Emile Verhaeren |
Dans une cabine de miroir, à bord d'un migrateur vaisseau, avec son image en voyage, vivre ! La sentir se mouvoir en balancement lent de la houle, caressée de soleil d'aurore ou de soir, et ne connaître l'heure que par le déplacement des clartés de glace en glace et de coin en coin. Sans que le corps ne bouge, aller avec le seul but de ne plus revenir à l'endroit quitté, n'y plus revenir jamais et parcourir l'univers tout en gardant l'intensité d'une toujours même chambre étincelante et merveilleuse, dont la porte défendrait le rêve de toute intrusion du dehors, excepté de la lumière. La douce et chimérique lumière ! Combien l'aimerais-je ainsi, me créant des paysages inédits, dans cette cabine de reflets, sous toutes les latitudes de la terre. N'est-ce pas qu'une lettre d'or réfléchie par un biseau, qu'une lame rouge historiée de vert, alors qu'on la sait mirage, suffisent à susciter ce que le plus enivrant regard confie à l'âme de plus triomphal et de plus glorieux ? La victoire, l'amour, la joie, la beauté, l'orgueil, que sont-ils à qui pense les choses plutôt qu'il ne les voit, sinon une bande d'or lamée de pourpre ou bien une épée rouge damasquinée de feuillages en frêle et soudaine irréalité dans un miroir? Et tant divers et multiple, et fuyant et intangible, et mêlé à des attitudes et des gestes qui n'existent point et qui se font et se défont en courbes déjà évanouies, alors que derrière la boiserie miraculeuse de feux le monde entier défile, n'est-il pas d'exquis et rare délice de se goûter tel ? Aussi : j'ai mis mon corps en une case myriadaire d'ors, d'argents, de métaux et de pierres, en une gaine de verre et de cristal, en un mensonge de soir et de matin, et mon âme elle est par-dessus flottante, ne voulant plus sentir, ne voulant plus songer, ne voulant plus vouloir que la dispersion de mon être en parcelles de clarté, tout comme l'univers en globes et en astres tombés de leur premier soleil, afin de réaliser pour moi et en moi l'image de l'infini. (Société nouvelle, 1891.) |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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