Emile Verhaeren |
Sur ce roc carié que fait souffrir la mer. Quels pas voudront monter encor, dites, quels pas ? Dites, serai-je seul enfin et quel long glas Écouterai-je debout devant la mer ? C'est là que j'ai bâti mon âme. - Dites, serai-je seul avec mon âme ? - Mon âme hélas ! maison d'ébène, Où s'est fendu, sans bruit, un soir. Le grand miroir de mon espoir. Dites, serai-je seul avec mon âme, En ce nocturne et angoissant domaine ? Serai-je seul avec mon orgueil noir, Assis en un fauteuil de haine ? Serai-je seul, avec ma pâle hyperdulie, Pour Notre-Dame la Folie ? Serai-je seul avec la mer En ce nocturne et angoissant domaine ? Des crapauds noirs, velus de mousse, Y dévorent du clair soleil, sur la pelouse. Un grand pilier ne soutenant plus rien, Comme un homme, s'érige en une allée, D'épitaphes de marbre immensément dallée. Sur un étang d'yeux ouverts et de rei Des groupes de cygnes noyés, Vers des lointains de soie et d'or bro Traînent leurs suicides tranquilles Parmi des phlox et des jonquilles. Et du sommet d'un cap d'espace. D'étranges cris d'oiseaux marins, Les becs aigus et vipérins. Chantent la mort à tel qui passe. Sur ce roc carié que recreuse la mer, Dites, serai-je seul avec mon âme ? Aurai-je enfin l'atroce joie De voir, nerfs après nerfs, comme une proie, La démence attaquer mon cerveau ? Et détraqué malade, sorti de la prison Et des travaux forcés de sa raison, D'appareiller vers un lointain nouveau ? Dites, ne plus sentir sa vie escaladée Par les talons de fer de chaque idée. Ne plus l'entendre infiniment en soi Ce cri, toujours identique, ou crainte, ou rage. Vers le grand inconnu qui dans les cieux voyage : Croire en la démence ainsi qu'en une foi ! Sur ce roc carié que détraque la mer, Vieillir, triste rêveur de l'escarpé domaine. Les chairs mortes, l'espérance en allée, A rebours de la vie immense et désolée ; N'entendre plus se taire, en sa maison d'ébène, Qu'un silence de fer dont auraient peur les morts ; Traîner de longs pas lourds en de sourds corridors ; Voir se suivre toujours les mêmes heures. Sans espérer en des heures meilleures ; Pour à jamais clore telle fenêtre ; Tel signe au loin ! - un présage vient d'apparaître ; Autour des vieux salons, aimer les sièges vides Et les chambres dont les grands lits ont vu mourir Et chaque soir, sentir, les doigts livides, La déraison sous ses tempes mûrir. Sur ce roc carié que ruine la mer. Dites, serai-je seul enfin avec la mer, Dites, serai-je seul enfin avec mon âme ? Et puis mourir ; redevenir rien. Etre quelqu'un qui plus ne se souvient Et qui s'en va sans glas qui sonne, Sans cierge en main ni sans personne. Sans que sache celui qui passe, Joyeux et clair dans la bonace. Que le nocturne et angoissant domaine. En deuil de sa maison d'ébène, Où plus ne brûle aucun flambeau, Renferme un mort et son tombeau. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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