Emile Verhaeren |
Le menuisier du vieux savoir Fait des cercles et des carrés, Tenacement, pour démontrer Comment l'âme doit concevoir Les lois indubitables et fécondes Qui sont la règle et la clarté du monde. A son enseigne, au coin du bourg, là-bas. Les branches d'or d'un grand compas - Comme un blason, sur sa maison - Semblent deux rais pris au soleil. Le menuisier construit ses appareils - Tas d'algèbres en des ténèbres - Avec des mains prestes et nettes Et des regards, sous ses lunettes, Aigus et droits, sur son travail Tout en détails. Ses fenêtres à gros barreaux Ne voient le ciel que par petits carreaux ; Et sa boutique, autant que lui, Est vieille et vit d'ennui. Il est l'homme de l'habitude Qu'en son cerveau tissa l'étude, Au long des temps de ses cent ans Monotones et végétants. Grâce à de pauvres mécaniques Et des signes talismaniques Et des cônes de bois et des segments de cuivre Et le texte d'un pieux livre Traçant, la croix, par au travers, Le menuisier dit l'univers. Matin et soir, il a peiné Les yeux vieillots, l'esprit cerné, Imaginant des coins et des annexes Et des ressorts malicieux A son travail chinoisement complexe, Où. sur le faîte, il dressa Dieu. Il rabote ses arguments Et taille en deux toutes répliques Et ses raisons hyperboliques Trouent la nuit d'or des firmaments. Il explique, par des sentences. Le problème des existences Et discute sur la substance. Il s'éblouit du grand mystère. Lui donne un nom complémentaire Et croit avoir instruit la terre. Il est le maître en controverses. L'esprit humain qu'il bouleverse. Il l'a coupé en facultés adverses, Et fourre l'homme qu'il étriqué, A coups de preuves excentriques. En son système symétrique. Le menuisier a pour voisins Le curé et le médecin Qui ramassent, en ses travaux pourtant irréductibles, Chacun pour soi, des arguments incompatibles. Ses scrupules n'ont rien laissé D'impossible, qu'il n'ait casé. D'après un morne rigorisme. En ses tiroirs de syllogismes. Ses plus graves et assidus clients? Les gens branlants, les gens bêlants Qui achètent leur viatique, Pour quelques sous, dans sa boutique. Il vit de son enseigne, au coin du bourg, - Biseaux dorés et compas lourd - Et n'écoute que l'aigre serinette, A sa porte, de la sonnette. Il a taillé, limé, sculpté Une science d'entêté. Une science de paroisse, Sans lumière, ni sans angoisse. Si bien qu'au jour qu'il s'en ira Son appareil se cassera ; Et ses enfants feront leur jouet. De cette éternité qu'il avait faite, A coups d'équerre et de réglette. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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