Emile Verhaeren |
Quatre-vingts ans après la mort d'Emile Verhaeren, il n'est pas rare de l'entendre encore saluer comme le plus grand poète belge. Sans doute un certain public de lecteurs cultivés continue-t-il à penser de la sorte, sans égard pour d'autres poètes belges d'envergure tels que Norge, Marcel Thiry ou Roger Bodart, ou encore pour le groupe surréaliste belge qui joua un rôle fondamental dans l'ensemble du mouvement. Verhaeren est légendaire, fait apparemment exceptionnel dans un pays qui n'a jamais cessé de méconnaître ses plus grands écrivains et ses plus grands artistes en dépit de leur renommée mondiale. Verhaeren, comme Maeterlinck transcende le contexte belge, et singulièrement le contexte flamand local, dont il est pourtant profondément imprégné. Maeterlinck écrivait de lui au lendemain de sa mort : « Il représentait la Belgique tout entière. Flamand par la naissance et les aïeux, wallon, c'est-à-dire français par l'esprit et la langue, il était vraiment le poète à deux fronts de cette race à deux têtes ». L'ouvre est vaste et ne saurait être ramenée aux dimensions d'une célébration régionale. La fusion permanente du concret et d'une inquiétude qui se développera rapidement en un questionnement mystico-métaphysique, ouvre sur l'homme et sur l'ouvre des perspectives apparemment divergentes mais foncièrement complémentaires. L'évocation de 1 humilité de la vie villageoise et de la souffrance des humbles, qui marque les premières ouvres, participe du même mouvement intérieur que les dénonciations des injustices sociales et de l'aliénation de la vie urbaine des poèmes de la maturité. L'évolution affective de Verhaeren est un continuum sur lequel viendront se greffer des ensembles thématiques de nature diverse - toujours inspirés par un mélange de tendresse et de violence qui définit l'essence du ton verhaerenien. Verhaeren s'émeut, s'indigne et tonitrue selon une loi expressive identique, mais une force singulière se dégage invariablement de tous les poèmes, qu'ils tendent vers l'acmè d'une résolution passionnelle supérieure ou au contraire vers la douceur et l'apaisement. Le propre de la poétique de Verhaeren tient indubitablement à l'apprivoisement d'une exceptionnelle puissance verbale, d'un monde intérieur de pulsions tumultueuses. On l'a pat-fois qualifié assez grotesquement de « Victor Hugo du Nord », soulignant de la sorte de façon un peu sommaire le caractère sonore de nombreuses pièces, leurallure flamboyante, échevelée, dénonciatrice - caractéristique que l'on a, souvent injustement, il faut le reconnaître, reprochées à Hugo, sans voir que la puissance expressive appelle naturellement des contrastes marqués, que ceux-ci se manifestent à l'intérieur d'un poème particulier ou dans l'opposition des thématiques de l'ouvre dans son ensemble. Verhaeren répond à ce type de composition, il y trouve un mode expressif dont s'accommodent également les visions fulgurantes et les plus noires détresses. Emile Verhaeren est né à Saint-Amand, petit village de la Flandre Belge situé au bord de l'Escaut, le 21 mai 1855. Son père y exploitait avec son beau-frère une petite huilerie. L'enfant connut une enfance villageoise heureuse et fut profondément matqué par la beauté du fleuve et des plaines infinies qui l'entouraient. L'Escaut prendra dans ses premières ouvres des proportions légendaires. A onze ans, Emile entre à l'Institut Saint-Louis à Bruxelles ; il le quittera deux ans plus tard pour le collège Sainte-Barbe de Gand, dirigé par les pères jésuites. 11 y fait la connaissance de Georges Rodenbach, condisciple et bientôt ami intime, qui deviendra le poète mélancolique de Bruges la morte. Les deux collégiens s'enthousiasment pour les poètes romantiques, lisent dans la ferveur les Méditations, les Feuilles d'Automne, les Nuits. A cette époque toutefois, l'adolescent Verhaeren ne se signale par aucune précocité sur le plan de la langue. Il est fasciné par les poètes mais son orthographe est imparfaite et sa syntaxe maladroite. Beaucoup plus tard, dans un article paru dans h Jeune Belgique le 5 juillet 1886, son ami Albert Giraud n'hésitera pas à lui reprocher « son ignorance vertigineuse de la prosodie et de la langue ». A cette