Exclut les portes, Exclut le temps, Voit dans le noir Et dit : amour. |
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Edouard Glissant (1928 - 2011) |
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Portrait de Edouard Glissant | |||||||||
Biographie / OuvresMort le 3 février 2011 à l'âge de 82 ans, Edouard Glissant était bien plus qu'un grand écrivain, auteur notamment de La Lézarde (Prix Renaudot 1958), Le Sel noir, L'Intention politique, La Case du commandeur, Pays rêvé, pays réel, Tout-monde. Il était surtout l'inventeur et théoricien, à la pensée parfois assez complexe, d'au autre monde qu'il appelait le Tout-monde, nourri des écrits et des lutte |
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