Emile Verhaeren |
Toute la mer va vers la ville ! Son port est'innombrable et sinistre de croix, Vergues transversales barrant les grands mâts droits. Son port est pluvieux de suie à travers brumes, Où le soleil comme un oil rouge et colossal larmoie. Son port est'ameuté de steamers noirs qui fument Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie. Son port est fourmillant et musculeux de bras Perdus en un fouillis dédalien d'amarres. Son port est concassé de chocs et de fracas Et de marteaux tonnant dans l'air leurs tintamarres. Toute la mer va vers la ville ! Les flots qui voyagent comme les vents, Les flots légers, les flots vivants, Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire Lui rapportent le monde en des navires. Les orients et les midis tanguent vers elle Et les Nords blancs et la folie universelle Et tous nombres dont le désir prévoit la somme. Et tout ce qui se crée en un front d'homme, Là-bas, dans l'inconnu des loins talismaniques, Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes : Elle est la ville en rut des humaines disputes, Elle est la ville au clair des richesses uniques Et les marins naïfs peignent ses caducées, Sur leur peau rousse et crevassée, À l'heure où l'ombre emplit les soirs océaniques. Toute la mer va vers la ville ! Ô les Babels enfin réalisées ! Et les peuples fondus et la cité commune ; Et les langues se dissolvant en une ; Et la ville comme une main, les doigts ouverts, Se refermant sur l'univers. Dites, les docks bondés jusques au faîte ! Et la montagne, et le désert, et les forêts Et leurs siècles captés comme en des rets ; Dites, leurs blocs d'éternité : marbres et bois, Que l'on achète, Et que l'on vend au poids, Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts Qu'il a fallu pour ces conquêtes. Toute la mer va vers la ville ! La mer soudaine, ardente et libre, Qui tient la terre en équilibre ; La mer que domine la loi des multitudes ; La mer où les courants tracent les certitudes ; La mer et ses vagues coalisées, Comme un désir multiple et fou, Qui renversent des rocs depuis mille ans debout Et retombent et s'effacent, égalisées ; La mer dont chaque lame ébauche une tendresse Ou voile une fureur, la mer plane ou sauvage La mer qui inquiète et angoisse et oppresse De l'ivresse de son image. Toute la mer va vers la ville ! Son port est infini de quais plantés de feux Où manouvrent de grands leviers silencieux. Son port est hérissé de tours dont les murs sonnent D'un bruit souterrain d'eau qui gonfle et ronfle en elles. Son port est lourd de blocs taillés, où des gorgones Dardent le faisceau noir des vipères mortelles. Son port est fabuleux de carènes sculptées Dont les ventres d'argent vers des seins d'or s'exaltent. Son port est solennel de tempêtes domptées En des havres d'airain de schiste et de basalte. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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