date, Verhaeren avait 31 ans et avait déjà publié Les Flamandes ( 1883), les Contes de Minuit (1884) et Les Moines (1886) '. L'étonnante maîtrise poétique qu'on lui reconnaît apparaît dès lors comme le fruit d'une disposition de son génie propre qui semble largement indépendante de la connaissance formelle de la langue. Nuls doute que le patois flamand de Saint-Amand parlé pendant l'enfance avec les petits villageois n'ait interféré avec le français parlé en famille. Verhaeren ne parlera du reste jamais correctement le flamand. Cette ambiguïté linguistique précoce semble néanmoins avoir eu ses vertus. Elle n'est sans doute pas étrangère aux audaces poétiques ultérieures de l'écrivain et à la découverte originale de possibilités expressives inédites du français, potentialités dont la rançon est une relative imperfection. Verhaeren est tout le contraire d'un puriste et c'est là, pour une part, la source de sa force créatrice. La langue du poète ira s'affirmani et aboutira à ce vers à la fois sonore et sensible qui n'est qu'à lui. En 1875. Verhaeren entre à l'université de Louvain. Il en sortira docteur en droit en 1881 et entrera cette même année comme avocat stagiaire chez Edmond Picard, grande figure du barreau et auteur dramatique. Emile Verhaeren a collaboré à la Semaine des étudiants depuis 1879. La Jeune Belgique et L'artmoderne accueillent ses textes à partir de 1882. L'année suivante voit paraître Les Flamandes, avec lesquelles s'amorce le premier cycle de son ouvre poétique. Les recueils parus au cours de cette période, qui s'étendra sur une dizaine d'années ( 1883-1893) comprennent, outre Les Flamandes, Les Moines (1886), Le Soirs (1888), Les Débâcles (1888) et Les Flambeaux noirs ( 1891 ). Les Bords de la route ( 1890) et Les Apparus dans mes chemins (1891) peuvent également être rattachés à cette première période. Celle-ci est marquée par un pessimisme morbide lié à la profonde mélancolie qu'inspire au poète le spectacle des plaines natales dénudées, symbole de pauvreté et de déréliction. A ces poèmes noirs viennent s'adjoindre des visions héroïques célébrant le passé glorieux de la Flandre (« Artevelde », par exemple, dans Les bords de la routE), thème qui réapparaîtra plus tard sous une forme plus accomplie (Le « Michel-Ange » des Rythmes souverains, entre autreS). La métrique reste très classique, encore qu'elle soit parsemée d'audaces de versification qui, elles aussi, iront s'intensifiant et deviendront des signes caractéristiques de la prosodie verhaerenienne. 11 en va de même de ce Dites, qui intervient fréquemment pour souligner aux yeux du lecteur l'importance du fait ou de l'idée et qui se maintiendra comme une sorte de tic de composition dans mainte pièce ultérieure : C'est là que j'ai bâti mon âme - Dites, serai-je seul dedans mon âme, etc. (« Le Roc » dans Les Bords de la routE) - La mort, dites, les vieux verbeux La mort est soûle etc. (- Le Fléau » dans Les Campagnes hallucinéeS) D'autres signes apparaissent, non moins typiques, tels ces adverbes en ment, affectionnés du poète : infiniment, silencieusement, irrémissiblement- qui lui fournissent dans plus d'un cas un rythme favorable à une chute finale isolant le mot et le menant fortement en évidence, procédé d'ailleurs souvent mis à profit avec d'autres vocables : Sur double rang, là-bas, jusqu 'aux horizons blêmes Muets et seuls, des arbres vont, infiniment (« Le meurtre » dans Les DébâcleS) De même : Dormir en des tombeaux de soir Là-bas, où les vagues lentes et fortes Creusant l'abîme sans clarté Engloutissent à toute éternité Les mortes. (« La morte » dans Les Flambeaux noirS) Les douze poèmes réunis sous le titre des Flambeaux noirs qui clôturent la série initiale de la production de Verhaeren vers 1891 témoignent d'une grande sûreté du vers et de la maîtrise du ton tragique qui constituera progressivement la signature des ouvres dans lesquelles transparaît l'angoisse de la condition humaine. L'étonnant poème intitulé Les nombres est scandé de strophe en strophe par cet alexandrin austère : Je suis l'halluciné de la forêt des nombres qui traduit avec une concision peu commune à la fois le désir et la terreur de la connaissance face aux firmaments myriadaires