Emile Verhaeren |
Ce soir, l'homme de la fatigue A regarder s'illimiter la mer, Sous le règne du vent despote et des éclairs, Les bras tombants, là-bas, s'est assis sur ma digne. Le vêtement des plus beaux rêves, L'orgueil des humaines sciences brèves, L'ardeur, sans plus aucun sursaut de sève, Tombaient, en loques, sur son corps : Cet homme était vêtu de siècles morts. Il n'était plus la vie, Il n'était point encor la mort ; Il était la fatigue inassouvie. Il avait vu brûler d'étranges pierres, Jadis, dans les brasiers de la pensée : Les feux avaient léché les cils de ses paupières Et son ardeur s'était cassée Sur l'escalier tournant de l'infini. Sa tête avait nourri toutes les gloses. Il traînait après lui, une aile grandiose - Ridicule - dont les pennes tombaient ; Des nuages vitreux le surplombaient. Mais néanmoins une chimère dernière Allumait d'or son casque et sa bannière. Lassé du bien, lassé du mal, lassé de tout Il maintenait debout Encore, un dernier vou, sous l'assaut des contraires : Ayant tant vu sombrer de choses nécessaires, Qui se heurtaient pour leur rapide vérité, Lui, qui se souvenait d'être et d'avoir été, Qui ne pouvait mourir et qui ne pouvait vivre, Osait aimer pourtant sa lassitude à suivre, Entre les oui battus de non, son chemin, seul. De tout penseur ardent, il se sentait l'aïeul. Le sol du monde était pourri de tant d'époques Et le soleil était si vieux ! Et tant de poings futilement victorieux N'avaient volé au ciel que des foudres baroques. Et c'est décidément : « Misère ! » à toute éternité Qu'à travers sa planète et vers ses astres La tête pâle et sanglante de ses désastres, Pendant mille et mille ans criera l'humanité. Certes, mais se blottir en la rare sagesse, D'où rien ne transparaît que le savoir Et la culture et la discipline de sa faiblesse ; Entr'accorder la haine et le désir ; vouloir, A chaque heure, violenter sa maladie ; L'aimer et la maudire et la sentir Chaude comme un foyer mal éteint d'incendie, Se déployer sa peine et s'en vêtir ; Avoir, de ses malheurs mêmes, l'orgueil ; Aimer enfin celui qui, dans les villes, passe Et qui s'assied, en souriant devant le seuil Du temple, où vont prier les hommes de sa race. Et puis le proclamer, mais n'ériger l'espoir Que pour, sournoisement, l'abattre avec sa haine ; Contrarier l'aurore avec le soir ; Torturer le présent avec l'heure prochaine ; Trouver de la douceur en son angoisse, lasse De n'avoir plus la peur de la menace ; N'éclairer pas d'un trop grand feu L'énigme à deviner par delà les nuages. Qui fit songer les sages Qu'un Dieu connu n'est plus un Dieu. Ce soir, l'homme de la fatigue, Tout lentement, a soulevé, Comme un trésor désencavé, Aux bords du fleuve, où mon âme navigue, La science de la fatigue. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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