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Emile Verhaeren



Le départ - Poéme


Poéme / Poémes d'Emile Verhaeren





Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le cour las,
S'en vont, le soir, par la grand' route,
Les gens d'ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.



Les gens d'ici n'ont rien de rien,

Rien devant eux

Que l'infini de la grand' route.



Chacun porte au bout d'une gaule,
Dans un mouchoir à carreaux bleus,
Chacun porte dans un mouchoir,
Changeant de main, changeant d'épaule,
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.



Les gens s'en vont, les gens d'ici,
Par la grand' route à l'infini.

L'auberge est là, près du bois nu,
L'auberge est là de l'inconnu ;
Sur ses dalles, les rats trimbalent
Et les souris.



L'auberge, au coin des bois moisis,
Grelotte, avec ses murs mangés,
Avec son toit comme une teigne,
Avec le bras de son enseigne
Qui tend au vent un os rongé.



Les gens d'ici sont gens de peur :

Ils font des croix sur leur malheur

Et tremblent ;

Les gens d'ici ont dans leur âme

Deux tisons noirs, mais point de flamme,

Deux tisons noirs en croix.



Les gens d'ici sont gens de peur ;
Et leurs autels n'ont plus de cierges
Et leur encens n'a plus d'odeur :
Seules, en des niches désertes,
Quelques roses tombent inertes
Autour d'un
Christ en plâtre peint.



Les gens d'ici ont peur de l'ombre sur leurs champs,

De la lune sur leurs étangs,

D'un oiseau mort contre une porte ;

Les gens d'ici ont peur des gens.



Les gens d'ici sont malhabiles,
La tête lente et les cerveaux débiles
Quoique tannés d'entêtement ;
Ils sont ladres, ils sont minimes
Et s'ils comptent c'est par centimes,
Péniblement, leur dénuement.



Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l'oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le cour moisi,
Les gens d'ici,

Quittant leur gîte et leur pays,
S'en vont, ce soir, vers l'infini.



Les mères traînent à leurs jupes

Leur trousseau long d'enfants bêlants,

Trinqueballés, trinqueballants ;

Les yeux clignants des vieux s'occupent

A refixer, une dernière fois,

Leur coin de terre morne et grise,



Où mord l'averse, où mord la bise.

Où mord le froid.

Suivent les gars des bordes.

Les bras maigres comme des cordes,

Sans plus d'orgueil, sans même plus

Le moindre élan vers les temps révolus

Et le bonheur des autrefois,

Sans plus la force en leurs dix doigts

De se serrer en poings contre le sort

Et la colère de la mort.

Les gens des champs, les gens d'ici
Ont du malheur à l'infini.



Leurs brouettes et leurs charrettes

Trinqueballent aussi,

Cassant, depuis le jour levé,

Les os pointus du vieux pavé :

Quelques-unes, plus grêles que squelettes,

Entrechoquent des amulettes

A leurs brancards,

D'autres grincent, les airs criards,

Comme les seaux dans les citernes ;

D'autres portent de vieillottes lanternes.



Les chevaux las

Secouent, à chaque pas.

Le vieux lattis de leur caresse ;

Le conducteur s'agite et se tracasse,

Comme quelqu'un qui serait fou,

Lançant parfois vers n'importe où,

Dans les espaces,

Une pierre lasse

Aux corbeaux noirs du sort qui passe.

Les gens d'ici

Ont du malheur - et sont soumis.

Et les troupeaux réches et maigres,

Par les chemins râpés et par les sablons aigres,

Egalement sont les chassés,

Aux coups de fouet inépuisés.

Des famines qui exterminent :

Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche,



Boufs qui meuglent vers la mort proche,

Vaches lentes et lourdes

Aux pis vides comme des gourdes.

Ainsi s'en vont bêtes et gens d'ici,

Par le chemin de ronde

Qui fait dans la détresse et dans la nuit,

Immensément, le tour du monde,

Venant, dites, de quels lointains,

Par à travers les vieux destins,

Passant les bourgs et les bruyères,

Avec, pour seul repos, l'herbe des cimetières,

Allant, roulant, faisant des nouds

De chemins noirs et tortueux,

Hiver, automne, été, printemps,

Toujours lassés, toujours partant

De l'infini pour l'infini.



Tandis qu'au loin, là-bas,

Sous les deux lourds, fuligineux et gras,

Avec son front comme un
Thabor;

Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines

Hallucinant et attirant les gens des plaines,

C'est la ville que la nuit formidable éclaire,

La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,

-
Tentaculaire.



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Emile Verhaeren
(1855 - 1916)
 
  Emile Verhaeren - Portrait  
 
Portrait de Emile Verhaeren

Biographie / Ouvres

Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.

A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn

Bibliographie


Chronologie


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