Emile Verhaeren |
Routes de fer vers l'horizon : Blocs de cendres, talus de schistes, Où sur les bords un agneau triste Broute les poils d'un vieux gazon ; Départs brusques vers les banlieues, Rails qui sonnent, signaux qui bougent. Et tout à coup le passage des yeux Crus et sanglants d'un convoi rouge ; Appels stridents, ouragans noirs, Pays de brasiers roux et d'usines tragiques, Où sanglotent, quand vient le soir, Toutes les voix du vent Frappant, d'un contenu gémissement, Les fils à l'infini des crins télégraphiques, C'est parmi vous Qui entourez les villes, Que s'en viennent chercher asile Les cerveaux éclatés des rêveurs et des fous. Marqués chacun d'un signe, Derrière un mur aveugle et sourd De vieux faubourg, Les cabanons s'alignent ; Et la cité ardente et terrible, là-bas, Qui les peuple de haut en bas. Avec les yeux aigus de ces vitres hagarde S'en inquiète et les regarde. O la folie et ses soleils, tout à coup blancs ! O la folie et ses soleils plombant A rayons lents, A rayons ternes Sinistrement, La fièvre et le travail modernes ! Jadis tout l'inconnu était peuplé de dieux, Ils étaient la réponse aux questions dont l'homme En son âme puérile dressait la somme ; Ils étaient forts puisqu'ils étaient silencieux ; Et la prière et le blasphème Qui ne résolvaient rien Tranchaient pourtant, au nom du mal, au nom du bien, Les problèmes suprêmes. Or aujourd'hui c'est la réalité Secrète encor, mais néanmoins enclose Au cours perpétuel et rythmique des choses, Qu'on veut, avec ténacité, Saisir, pour ordonner la vie et sa beauté, Selon les causes. L'homme se lève enfin pour ce devoir tardif, Venu pour éclipser les feux de tous les autres ; Il s'affirme non plus le roi, le preux, l'apôtre, Mais le penseur têtu, ardent et maladif Qui se brûle les nerfs à saisir, au passage, Toute énigme qui luit et fuit - moment d'éclair. Doutes, certitudes, labeurs, fouilles, voyages, La terre entière est sonore de son pas clair Et la nuit attentive écoute arder ses veilles ; L'ordre nouveau se crée avec un tel souci D'en bien fixer le faîte et les tenons et les mortaises Qu'il n'est plus rien sous les grands toits de ses synthèses Qui ne soit soutenu et ne soutienne aussi. Et tout ce qui travaille aux quatre coins du monde Lutte, les yeux fixés sur cette ouvre profonde Que mène la recherche - et la terre et les deux, Et ceux qui trafiquent au nom de l'or et ceux Qui ravagent au nom du sang, tous collaborent, Avec leur haine ou leur amour, au but sacré. De chaque heure du siècle un prodige s'essore Et vous les provoquez, chercheurs ! Tout est serré, Mailles de vie ou de matière entre vos doigts subtils ; Vos miracles humains illuminent les villes Et l'inconnu serait dompté et le savoir, A larges pas géants, aurait rejoint l'espoir, Si vos cerveaux battus du vent de la conquête N'usaient à trop penser vos maigres corps d'ascète Et si vos nerfs tendus toujours et toujours las, Un jour, tels des cordes, n'éclataient pas. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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