des étoiles. Le dolorisme profond de cette première période réapparaîtra au cours du cycle suivant. André Fontaine estime que le cycle initial interfère à maintes reprises avec celui qui lui succède et « ne se clôt définitivement que douze ou treize ans plus tard », c'est-à-dire vers 1897. Sans prétendre assigner une durée précise à chaque période de l'évolution du poète, des changements caractéristiques interviennent néanmoins dans les thématiques successives de l'ouvre et peuvent servir de repères. Ces mutations d'ordre à la fois conceptuel et affectif sont apparemment plus radicales que celles qui se font jour dans le ton et le mode expressif lesquels, tôt maîtrisés, manifestent une grande constance à travers l'ouvre entière. Les années 80 furent marquées pour Verhaeren par trois épreuves cruciales. Sa tante Amélie, à laquelle il vouait un attachement profond depuis l'enfance, meurt en 1879. En 1883 le poète est atteint d'une gastrite dont les premiers symptômes remontent à sa sortie de l'université. Il s'en remettra lentement. Il voit ses parents s éteindre en 1888. La tendance neurasthénique consécutive aux ennuis de santé n'est pas étrangère au pessimisme des premières ouvres, encore qu'elle soit insuffisante à l'expliquer : dès l'enfance, Emile Verhaeren est un être sensible exposé à toutes sortes de terreurs et marqué par une nette tendance masochiste. Les événements douloureux n'agiront qu'à la façon de catalyseurs sur une constitution psychique fragile mais riche de potentialités créatrices. La fin de la décennie 80 est marquée par un événement heureux : Verhaeren rencontre en 1889 Marthe Massin. Elle deviendra sa femme en 1891. L'élément nouveau qui vient marquer l'ouvre en clôturant la trilogie noire est avant tout le passage de l'angoisse solitaire d'un moi maladif à l'angoisse de la conscience face aux transformations du monde moderne à la fin du 19*siècle. Le thème schopenhauerien de la souffrance de l'homme et du monde, tel qu'il sera orchestré dans Les Villages illusoires. Les Villes tentaculaires (parus l'un et l'autre en 1895) et dans Les aubes (drame en vers et en prosE) alimente avec Les Campagnes hallucinées (parues dès 1893) ce que l'on a appelé le cycle social de l'ouvre. Ce cycle est celui de la révolte et de ia dénonciation de la souffrance infligée à l'homme par l'emprise croissante de l'impitoyable société machinique. Le poète voit avec effarement les campagnes se vider de leurs paysans traditionnels et abandonner les énergies de leurs travailleurs à l'activité industrielle concentrée dans les villes. C'est l'adieu à La plaine et le pays sans fin Où le soleil est blanc comme la faim Où pourrit aux tournants du fleuve solitaire Dans la vase, le cceur antique de la terre Etonnant raccourci des obsessions durables de Verhaeren : le plat pays des premières années, la nature grandiose et terrible, le fleuve mystérieux de l'enfance, la vie toujours renaissante dans le limon primitif. C'est tout cela dont la ville est la pieuvre ardente et l'ossuaire. Le thème de l'aliénation dans le travail collectif et de l'indigence qui s'y attache est partiellement hérité de Hugo, sans que chez ce dernier comme chez Verhaeren, l'indignation humaine dépasse le lyrisme et l'aliène à son tour dans la voie idéologique : dénonciation, colère, regrets, condamnation, soit ; didactisme social et prêche humanitaire, non. La résolution du mouvement lyrique se porte plutôt vers l'acceptation courageuse et l'affirmation de l'inépuisable force de l'homme confronté avec les tâches démesurées et déshonorantes. « Le passeur d'eau », poème majeur des Villages illusoires, est exemplaire sous ce rapport. Le tenace et vieux passeur entraîné par le flot furieux vers la mer, tient bon et défie les agressions anonymes des forces du monde. Aux menaces naturelles fait pendant l'univers démiurgique avec ses puissances à la fois cons-tructives et destructives : Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit Par à travers les faubourgs lourds Et la misère en pleurs de ces faubourgs Ronflent terriblement usines et fabriques (« Les usines » dans Les Villes tentaculaireS) La dénonciation de la damnation du travail dans le climat romantico-socialiste de