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Emile Verhaeren



En souvenir - Poéme


Poéme / Poémes d'Emile Verhaeren





Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cour. Là, sous des croix, ils reposent, ceux dont j'ai vu seul et consolé les agonies, toi mon père, toi ma mère, toi ma si douce et volontaire tante qui mourus la première, voici bien des ans, en ce funèbre hiver de novembre où tant de pauvres gens sont morts au village.

Toute mon enfance est restée pendue à ton cour. Silencieuse et comme lointaine à l'existence des autres, tu m'aimais avec une maternité refoulée, avec un rêve de femme seule, mélancoliquement à part et seule. Avais-tu jamais autrement aimé ? Moi, je me confessai à toi, avant l'heure où l'on va chez les prêtres ; j'avais en une de tes poches mon épargne de gros sous ; les soirs de peur, je venais frapper à ta chambre. J'ai passé des heures - est-ce doux et déjà pâle ? - à te questionner sur mes petites amies, à te raconter mes chagrins larme à larme, à t'en-nuyer de mes pourquoi et de mes impatiences, et je me souviens qu'un jour je t'ai battue.

Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cour.



Et tes yeux me reviennent en mémoire comme de vieux joyaux ranimés soudain, doux yeux ! dont j'ai moi-même pour à tout jamais abaissé les paupières en cette heure mortuaire de cierges allumés dans la chambre aux volets clos. En ta dernière toilette, je te revois aussi : un petit bonnet blanc serrait l'ovale cireux de ton visage, tes mains étaient jointes et parmi les doigts si pâles erraient les graines d'un chapelet de la bonne mort. Parmi ce lit, si glacialement alors recouvert de grands draps, j'avais dormi, blotti et tout coi, me serrant minuscule, et je revois encore les petites étoiles au ciel en papier peint. Tu restas ainsi deux longs jours, longue avec les pieds en pointe - et moi, qui jamais jusqu'à ce jour n'avais fixé ni défunt, ni défunte, je ne te quittai qu'à l'instant de la mise en bière - oh ! les vis à travers mon âme - et quand tout fut cloué, pendant les dernières heures, avant les cloches pour toi sonnantes, l'ai-je embrassé le bois, oh ! l'ai-je embrassé, le funèbre bois chrétien de ton cercueil !

Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cour et m'examinant avec des pleurs et des regrets, je m'imagine :



« S'il est vrai que les morts reviennent par les minuits propices, est-ce toi que je sens, douce et volontaire tante, quand la lune visiteuse s'incline, est-ce toi, cette Diane bienfaisante, telle que les légendes lointaines nous la racontent, non pas la mère, mais la tante et la vierge assise près des berceaux, patiente, tendre et sacrifiée comme la sour d'une sour plus heureuse ? Est-ce ta caresse, cette spirituelle lumière qui certes me vient du plus loin que la vie ? Pauvre vieille et bonne tante, dis, m'es-tu encore la pardonneuse et la consolante, suis-je toujours pour toi l'enfant, m'aimes-tu encore, toi, la plus aimée, la seule vraiment aimée en moi, quoique la déjà si morte pour tous les autres ? »



Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cour.



(Société nouvelle. 1892.)

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Emile Verhaeren
(1855 - 1916)
 
  Emile Verhaeren - Portrait  
 
Portrait de Emile Verhaeren

Biographie / Ouvres

Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.

A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn

Bibliographie


Chronologie


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