la fin du siècle passé aboutit à la célébration des forces menaçantes elles-mêmes ; le visionnaire qui chante le courage et le triomphe de l'homme adopte le ton d'un prophétisme dialectique dans lequel l'espérance formulée va au-delà de la promesse et fait partie intégrante des forces et de leur domination victorieuse future. Poète de la célébration des forces naturelles et humaines, tel fut toujours Verhaeren et il l'est éminemment dans la partie de son ouvre qui clame à la fois l'horreur et la grandeur de la conquête industrielle. Ce chant cosmique prélude à l'accomplissement lyrique des Forces tumultueuses, des Rythmes souverains et des Visages de la vie. Plusieurs, dont Franz Hellcns et Mabille de Poncheville, ont vu dans les héros célébrés dans ces ouvres, une sorte de Légende des siècles. Le poète, écrit le second, « repense l'histoire du monde, y ajoute la recherche des héros et des saints et les rejoint à travers l'antiquité biblique, grecque et chrétienne » !.Tout l'effort humain chanté dans les poèmes « sociaux » trouve ici sa symbolique et est porté à l'ordre mythique de l'histoire. La vision tragico-héroïque du monde et de l'homme qu'entretient Verhaeren est marquée dans cène partie de son ouvre par le rayonnement universel des grandes existences : O la haute existence indomptée et tragique Jamais à bout de son effort Qui se replie et se ramasse et qui se tord Sous la voracité des destins héroïques (« La Joie » dans Les Visages de la viE) Les Visages de la vie paraissent en 1899 et clôturent une période de haute exaltation et de maîtrise accomplie. C'est également l'année de l'installation de Verhaeren à Saint-Cloud et de son ptemier séjour à l'ermitage du Caillou-qui-bique, maisonnette campagnarde située près du village de Roisin (HainauT) à proximité de Valen-ciennes. Le poète y connaîtra de longues heures de méditation et de création tout en partageant la vie des villageois et en y recevant fréquemment ses amis. Stefan Zweig, son premier biographe, viendra l'y visiter. Ces séjours de grande quiétude, Verhaeren les multipliera jusqu'en 1914. La guerre viendra rompre le charme de cette retraite où il écrivit Les Vignes de ma muraille et Les Blés mouvants, recueils de caractère pastoral, ainsi qu'une partie des Heures qui comprennent, outre Les Heures claires, publiées dès 1896, Les Heures d'après-midi (1905) et Les Heures du soir (1911). Il y célèbre l'amour conjugal vécu avec Marthe dans la ferveur sur fond de campagne calme et sereine : Voici la maison douce et son pignon léger Et le jardin et le verger Voici des vols de lumineux ramiers Planant ainsi que des présages Dans le ciel clair du paysage (Les Heures claireS) D'un recueil à l'autre le ton se fait plus grave pour aboutir dans Les Heures d'après-midi au lamento sur la beauté disparue et dans Les Heures du soir a l'évocation de l'adieu : Les baisers morts des défuntes années Ont mis leur sceau sur ton visage Et, sous le vent morne et rugueux de l'âge Bien des roses, parmi tes traits, se sont fanées (Les Heures d'après-midI) Lorsque tu fermeras mes yeux à la lumière Baise-les longuement, car ils t'auront donné Tout ce qui peut tenir d'amour passionné Dans le dernier regard de leur ferveur dernière (Les Heures du soiR) Les pièces qui constituent Toute la Flandre, composées à la même époque, reprennent et orchestrent dans l'équilibre de la maturité plus d'un thème apparu précocement dans l'ouvre. Les Tendresses premières (1904) et La Multiple splendeur (1906) appartiennent à la même veine. La guerre affectera profondément Verhaeren. Il n'en verra pas la fin. Il meurt écrasé sous un train en gare de Rouen le 27 novembre 1916. La Belgique sanglante mm paru l'année précédente. L'année 1916 avait été féconde : Les Ailes rouges de la guerre. Parmi les cendres et La Belgique dévastée avaient paru en quelques mois sous le choc de l'occupation et des atrocités commises par les troupes allemandes. Par une étrange fatalité, Verhaeren, poète tragique par excellente, connaît la fin la plus atroce au moment même où tout son génie mis au service de la cause patriotique, se déchaîne sur le ton des grandes tragédies. L'ouvre de Verhaeren est abondante, imposante par son ampleur et par le souffle puissant qui la parcourt ; elle a connu très tôt une audience étendue, prélude à une reconnaissance mondiale qui ne s est pas démentie et qui a fait de Verhaeren un classique. Il n'en est plus de même en cette fin du 20* siècle. Classique, Verhaeren l'est encore aux yeux du spécialiste et de l'historien, mais il serait hasardeux d'affirmer qu'il a encore un public vivant qui se reconnaît dans son ouvre et en vit effectivement. La célébrité s'est maintenue mais elle n'a pu empêcher l'effacement de l'ouvre. Les raisons de cette mutation sont nombreuses et tiennent à la fois à la nature propre de l'ouvre et à l'évolution de la conception de la poésie dans son ensemble. Pour ce qui concerne l'ouvre, la richesse des images et la progression irrésistible du vers semblent souvent plus aptes à la déclamation qu'à la lecture méditative. Verhaeren possède un rare pouvoir d'évocation visuelle ; il montre, déploie, donne à la plus humble chose et au plus mince événement des proportions démesurées ; foncièrement narratif, il résiste mal à la tentation du vers épique et grandiloquent ; il emporte mais trop souvent il assène et ses répétitions, exigées par une rythmique à effets récurrents, n'atteignent pas toujours leur résolution équilibrée. Grand poète, riche en contrastes réussis mais payant trop sa musicalité, souvent juste, d'un excès de sonorité ; l'évocation de l'expérience intérieure en pâtit et souffre dans plus d'un cas d'être traduite dans une langue poétique explicite et discursive faisant peu de place au demi-mot et à l'image simplement suggérée. Verhaeren a assimilé la leçon symboliste et est devenu une figure visible de l'école, mais sa langue, loin de créer par ses seuls moyens un ordre d'expression pure, manifeste une adhérence marquée au descriptif concret. On serait assez justifié de voir en lui un symboliste exagérément hugolien, très éloigné de Mallarmé et de Rimbaud. Ceci ne rabaisse en rien la puissance d'une ouvre caractérisée par une rare homogénéité de ton et dans laquelle l'héroïque et l'intime ont réussi à coexister de façon heureuse. La fortune de l'ouvre verhaerenienne a également été liée à l'évolution propre de la poétique. L'héritage du symbolisme, et de Mallarmé en particulier, avait abouti à dissocier le mot de la chose et à faire de celui-ci un moyen de suscitation de l'expérience poétique plutôt que l'outil toujours disponible d'une description de la réalité extérieure. Or, c'est souvent cette dernière qui, chez Verhaeren, définit la référence de l'urgence expressive du poète. Toute puissante que soit celle-ci et toute convaincante qu'elle soit dans la tendresse, l'élan tragique ou la vitupération, elle reste tournée vers un monde de choses et de faits plutôt que vers elle-même, c'est-à-dire vers un langage susceptible d'être dit poétique parce qu'il évalue sa valence expressive à chaque seconde de son exercice. Aussi, lorsque le poète atteint à l'accomplissement de son verbe propre, de son rythme souverain, pour reprendre ses propres paroles, c'est encore vers les grandes fresques héroïques qu'il se tourne. Même dans les Heures, d'un intimisme si vrai, la peinture du geste et de l'entourage immédiat l'emporte souvent sur l'évocation pure de l'instant indicible. Tout pour Verhaeren est vision, composition, tableau. « Toute la suite des poèmes de Verhaeren, note justement Franz Hcllens, fait penser aux eaux-fortes, dessins et tableaux de James Ensor » '. Fidèle à sa plaine natale, Verhaeren est homme d'espace et il conte avec passion tout ce qui s'y déroule. C'est là et nulle part ailleurs qu'il faut chercher la constante de l'ouvre, c'est elle qui, par son caractère essentiel d'imagerie a permis aux paysages dénudés et à l'Escaut légendaire de l'enfance, de coexister dans une même sensibilité avec la peinture des entreprises démiurgiques et des souffrances de l'homme à l'aube du XXesiècle. « Grandeur des poètes, écrit Valéry, de saisir fortement avec leurs mots, ce qu'ils n'ont fait qu'entrevoir faiblement dans leur esprit »4. Ce destin des poètes visionnaires, Verhaeren l'incarne de façon exemplaire. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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